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ASTROTURFING
ET FAKE ACTIVISM
la dynamique
cachée
du boycott
au Maroc
Septembre 2018
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
2
SOMMAIRE
Méthodologie.......................................................................4
Des comptes Twitter ont-ils été créés spécifiquement
pour accroître la visibilité du boycott ? ................................6
Les néo-arrivants de 2018 sont-ils plus influents
que les comptes créés en 2011 ? ...........................................9
@ManCha7t, compte archétypique du fake activist
ou activiste hyperactif ?......................................................14
@ManCha7t, acteur isolé ou simple face émergée
d’un écosystème plus dense ?.............................................18
Sidi Ali, Danone et Afriquia, des entités appréhendées à
l’aune de grilles de lecture convergentes...
et diamétralement différentes ................................................21
Par-delà la cherté de la vie marocaine, le coût du lait,
de l’eau minérale ou encore de l’essence, fautil voir une
volonté de la part de certains acteurs politiques de cibler
spécifiquement l’actuel ministre de l’Agriculture ? ............ 26
Kifaa7, un hub relativement trouble du mouvement
de boycott sur Facebook.................................................... 29
Conclusion .........................................................................33
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
3
Ces derniers mois, plusieurs articles parus dans la presse
nord-africaine et française se sont fait l’écho de la
campagne de boycott sans précédent qui agite la
société marocaine depuis avril dernier. Caractéristique
particulière de ce mouvement qui pourrait faire écho aux
« Printemps arabes » de 2011, celui-ci est né sur les
réseaux sociaux, sur Facebook et Twitter notamment, et
a très certainement été amplifié par des boucles sur des
messageries privées comme WhatsApp ou Telegram,
dont l’utilisation est très populaire dans le royaume
chérifien.
Cette campagne de boycott cible spécifiquement trois
entités économiques : les eaux minérales Sidi Ali, le
leader marocain des hydrocarbures Afriquia et Centrale
Danone, l’ex-Centrale Laitière, filiale du groupe Danone,
spécialisée dans les produits laitiers.
La cherté de la vie apparaît comme l’axe structurant du
discours porté par les acteurs du mouvement à l’égard
desdeuxentreprisesmarocainesetdelafilialed’ungrand
groupe agroalimentaire français. Or, la grille de lecture
qui tend à réduire ce mouvement à un simple phénomène
social, résultant d’une série de facteurs d’ordres
purement sociaux et économiques, paraît très réductrice
par rapport aux conditions de sa genèse sur les réseaux
sociaux. Si le boycott est communément présenté
comme une réponse à l’inflation du coût de la vie, l’étude
de la conversation sur les réseaux sociaux montre que
cette dimension ne saurait à elle seule rendre raison de
cet objet social aux contours complexes. Ce mouvement,
même si le terme peut sembler peu pertinent au sens où
aucun leader et/ou aucune entité politique/associative
n’a revendiqué la paternité du boycott, est un objet
politique non identifié. Son côté inqualifiable découle en
grande partie du flou relatif à ses origines, dont les
raisons sont potentiellement multiples. Après tout, et
c’est un truisme que de le rappeler, on ne milite pas de la
même manière dans une démocratie occidentale que
dans un pays monarchique, classé 135e sur 180 au
classement de la liberté de la presse par Reporter sans
frontières, et dans lequel le roi n’est ni plus ni moins que
le Commandeur des croyants.
Ayant suivi de loin les premiers mois du mouvement à
travers les articles parus dans la presse française (Le
Point et Libération notamment), nous avons commencé à
nous intéresser au sujet lorsque ce dernier commençait
à revêtir une dimension digitale entrant en résonance
avec nos sujets de recherche sur l’influence des réseaux
sociaux dans les débats publics. Début août, un article
paru dans Le Point a ouvert des perspectives et des
lignes de fuites sur cette fronde sociale. Intitulé « Des
cyberactivistes font vaciller le Royaume du Maroc »,
l’article de Luc de Barochez, envoyé spécial à Rabat et à
Casablanca, met notamment l’accent sur le côté
professionnel des acteurs à l’origine de la diffusion du
mouvement sur les réseaux sociaux.
Ce constat, en apparence anodin puisque tout
mouvement social digne de ce nom a logiquement des
structures et/ou des officines à même de gérer son
influence digitale, vient en réalité prendre à rebours une
partie du narratif jusque-là répandu à l’égard de la
campagne de boycott.
L’existence même de cette campagne qui se passe de
porte-parole identifié, tout comme son origine obscure
sur le Web et l’importance donnée aux réseaux sociaux
pour s’entretenir, suscitent de nombreuses questions.
Derrière la fronde sociale, faut-il en réalité y voir une
fronde essentiellement, voire uniquement, politique ?
Plusieurs observateurs ont noté que les produits visés
par le boycott – eau minérale, essence, produits laitiers
- n’étaient pas des produits de consommation courante
des classes les plus pauvres de la population marocaine,
pourtant les plus touchées par le renchérissement du
coût de la vie. Le social pourrait-il donc servir de prétexte
voire d’écran de fumée permettant de dissimuler des
finalités et des manœuvres politiques/politiciennes ? De
même,et ce point constituera le fil rouge de notre travail,
l’activisme de professionnels du Web et des réseaux
sociaux, pour reprendre les enseignements du papier du
Point, ne serait-il pas des indices du déploiement de
stratégies de fake, voire d’astroturfing ?
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
4
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
5
Afin de rentrer dans le sujet, nous avons constitué un
corpus est de 37 252 tweets uniques, qui est basé
sur une série de requêtes arabes, françaises et anglaises
destinées à capter de la manière la plus large possiblela
discussion sur le boycott impulsé par des activistes au
Maroc.Ces tweets ont été émispar11 149 utilisateurs
uniques. Pour les requêtes françaises nous avons recueilli
la data sur « Maroc boycott », en anglais sur « Morocco
boycott » et en arabe sur « ‫ا‬‫ﻣ‬‫ﻠ‬‫ﻐ‬‫ﺮ‬‫ب‬ ‫ﻣ‬‫ﻘ‬‫ﺎ‬‫ط‬‫ﻌ‬‫ﺔ‬ » (qui signifie
«boycottMaroc»,avecexclusionde ‫إ‬‫ر‬‫ﺳ‬‫ﺎ‬‫ﺋ‬‫ﯿ‬‫ﻞ‬ ,poursupprimer le
bruit lié au mouvement BDS dirigé contre les produits
israéliens). « ‫ﻣ‬‫ﻘ‬‫ﺎ‬‫ط‬‫ﻌ‬‫ﻮ‬‫ن‬ », qui signifie boycotteurs, et qui
constitue le principal mot clé de ralliement des activistes
a également été récupéré, de même que « ‫ﻋ‬‫ﯿ‬‫ﻞ‬ _ ‫ﺳ‬‫ﯿ‬‫ﺪ‬‫ي‬ » (Sidi
Ali, du nom d’une marque marocaine d’eau minérale,
propriété de la riche famille marocaine des Bensaleh, et
qui est ciblée par les boycotteurs).
