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Débat

Réforme du code du travail: l'«autre projet» de 18 juristes

Des universitaires spécialisés en droit social ont décidé de «simplifier et réorganiser» le droit du travail. Mais pas vraiment dans le sens proposé par le gouvernement… Le point sur les premières propositions de ce groupe d'experts.
par Amandine Cailhol
publié le 2 mars 2016 à 18h38

La réforme du code du travail proposée par Myriam El Khomri, la ministre du Travail, n'est pas la seule alternative. Tel est le message, lancé mercredi matin, par 18 universitaires spécialisés en droit du travail. Réunis au sein du «groupe de recherche pour un autre code du travail», ou GR-PACT, ils planchent, depuis fin 2015, sur «la rédaction d'un projet complet de code du travail». «Après l'automne 2015, riche en rapports divers [celui de Jean-Denis Combrexelle, ou encore des juristes Badinter et Lyon-Caen, ndlr], on s'est dit que quelque chose de menaçant s'amorçait, ce qui s'est révélé effectif avec le projet de loi», raconte Emmanuel Dockès, professeur de droit à l'Université Paris-Ouest-Nanterre-la-Défense et membre du GR-PACT.

Reconnaître le temps libre

D'où ce projet collectif de «réfection du code du travail» commencé dès décembre. Soit quelques semaines avant que la copie du gouvernement ne soit rendue publique. Un texte lourdement critiqué par ces juristes, qui pointent des passages jugés «vraiment honteux» voire «catastrophiques». Loin de simplifier le code du travail comme annoncé par l'exécutif, le projet de loi, par ailleurs, enregistre selon eux une «hausse très significative de la quantité de texte». Soit une inflation de 27 %. «C'est une complexification de plus», note Dockès.

Mais pas question de rester dans l'immobilisme : «Le code du travail mérite d'être réformé», affirment les universitaires qui ont, pour l'heure, consacré leur effort à réécrire un premier chapitre portant sur le temps de travail. Et leurs propositions sont bien éloignées de celles de la ministre du Travail. Parmi les mesures phare : la reconnaissance du temps libre des salariés qu'«il faut écarter du pouvoir de direction», explique Christophe Vigneau, maître de conférences à l'Université Paris-I. Comment ? En garantissant davantage la prévisibilité des horaires de travail, en donnant la possibilité aux salariés de s'opposer à des changements d'horaires ou encore en prévoyant des contreparties à l'adaptation du temps de travail.

Partager le temps de travail

Avançant à contre-courant du projet de loi, les juristes proposent, sur ce point, de conditionner l'annualisation du temps de travail à un passage aux 32 h en moyenne. De quoi éviter la «dilution du calcul des heures supplémentaires». D'autant que dans leurs propositions, les juristes font le choix de garder les taux de majoration des heures supplémentaires à 25 % (pour les six premières heures, contre huit aujourd'hui) et 50 % (pour les suivantes). Là où le projet de loi El Khomri veut ouvrir la possibilité, par accord d'entreprise, de descendre à 10 % pour la totalité des heures sup.

L'enjeu : «Rendre plus cher le fait de faire travailler beaucoup», résume Dockès. Le tout pour inciter les employeurs à partager le temps de travail, et donc à embaucher de nouveaux salariés. Car «si les heures supplémentaires ne sont pas plus chères, les entreprises n'embaucheront pas», poursuit-il. Dans la même veine, leur code du travail prévoit une rémunération minimale des astreintes et conditionne l'augmentation du nombre d'heures maximal quotidien ou hebdomadaire à une réduction du nombre de jours travaillés sur le mois.

«Nous n’avons pas le monopole, tout ça est très ouvert au débat»

L'équipe universitaire propose aussi de renforcer le contrôle de la charge de travail par le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), notamment pour les salariés au forfait jours. «Si le CHSCT constate une surcharge de travail, il alerte l'employeur, explique Carole Giraudet, enseignant-chercheur à l'université Lyon-II. Et si ce dernier ne prend pas les mesures nécessaires, le CHSCT peut alors suspendre les dispositions conventionnelles relatives aux clauses de forfait.» De quoi conserver l'autonomie des salariés, tout en évitant les journées à rallonge.

Prochaine étape pour le GR-PACT : finaliser ce premier chapitre, en complétant la partie sur les congés et le travail partiel, avant de plancher sur un autre morceau : le contrat de travail. Jusqu'à la publication d'un code du travail au complet en septembre. «C'est un projet, mais nous n'avons pas le monopole. Tout ça reste très ouvert au débat», souligne Dockès. Organisations syndicales, praticiens du droit et avocats seront donc consultés tout au long du processus. Tout comme la société civile, qui pourra s'associer à la réflexion au travers d'un site internet collaboratif à venir. De quoi transformer la colère qui gronde depuis plusieurs jours sur le Web contre le projet de loi, en force de propositions.

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