Nous avons également récupéré les données sur « ‫ﺳ‬‫ﻨ‬‫ﻄ‬‫ﺮ‬‫ا‬‫ل‬
‫د‬‫ا‬‫ﻧ‬‫ﻮ‬‫ن‬ » (Centrale Danone), même si cette requête s’avère
relativement peu conversationnelle et sur une série de
requêtesde co-évocations entre la marque française et le
mouvement.Nous avonsprocédédemêmepour Afriquia,
à la nuance près que le mot arabe de l’entité apparaît
comme trop polysémique, et nous avons croisé les
données afin de restreindre au maximum le bruit. À
certains moments de l’étude, nous avons réalisé des
focus sur des personnalités, en l’occurrence Aziz
Akhannouch (Président du RNI, Rassemblement national
des indépendants, ministre marocain de l’Agriculture et
de la Pêche maritime et homme d’affaires) et, de manière
plus périphérique, Mohamed Boussaïd (ministre de
l’Économie et des Finances qui a été limogé par le Roi le
1er août dernier).
Ces différentes requêtes agrégées permettent de
constituer un corpus relativementdense et représentatif
de la structuration de la conversation surTwitter. Certes,
il ne prétend pas être exhaustif, et disposant d’une
lecture limitée de la langue arabe et de sa transcription
en alphabet latin (surnommé « arabi» ou « arabizi»), nous
n’avons pas eu la capacité de composer un scope de
requêtes plus étendu et potentiellement plus complexe
afin de récupérer la longue traîne de la conversation. Du
reste, nous sommes convaincus que l’objectif de
visibilité.
Maximale poursuivi par les promoteurs du mouvement
permet de saisir les grandes lignes de la mobilisation par
le biais de hashtags facilement identifiables (les plus
populaires), en satisfaisant de manière plus que
nécessaire aux impératifs méthodologiques minimums
de cette analyse. La conduite de l’étude et l’analyse de
ces résultats nous ont confortés a posteriori dans cette
conviction.
Conscients que Twitter ne saurait permettre d’analyser
dans son ensemble un mouvement aussi étendu, nous
avons introduit une dimension Facebook en analysant
l’activité et les publications émises par la page Kifaa7,
appréhendée souvent comme à l’origine du mouvement
ou, du moins, comme ayant joué un rôle décisif dans sa
diffusion. Enfin, et en complément, nous avons utilisé les
données Google Trends et les statistiques de
consultation Wikipédia sur des pages spécifiques pour
tester en amont certaines hypothèses, avant de les
approfondir via une analyse plus poussée desdonnées.
Notre travail d’analyse sur les utilisateurs a
essentiellement consisté à analyser des métadonnées
pouvant être récupérées par l’API Twitter : nombre de
followers, nombre de tweets, année de création d’un
compte...
Nous n’avons procédé à aucune typologie de tweets en
fonction de critères politique, social ou encore syndical,
ni à aucun classement d’aucune sorte sur des critères
qualitatifs. Autant que faire se peut, nous avons accordé
la primauté aux données agrégées sur les utilisateurs. Il
peut en résulter une certaine impression d’aridité, mais
cette démarche ne limite en rienl’analyse et n’obère pas
les axes pouvant être mis à jour. Elle a par ailleurs le
mérite de ne pas mettre l’emphase, autant que faire se
peut, sur des individus. Nous ne publierons ni ne
communiquerons aucun listing et/ou corpus brut avec
cette étude, que ce soit de manière publique et/ ou
privée. Nous restons disponibles pour répondre à toute
réclamation ou à toute question relative à notre
méthodologie, au respect de la vie privée et à la sécurité
des données à l’adresse mail suivante : etudes@ids-
partners.com.
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
6
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
7
L’année de la date de création des comptes Twitter est
une approche par pattern particulièrement efficace pour
mettre à jour des logiques de growth hacking et
d’astroturfing dans le cadre d’une discussion et/ou
d’une controverse. Dans bien des cas, cet indicateur
s’avère déceptif, car les acteurs, notamment les
officines, les militants et/ou les lobbyistes digitaux,sont
particulièrement conscients des risques inhérents au fait
de créer en un laps de temps resserré une série de
comptes Twitter.
De facto, si cet indicateur
constitue une étape obligatoire
dans le cadre d’une analyse de
controverse, le plus souvent, il ne
permet de mettre à jour aucun
élément saillant. Or, dans le
cadre de la conversation sur
le boycott au Maroc, force
est de constater qu’une
corrélation, que nous
approfondirons et dont nous
testerons jusqu’au bout la
validité dans le cadre de
notre étude, se dessine très
nettement. De manière
purement quantitative, nous
constatons que c’est en avril et
en mai 2018 qu’ont été créés une
importante partie des comptes
actifs dans le cadre de la
discussion sur le boycott.
En effet, 295 comptes ont été créés en avril et 219 l’ont
été au mois mai. En mars, ce sont 163 comptes qui ont été
créés et en juin nous en dénombrons 140. De fait, 817
comptes qui ont pris participé à la discussion sur le sujet
ont été créés en l’espace de 4 mois.
Ce constat peut être visualisé avec le graphique n°1 qui
présente le nombre de comptes créés par mois. Dans un
souci de visibilité, la même variable « n », relative au
nombre de comptes créés, est portée en abscisse et en
ordonnée.
Certes, il ne s’agit pas de tirer des conclusions hâtives,
d’autant qu’un mouvement revêtant une dimension tout
à la fois sociale et politique est à même de contribuer à
la socialisation digitale de certains individus, notamment
les jeunes, qui, par le biais d’une technologie qu’ils
maîtrisent couramment et pour un coût social modéré,
peuvent faire leurs premiers pas dans le militantisme par
le biais des plateformes digitales. A contrario, des
acteurs plus âgés peuvent aussi prendre conscience que
les réseaux sociaux constituent, d’une certaine manière
la poursuite de la lutte par d’autres moyens.
D’ailleurs, il est intéressant de mettre en perspective
deux dates mises à jour par le graphique n°1 pourvenir
questionner la problématique de l’astroturfing. Les
comptes créés en février 2011, et qui ont été actifs dans
le cadre de la discussion sur le boycott, sont au nombre
de 255. Cette période correspond précisément au début
des Printemps arabes au Maghreb, avec les
répercussions politiques que l’on sait. Cette vague de
création de comptes en 2011, à une époque où, si Twitter
Graphique n°1
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
8
est déjà beaucoup utilisé, il n’en reste pas moins l’apanage
d’une frange relativement restreinte de la population. Celle-ci
s’explique en grande partie par la découverte par toute une
génération des potentialités inhérentes aux réseaux sociaux
dans le cadre de la médiatisation de leur lutte politique au
quotidien. Ce mouvement de bascule de février 2011,s’explique
ainsi davantage par une prise de conscience aigüe du rôle des
réseaux sociaux que par la magnitude, aussi importante fût-
elle, du momemtum politique qui prévalait alors.
Or, à bien des égards, cette grille de lecture qui valait
pour 2011 s’avère être pour le moins inopérante en 2018.
Aux quatre coins du monde, les militants politiques et
associatifs ont pris depuis déjà longtemps conscience du rôle
cadre de Twitter en tant que réseau social de framing d’une
controverse et de médiatisation d’une thématique auprès de
décideurs, de journalistes et autres influenceurs. Ce faisant, il
est pour le moins étonnant que 817 comptes puissent
opportunément être créés alors qu’une crisepolitique
se structure au Maroc.
Comme le montre le tableau
ci-contre, le contingent des
nouveaux arrivants de 2018
actifs dans la discussion sur le
boycott n’est pas loin de faire
armes égales avec le groupe
d’utilisateurs dont l’arrivée sur Twitter date de l’année 2011.
Les néo-utilisateurs marocains des 9 premiers mois de l’année
2018, avec un phénomène de boycott pourtant loin d’être
comparable au mouvement ayant touché le monde arabe il y a
7 ans, ont quasiment été aussi nombreux à être enclins à créer
des comptes qu’au temps des Printemps. De nombreuses
variables peuvent venir pondérer ce constat, mais quoi qu’il en
soit ces chiffres sont loin d’être anodins.
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
9
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
10
Pour venir questionner cette hypothèse, il est intéressant
de comparer la part de voix (poids de l’ensemble des
tweets organiques émis par un groupe donné au sein
d’un corpus) respective des comptes arabophones créés
en 2011 et ceux créés en 2018.
Pour sélectionner les comptes
arabophones, responsables
de l’émission de 19 643
tweets (sur un corpus de 37 252
tweets), nous nous basons sur
les données renvoyées par l’API
Twitter ; cette dernière
procédant de manière
relativement précise à une
classification par langue des
tweets. Évidemment, nous
n’affirmons pas que la totalité des comptes créés sur ces
deux périodes sont forcément mus par des logiques
militantes et politiques, mais à n’en pas douter, une
frange significative de ces derniers est animée
par des visées d’ordre politique, se traduisant par
des logiques de militantisme en ligne, de framing et de
mise à l’agenda de ses propres thématiques.
Comme le montre le graphique n°2, les néo-arrivants
arabophones de 2018 ont émis davantage de tweets
uniques (2 993 publications) que les « historiques »
arabophones de 2011 (2 481 publications). En d’autres
termes, même si ces deux catégories sont loin d’être des
blocs homogènes et monolithiques, l’activité des
comptes créés lors des Printemps arabes peineà
rivaliser avec lanuéede comptes créés, en grande
partie, dans le cadre de la campagne deboycott.
En analysant (graphique n°3) l’engagement (retweets +
likes) suscité par ces deux groupes d’utilisateurs, nous
constatons que ce sont les néo-utilisateurs de 2018
qui surpassent notablement de 1 point les
utilisateurs « historiques » de 2011, qui bénéficient
pourtant de communautés plus établies liées à leur
ancienneté.
Alors certes, on pourrait objecter, qu’en période de
cristallisation politique (campagnes électorales ou
événements d’actualité par exemple), il est possible de
susciter un engagement hors-norme sur Twitter, et que,
de la sorte, des comptes sans réel background et sans
réelle influence, sont en capacité de positionner des
tweets en Top Tweets. Mais, a minima, fort de ce
constat, nous pouvons également mettre en avant un
élément : les utilisateurs« historiques», ceuxqui ont« fait
» le Printemps arabe sur les réseaux sociaux n’ont pas été
déterminants en termes de cadrage et d’impact par
rapport auxnéo-utilisateurs.
Graphique n°2
Graphique n°3
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
11
L’analyse du nombre de followers (graphique n°4) des
comptes arabophones met également à jour un autre
pattern, à savoir que les comptes créés en 2018 se
caractérisent notamment par un nombre très faible de
followers. 483 comptes créés en 2018 ont ainsi
moins de 50 followers, contre 236 pour ceux créés
en 2011. Alors certes, d’aucuns peuvent objecter que la
temporalité, à savoir un écart de plus de sept ans,
explique en grande partie cette disparité.
Pour essayer de répondre à cette hypothèse, nous avons
réalisé un graphique (graphique n°5) qui étudie le lien
entre le nombre de tweets émis concernant le boycott et
le nombre de followers des comptes en question.
Deux utilisateurs se distinguent tout particulièrement,
en l’occurrence @ManCha7t et @xzaouli, en raison de
leur hyperactivisme en termes d’émission, plus qu’en
raison de leur nombre de followers puisqu’ils ont
respectivement 57 et 179 followers. À noter que, comme
dans la plupart des graphiques de cette étude, et dans
un souci de visibilité, l’échelle utilisée en ordonnée est
une échelle logarithmique.
Les utilisateurs cartographiés dans la partie gauche du
graphique n°5 sont ceux ayant émis plus de 10 tweets sur
le boycott. Force est de constater qu’un grand nombre
de ces comptes ne dispose que d’un faible niveau
de followers. Par exemple, aucun ne dépasse les 1 000
followers, chiffre symbolique s’il en est sur Twitter, à
partir duquel un compte peut être appréhendé comme à
même d’exercer une certaine influence sur sa
communauté.
Graphique n°4
Graphique n°5
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
12
Autre élément de comparaison entre les deux groupes
d’utilisateurs, nous constatons un parallélisme
particulièrement marqué en termes d’activité éditoriale.
À quelques exceptions près, nous constatons que
l’appréhension de l’événement, notamment en
termes d’opportunités éditoriales, est
relativement similaire entre les deux effectifs.
Le reflux initié mi-juin se retranscrit dans l’activité des
deux groupes, même si, et c’est un élément intéressant,
nous constatons qu’alors que les utilisateurs de 2011
se désintéressent progressivement de la
question, ceux de 2018, notamment à la fin du
mois de juin, essayent de relancer un activisme
en déclin.
À titre informatif, et en élargissant le scope à l’ensemble
des comptes de nos corpus, nous constatons que ce
parallélisme, en dépit de quelques phases dissonantes,
se retrouve pour l’ensemble des comptes créés depuis
2011, comme le montre le graphique n°7.
On pourrait objecter que ce parallélisme en termes
d’activité ne résiste pas à un mapping accordant la
primauté à la question de l’engagement. Après tout,nous
pourrions aisément partir du postulat que la symbiose
entre un compte ancien (ici datant de plus de 7
ans) et disposant d’un nombre moyen de followers
supérieur au nombre moyen de followers relevé
sur le groupe des users créés en 2018, devrait
donner un avantage net aux plus anciens, comme
cela se vérifie la plupart du temps sur Twitter où la taille
des communautés se révèle déterminante.
Pourtant, comme l’indique le graphique n°8, force estde
constater que les utilisateurs de 2018 font jeu égal avec
ceux créés en 2011 en matière d’engagement. La prime à
l’ancienneté ne donne pas à ces derniers un avantage sur
les néo-arrivants dont une partie a été créée quelques
mois seulement avant le déclenchement du boycott.
Graphique n°6
Graphique n°7
Graphique n°8
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
13
Fort de ces différents constats, il nous paraît important
de nous intéresser en particulier aux comptes ayant été
créés en amont du déclenchement effectif du boycott,
notamment en mars et avril 2018.
Afin de problématiser davantage cette question, il peut
être intéressant de mettre en perspective les différentes
périodicités de création de comptes relevées
précédemment avec les trends de requêtes que propose
Google. Pour ce faire, nous avons utilisé Google Trends à
partir d’une géolocalisation au Maroc, en testant
notamment la requête ‫ة‬‫ﻋ‬‫ﻄ‬‫ﺎ‬‫ﻗ‬‫ﻢ‬ qui signifie « boycott » en
arabe. Le graphique est particulièrement révélateur, et
met à jour une accélération brutale des requêtes à partir
du 20 avril. L’intensité des requêtes se concentre sur un
peu plus d’un mois, et décline progressivement à partir
du 20 mai, avec cependant deux pics d’intérêt, de
moindre importance néanmoins, le 29 mai et le 10 juin.
À l’aune du graphique n°9, nous avons bel et bien une
rupture de temporalité entre Twitter et Google. En
d’autres termes, l’activisme sur Twitter, se matérialisant
ici par la création en série de comptes en amont du
déclenchement du boycott, a précédé la survenue
effective du mouvement de boycott.
À ce stade de l’analyse, nous pouvons considérer cet
élément comme à même d’étayer l’idée qu’en amont du
mouvement de boycott certains utilisateurs et/ou
officines ont pu être enclins à constituer une petite
armée digitale à mêmed’accorder davantage de visibilité
au mouvement, si ce n’est à mettre celui-ci à l’agenda du
débat public.
Graphique n°9
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
14
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
15
L’utilisation de Twitter comme espace de la visibilisation
du mouvement, là où Facebook aurait davantage joué un
rôle organisationnel auprès de pans plus globaux de la
population marocaine, peut notamment être mise en
lumière en analysant les tweets émis par le compte
@ManCha7t.
Sur les 852 tweets qu’il a émis, ce dernier a utilisé à 778
reprises le # ‫ﻧ‬‫ﻮ‬‫ﻋ‬‫ﻄ‬‫ﺎ‬‫ﻗ‬‫ﻢ‬ , quisignifie #boycotteurs en arabe,
et qui a constitué l’un des hashtags de ralliement les plus
utilisés tout au long du mouvement.
Comme le montre le graphique n°8, cet utilisateur unique
a utilisé ce hashtag plus de 30 fois lors de 6
journées spécifiques à savoir : le 27, le 28, le 29 et le
30 avril, ainsi que les 2 et 3 mai.
L’analyse des sources d’émission de ce compte ne tend
pas à mettre à jour un compte bot, puisque les tweets
sont pour la plupart émis par le biais d’une version de
Twitter pour mobile et, dans une moindre mesure
directement via une version pour ordinateur. Si cela
donne à penser que ce compte spécifique n’est pas un
bot, à savoir un script codé pour exécuter un certain
nombre d’actions préétablies, il n’est
malheureusement pas possible de déterminer si
ce compte n’est pas, dans les faits, piloté par
plusieurs utilisateurs.
En effet, il est tout même significatif de constater que
lors de la journée du 30 avril, cet utilisateur a
émis 89 tweets organiques avec ce hashtag.
Les 29, 27 et 28 avril, il a respectivement émis 60, 51 et 45
tweets organiques reprenant le hashtag lié au
mouvement de boycott.
Ce compte, créé le 25 avril 2018, trouve dans le boycott
sa principale raison de vivre, en témoignent ses plus de
91% de tweets avec le ‫ﻧ‬‫ﻮ‬‫ﻋ‬‫ﻄ‬‫ﺎ‬‫ﻗ‬‫ﻢ‬ #.
Comme le montre le tweet ci-dessus, en date du 1er mai,
cet utilisateur est enclin à répondre aux autres
utilisateurs, ici une chanteuse marocaine, qui se
questionne sur les intentions des comptes créés
spécifiquement pour l’occasion. Dans le cadre de sa
réponse, il explique que ces créations de comptes sont
faites pour soutenir « leurs frères ».
Graphique n°10
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
16
Deux constats découlent de cette réponse :
1. Le compte pourrait être piloté par un « marocain »
francophone, vivant en dehors du pays. Cela poserait
alors des questions en termes d’« ingérence
étrangère » émanant d’acteurs de la diaspora.
2. Le compte se place délibérément du côté des
soutiens, et d’une certaine manière, des spectateurs
du boycott. Il ne se présente pas comme un acteur
concret, au sens de non virtuel, mais plutôt comme
s’inscrivant dans le cadre d’une logique de caisse de
résonance.
Autre élément intéressant, l’analyse de ses premiers
tweets, notamment celui ci-dessus en date du 26 avril,
écrit en français, alors que ce dernier est
majoritairement arabophone, est loin d’être anodin. La
logique d’interpellation du compte corporate
international de Danone et de celui en français
est très stéréotypée, comme en témoigne l’utilisation
du « cordialement », et cherche à susciter l’attention des
Community Manager des deux comptes de la marque
d’agroalimentaire. Si ce dernier tweet n’a pas suscité
d’engagement, nous pouvons cependant émettre une
hypothèse : le fait de mentionner les @ des
comptes de Danone s’inscrit dans le cadre d’une
stratégie de mise sur l’agenda de la
problématique marocaine.
En d’autres termes, et c’est un phénomène jusque-là
relativement peu exploré, mais avec la technisation
croissantedela gestion des conversationssur lesréseaux
sociaux, notamment via des outils de monitoringcomme
Talkwalker ou Visibrain,des analystes sont constamment
en veille sur les interpellations sensibles pour détecter
les signaux émergents d’une crise. Les services de
veille sont à l’affût des signaux faibles, à savoir ces
contenus en apparence périphériques, ne revêtant qu’un
engagement faible, mais qui, en réalité, sont les
premières pierres d’un édifice conversationnel en
puissance. Les experts en opinion digitale ne sont
pas censés rater ce type d’interpellations. Ces
mentions qualifiées de sensibles sont traitées via un
process clairement établi qui se compose du triptyque
suivant :
Inscription dans un listing
→ alerting du client → focus
dans le temps
Dès lors, l’approche utilisée
dans le tweet de
@ManCha7t peut
contribuerà donner corps à
l’idée qu’un (ou des)
professionnel(s) de la
communication digitale, au
fait du fonctionnement des
services de veille des
entreprises, sont ici à la
manœuvre.
À ce titre, dans son édition du 15 août, l’hebdomadaire
Le Point, dans le cadre d’une étude réalisée par Luc de
Barochez, envoyé spécial à Rabat et à Casablanca,
pointait déjà du doigt le fait que la phased’amorçage
du mouvement se caractérisait, dès le20 avril, par
des pratiques communicationnelles ressortant
davantage du marketing d’influence et de la
communication digitalemaîtriséepar des experts
du numérique.
Si nous n’excluons donc pas l’hypothèse d’acteurs
experts du numérique engagés dans la conversation sur
le boycott, quid dès lors des chiffres (KPI) et de l’impact
concret de ces opérations d’astroturfing ?
Depuis sa création @Mancha7t a suscité 1 572
engagements (likes + retweets). Un chiffre loin
d’être négligeable surtout lorsque nous prenons en
compte le fait qu’au Maghreb, le réseau populaire, qui
rassemble les différentes franges sociologiques, est
sans conteste Facebook.
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
17
De même, ce chiffre n’est pas le fruit d’un one shot
résultant d’un tweet ayant suscité un fort niveau
d’engagement.
Au contraire, nous relevons 19 journées au cours
desquelles ce compte a réalisé plus de 30engagements.
(Graphique n°11)
Quoi qu’il en soit, et comme l’indique la capture d’écran
ci-dessus qui présente le nombre de followings et de
followers de ce compte, nous pouvons voir précisément
que nous avons davantage affaire à un utilisateur
hyperactif désireux de pousser au maximum le hashtag
des boycotteurs, en flirtant parfois avec les limites du
spamming qui n’est pas exempt de répercussion sur
Twitter, qu’à un militant cherchant à positionner
durablement un compte Twitter.
Les comptes avec 0 abonnement ne sont pas légion sur
Twitter. Certes, on peut retrouver des exemples de
comptes ultra sélectifs en termes de followings, comme
dans le cas d’Edward Snowden ou de Mahmoud
Ahmadinejad qui ne suivent tous les deux qu’un seul et
unique compte, ou encore de Donald Trump et d’Elon
Musk qui ne suivent tous deux qu’une petite liste de
comptes au regard de leur grand nombre d’abonnés et
de leur activité sur le réseau social. Cela est beaucoup
plus rarement le cas de particuliers, dont les usages de
Twitter sont souvent plus orientés vers les relations
sociales et la veille que la seule publication de messages.
Quant à l’iconographie du compte @ManCha7t, elle ne
témoigne pas d’une volonté manifeste d’accorder une
identité et une personnalité au compte – même si sur ce
point précis, il convient de prendre en compte la
spécificité de la situation marocaine rappelée en
introduction, qui pourrait expliquer que des activistes
soient davantage enclins à masquer leur identité.
Même si son nombre d’abonnés est restreint, avec
uniquement 57 followers, une analyse par pattern peut
malgré tout être réalisée. Et comme l’indique le
graphique ci-dessous, la plupart des followers de ce
compte sont également des comptes créés en vue
du boycott. 8 comptes ont été créés en mai, 5 en
avril et 2 en février. 26% des followers, soit 15
utilisateurs, de @Mancha7t ont donc rejoint Twitter en
2018.
En elle-même, cette corrélation, à l’instar de celles que
nous avons mises à jour antérieurement ne permet pas
de conclure de manière absolue que cet utilisateur est
l’archétype du fake activist engagé dans une campagne
d’astroturfing. Pour autant, l’accumulation d’éléments
saillants présentés supra contribue grandement à étayer
cette hypothèse.
Graphique n°11
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
18
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
19
C’est la question légitime qui pourrait ressortir de ce
focus sur cet utilisateur. Finalement, par-delà les
différents éléments que nous avons pu étudier, ce
dernier pourrait très bien, dans les faits, constituer un
cas particulier et atypique de la discussion globale
autour du boycott marocain.
Pour essayer de questionner cette hypothèse, nous
avons récupéré le listing des comptes créés en avril 2018
et actifs dans la discussion sur le boycott. À partir de
la liste de comptes que nous avons récupérés,
nous avons établi le classement de ceux qui ont
été les plus actifs. À partir de ce calcul, nous
avons isolé les 7 comptes les plus actifs, et, via
l’API Twitter, nous avons recueilli leurs 3 200
derniers tweets. En réalisant cette démarche, nous
sommes partis d’une hypothèse théorique relativement
simple : alors que nous avons mis à jour un pattern en
termes de création de comptes, il est fort probable que
ces créations aient répondu à une logique purement
centrée sur le mouvement politico-social.
Comme le montre le graphique n°12, dont l’échelle de
l’ordonnée est logarithmique afin de faciliter la lecture,
la plupart de ces comptes ont été actifs en même temps,
et à quelques exceptions près, ont diminué en termes
d’activité au même moment, à savoir sur la période
charnière de juin/juillet.
Le mimétisme en termes d’activité sur certains des
comptes ici représentés constitue un pattern
particulièrement notable.
Par exemple, comme nous pouvons le constater avec le
graphique n°13, qui isole et compare l’activité de
@ManChat7t et @wahatalmaarifa, une partie
importante deleurs courbes d’activité respective
se recouvre.
Concernant ce dernier compte, l’iconographie ne laisse
aucun doute quant au positionnement de ce dernier et à
sa finalité. La comparaison avec @ManChat7t fait
également ressortir un pattern qui doit peu au hasard
: dans les deux cas, la photo de profil est une
simple reprise de la photo de couverture.
Cela témoigne de comptes créés à la chaîne, pour
lesquels, à dessein, le créateur a décidé de ne pas perdre
trop de temps dans la personnalisation et le travail
d’attribution d’identités distinctives.
Graphique n°12
Graphique n°13
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
20
Par ailleurs, ces comptes, qui disposent pourtant de
communautés très restreintes en termes de followers
(respectivement 57 et 101 abonnés), ont néanmoins 13
utilisateurs en commun (dont 4 comptes créés en 2018).
Parmi les followers en commun, l’auteur de ce tweet, qui
angle notamment sa critique contre les réminiscences de
la colonisation française sur l’économie et le pouvoir
politique marocain, est intéressant à analyser.
Dans un tweet publié le 1er juin, il adresse son soutien au
prédicateur belgo-marocain Tarik Ibn Ali, emprisonné en
Espagne depuis près d’un an, après avoir été arrêté en
juin 2017 à Birmingham,car soupçonné d’êtreun recruteur
de Daech.
L’analyse des tweets émis par un autre abonné de
@wahatalmaarifaet @ManChat7t montre que ses tweets
en faveur du boycott critiquent moins la cherté de la vie
au Maroc que la classe politique marocaine,
appréhendée comme corrompue et au service de
l’étranger (la France ou les États-Unis), ou encore le roi
Mohammed VI.
Les prises de position de @0rwFxquhdPloVrv se
caractérisent par une certaine virulence, et son premier
tweet publié le 31 mai, parle pêle-mêle des « sionistes
», des « dirigeants corrompus » et dénonce l’impact de
la guerre contre le terrorisme dans la pratique de l’islam.
Comme l’illustre le tweet ci-après comparant le
traitement des musulmans au Maroc (avec une photo
montrant prétendument des militaires dans une
mosquée) opposé à une vision idyllique d’une mosquée
turque, l’axe religieux semble occuper une part
déterminante dans la grille de lecture politique et sociale
de cet utilisateur.
À noter que sur son compte Twitter, il se déclare comme
originaire de Tétouan, une ville située dans la partie
septentrionale du Maroc, qui, comme l’indique un article
paru dans le Desk et repris par le Courrier International,
se caractérise par la présence de nombreux « foyers
paupérisés »,et qui a constitué un « foyer de recrutement
pour Daech en Syrie et en Irak » du fait de la présence de
nombreux militants islamistes. Cette information est
donnée à titre purement informatif, et ne saurait, bien
évidemment, préjuger de l’idéologie politique et/ou
religieuse de cet utilisateur.
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
21
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
22
Les trois marques visées dans le cadre du boycott
marocain sont Sidi Ali, Danone et Afriquia. Le choix des
cibles n’a évidemment rien d’anodin, et, à travers les
entités ainsi que les personnalités mentionnées sur
Twitter, nous pourrions potentiellement appréhender de
manière plus fine certains des ressorts d’actions des
activistes. Pour ce faire, nous avons récupéré
spécifiquement de la data sur ces entités, en français et
en arabe. À partir de ces tweets, nous avons voulu
déterminer de quelle manière l’évolution de la volumétrie
associée à chacune d’elles pouvait constituer un
indicateur pertinent. Du fait de leur visibilité dans cette
crise, nous avons aussi décidé d’inclure dans notre
analyse les différents dirigeants de ces sociétés : la
Présidente de la Confédérationgénérale des entreprises
du Maroc, Miriem Bensaleh-Chaqroun, ainsi que l’ex-
ministre de l’Économie Mohamed Boussaïd
(démissionnaire, pour des raisons toujours inexpliquées,
seloncertainsobservateursdelaviepolitiquemarocaine).
En d’autres termes, nous sommes partis d’une hypothèse
que nous cherchions à confirmer et/ou à infirmer, et qui
consistait à se demander si l’ensemble des trois marques
et personnalités ci-dessus ont subi un traitement
identique dans le temps, ousi, au contraire,une emphase
spécifique était davantage mise sur un acteur. On le sait,
dans tous conflits, dans toutes situations conflictuelles,
il y a les cibles définies en amont et autour desquelles un
mouvement s’organise, et celles plus opportunistes qui
se dégagent en fonction de l’actualité. À cette typologie
de cibles, il faudrait ajouter une dernière catégorie
relative aux cibles servant d’écran de fumée et de leurre.
Pour ce faire, une première manière de tester cette
hypothèse consiste à réaliser un Google Trends pour
mesurer la pression en search sur une série
d’items. Ces requêtes sont géolocalisées au Maroc, et
permettent ainsi de mesurer le pouls de la controverse et
finalement de mettre en évidence ce qui intéresse les «
vrais gens », plus enclins à utiliser Google qu’à s’exprimer
Twitter, encore que cet a priori sociologique puisse aussi
être questionné.
Comme l’indique le Google Trends (graphique n°14), lors
de la phase de cristallisation de la crise, l’intérêt se porte
sur Aziz Akhannouch, Centrale Danone, Sidi Ali et
Afriquia. Mohamed Boussaïd, ministre démissionnaire
de l’Économie, est également évoqué, mais l’intérêt qu’il
suscite est moindre par rapport aux entreprises et au
ministre de l’Agriculture. En search, il apparaît donc bel
et bien que Centrale Danone est un sujet qui suscite de
l’intérêt, fin avril et début mai, mais cela au même titre
que Aziz Akhannouch, propriétaire du groupe Afriquia,
ou encore que la marque d’eaux minérales Sidi Ali,
détenue par Miriem Bensaleh-Chaqroun à la tête de la
Confédération générale des entreprises du Maroc.
Toujours sur la même période (graphique n°15), et en ne
gardant que les protagonistes directs et indirects du
monde économique du boycott nous pouvons constater
que l’intérêt cristallisé autour de la personne
d’Aziz Akhannouch est bien plus important, tant
en termes de volumétrie relative que d’intensité
dans le temps, que celui qui est porté aux autres
acteurs.
Graphique n°14
Graphique n°15
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
23
À ce titre, nous observons que dans le cas de Danone,
l’intérêt pour Didier Lamblin, Directeur général de
Centrale Danone, et pour Emmanuel Faber, PDG du
groupe français, est relativement faible.
Un constat peut être effectué à partir de cette analyse
des tendances search marocaines : dans le cas des
entreprises marocaines l’intérêt se concentre sur le
couple « entité + dirigeant » (Afriquia + Aziz
Akhannouch, Sidi Ali + Miriem Bensaleh-Chaqroun...),
tandis que pour Danone, l’intérêt n’est pas réellement
porté aux acteurs incarnant la marque.
Les trois entreprises au cœur du boycott sont donc
appréhendées à l’aune de grilles de lecture
diamétralement différentes selon qu’elles soient
marocaines et/ou étrangères, en l’occurrence ici
française. Pour Centrale Danone une approche
purement économique, sans dimension
réellement politique, alors que pour Afriquia et
Sidi Ali le politique et l’économique apparaissent
comme inextricablement liés.
Derrière la problématique de la cherté de la vie, dont
l’objet est à questionner et qui ne fait pas expressément
le sujet de cette étude, nous percevons en filigrane
la volonté de cibler des acteurs politico-
économiques marocains de premier plan.
L’importance des crises pour les organisations et les
personnalités apparaît très souvent à traversl’historique
des consultations de leurs pages Wikipédia, et fournit un
bon pendant aux données de Google Search. Ces
consultations émanent d’utilisateurs « qui veulent en
savoir plus », de journalistes, de simples citoyens,
d’observateurs de la crise, ou de contributeurs qui
ajoutent en temps réel des informations et traduisent de
fait la publication d’articles de presse sur le sujet.
L’analyse des consultations sur la page francophone
d’Aziz Akhannouch s’inscrit ainsi en parfaite adéquation
avec les tendances relevées via l’analyse de trends sur
Google. Ce constat peut être également réalisé en
analysant les statistiques de consultation sur la version
arabe de sa page Wikipédia.
À quelques exceptions près, les pics et/ou périodes
d’intérêt sont similaires. Dans les deux cas, à partir de
mi-juin le niveau d’intérêt à l’égard du ministre de
l’Agriculture retombe sur des statistiques de
consultations que nous pourrions qualifier de normales
avec une moyenne de 100 consultations/jour contre 511
consultations/jour en période de crise (fin avril / mi- juin)
pour l’homme politique.
Ces éléments nous amènent à nous interroger sur les
fondements du mouvement de boycott, et montrent que
la seule question d’une remise en cause de la cherté de
la vie dans le Royaume ne permet pas d’épuiser
l’ensemble des interrogations et autres hypothèses à
l’égard de cet objet social difficilement identifiable, car
généré par des comptes anonymes, n’étant pas endossé
par des porte-paroles et entretenant la confusion sur ses
finalités réelles.
En termes d’analyse de l’intérêt suscité, les insights
Google Trends sont donc confirmés par les données de
consultation Wikipédia. Dès lors, fort de ce constat, à
savoir que les Marocains se désintéressent du sujet
Akhannouch à partir de mi-juin, nous devrions,
normalement, relever une décrue similaire surTwitter.
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
24
L’analyse des deux graphiques (n° 16 et 17), avec pour
chacun d’eux des échelles logarithmiques, confirme
dans les grandes lignes les tendances mises en lumière
via Google Trends, ainsi que celles mises en évidence par
l’historique de consultation de la page Wikipédia d’Aziz
Akhannouch. Par contre, ces graphiques présentent des
enseignements particulièrement intéressants
concernant les cibles du boycott.
Pour mener à bien ce travail volumétrique, nous avons
pour chacun des acteurs étudiés, récupéré de la data
historique afin de mieux mesurer l’effet avant et après le
boycott. Les requêtes ont été réalisées en français et en
arabe, en essayant au maximum d’élargir le scope pour
dresser le tableau le plus représentatif possible de l’état
de la discussion sur le sujet malgré la barrière
linguistique. A minima, les données présentées dansces
deux graphiques nous permettent de mettre à jour des
tendances et des enseignements saillants. De même, il
faut également souligner une autre limite à notre travail
de constitution de corpus : les images utilisées. De
nombreux montages et/ou infographies circulent dans la
discussion sur le boycott, notamment sur les
bouteilles d’eau minérale Sidi Ali, sur Centrale Danone
ou encore sur les personnalités ciblées. Or,en l’état, nous
ne disposons pas d’une méthodologie pertinente pour
récupérer ces images dépourvues de contenus textuels
dans Twitter.
Ces précisions méthodologiques étant faites, il nous
apparaît intéressant de constater que le ministre de
l’Agriculture marocain suscite autant de « mentions »
que Danone, Afriquia ou encore Sidi Ali. L’une de nos
craintes face à ce constat pour le moins intéressant
relevaitd’une possible polysémie liée au nom du ministre.
En filtrant et tamisant le corpus centré sur ce dernier,
nous sommes parvenus à réduire au maximum ce risque ;
et, à bien des égards, la rupture volumétrique de mi-avril
illustre parfaitement la dimension centrée de notre
corpus.
Graphique n°16
Graphique n°17
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
25
Dans le graphique synthétique n°18, nous constatons
ainsi que la discussion globale autour d’Aziz
Akhannouch représente 8% de notre corpus. Cela
est loin d’être insignifiant, et même si une personnalité
ministérielle suscite de facto des mentions neutres et/ou
non crisogènes, il n’en demeure pas moins que ce chiffre
interroge. D’autant plus que ce dernier tend à
accorder une place, non pas périphérique, mais
belle et bien centrale à Aziz Akhannouch, dans le
cadre de ce mouvement.
Graphique n°18
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
26
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
27
Sans rentrer dans les arcanes de la vie politique
marocaine, cela n’étant pas l’objet de cet article, il est
malgré tout intéressant de signaler qu’un conflit larvé
oppose depuis plusieurs mois Abdelilah
Benkirane, chef du gouvernement du Maroc de
novembre 2011 à avril 2017 et membre du PJD (Parti
delajusticeet dudéveloppement,qualifiécomme
étant « de droite » et « d’idéologie islamiste »), à
Aziz Akhannouch, président du Rassemblement
national des indépendants (RNI, positionné au centre et
se réclamant du libéralisme) depuis octobre 2016.
Benkirane, en filigrane, reproche au président du RNI
d’avoir manœuvré pour précipiter la chute de son
gouvernement l’année dernière. Ces manœuvres
politiques impulsées selon lui par le RNI, n’auraient pour
autres finalités que de propulser Aziz Akhannouch à la
tête du gouvernement ; et le chemin pour devenir chef
de gouvernement passe par une victoire aux élections
législatives de 2021.
Un article de l’édition Maghreb du HuffPost, relatant le
discours tenu par Abdelilah Benkirane devant les cadres
de son parti en février dernier, insiste tout
particulièrement sur les attaques répétées émises par
l’ancien chef du gouvernement à l’égard d’Aziz
Akhannouch, qui est « érigé comme principal
responsable du « blocage » gouvernemental » et
qui constitue, selon l’auteur de l’article, une «
figure de cristallisation » des attaques du cadre
du PJD.
Le paroxysme des attaques ciblées contre Akhannouch
est atteint lorsque Benkirane dénonce dans son
allocution le « mariage de l’argent avec le pouvoir », qui
constitue pour lui, « un danger pour l’État ». Ces critiques
qui positionnent l’actuel ministre de l’Agriculture comme
son principal opposant résonnent aujourd’hui avec
d’autant plus d’acuité. En effet, le boycott impulsé fin
avril, comme nous l’avons détaillé antérieurement, vise
essentiellement à dénoncer une symbiose appréhendée
comme malsaine entre le pouvoir politique et le monde
des affaires.
Dans une réaction en date du 27 avril, et relayée par
Yabiladi, portail francophone de la communauté
marocaine, A. Benkirane défend, tout à la fois, Centrale
Danone et les eaux minérales Sidi Ali, arguant que dans
les deux cas, les prix n’auraient pas connu de hausse
significative. Par contre, et cela est loin d’être anodin, il
déclare « comprendre » les motivations derrière
le boycott d’Afriquia, propriété d’Aziz
Akhannouch.
Nous signalons également qu’en juin 2014 (capture
d’écran ci-dessus), A. Benkirane était à l’origine d’une
campagne de boycott contre Danone, en raison de la
décision du groupe d’augmenter de 20 centimes de
dirhams le prix des yaourts produits par sa filiale Centrale
Laitière (aujourd’hui Centrale Danone).
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
28
Le dernier élément que nous souhaitions évoquer, et
même s’il ne s’inscrit pas forcément dans la continuité
logique du conflit entre ces deux personnalités de la vie
politique marocaine, concerne, pour sa part, le rôle de
Facebook dans le boycott. Les différents axes que nous
avons mis en lumière dans les différentes parties de
cette étude ont chacun, et de manière particulière et
spécifique, contribué à déconstruire une partie du
narratif du boycott marocain, tel que celui-ci se raconte
lui-même. Pour autant, ce travail analytique aboutissant
sur un travail de déconstruction, ne saurait être complet
sans aborder le cas de Facebook.
Face aux contraintes liées à l’API de la plateforme, nous
avons pris le parti de nous focaliser uniquement sur la
page la plus influente du mouvement, afin de déterminer
si l’analyse de ses publications, et plus spécifiquement
de ses métadonnées, permet de mettre à jour de
nouveaux patterns.
En 2016, comme le rapportait alors un article publié dans
LeSiteInfo, sur fond de rivalités entre les deux
protagonistes, une campagne de boycott avait été
menée semblablement à l’égard du groupe Afriquia.
Ces éléments peuvent constituer un faisceau d’indices,
qui, mis bout à bout, peuvent laisser à penser qu’une
continuité logique et politique existe entre ces différents
événements,et que, in fine, le boycott initié au printemps
ne serait qu’une énième actualisation, par entités
interposées, des antagonismes prévalant entre A.
Akhannouch et A. Benkirane.
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
29
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
30
Afin d’essayer de contourner l’obstacle de l’analyse
sémantique faute de compétence en arabe et sans
pouvoir nous appuyer sur les outils intégrés de
traduction, nous avons pris le parti d’exporter un set
d’images utilisées par la page Facebook Kifaa7 (« la lutte
»), afin de tenter de visualiser les grands axes de son
positionnement.
En analysant en détail les images utilisées dans ses
publications, nous constatons un intérêt récurrent pour
Aziz Akhannouch et Miriem Bensaleh-Chaqroun. À
l’image des illustrations présentées ci-dessus, nous
constatons que des montages sont réalisés dans
l’optique de critiquer, notamment sur un plan ironique et
comique, ces personnalités influentes de la vie politique
et économique marocaine.
Les publications montrant Aziz Akhannouch avec des
poulets sur la page Facebook datent respectivement du
12 et du 14 août. La requête Google Actu « Aziz
Akhannouch + poulet » montre que ce dernier fait l’objet
d’une fake news sur le sujet.
Dans un article publié le 28 août dernier, le quotidien
économique marocain L’Économiste révèle que l’appel
au boycott initial aurait été étendu aux volailles
importées par le dirigeant du groupe Afriquia. Selon les
propos rapportés par le quotidien marocain, les poulets
importés par A. Akhannouch en provenance des États-
Unis seraient « cancérigènes », et c’est pour cette raison
que les États-Unis seraient, dès lors, enclins à « s’en
débarrasser ». Cette fausse information tend à donner
corps à l’idée que la déstabilisation de l’establishment
marocain constitue un axe cadre du mouvement de
boycott.
Pour tenter d’appréhender l’influence de cette page, qui
est citée dans la plupart des articles sur le boycott,
comme à l’origine du mouvement (ou a minima comme
l’une des toutes premières à avoir relayé l’appel au
boycott), nous avons pris le parti d’exporter ses 999
derniers posts. Pour réaliser cela, nous avons utilisé
l’outil Netvizz, développé par l’équipe de Digital
Methods Initiative (DMI), l’un des seuls permettant pour
un chercheur de réaliser ce type d’export, et qui,
malheureusement, ne devrait bientôt plus être maintenu
en raison des nouvelles modifications de Facebook
concernant son API.
Nous avons ainsi pu retracer les publications de la page
sur un an, puisque notre corpus démarre au 1er août 2017.
Cette approche nous semble pertinente afin de mesurer
l’activité de cette page et, ce faisant, de questionner une
série d’hypothèses : avons-nous affaire à une page sortie
ex nihilo sur un sujet sensible ? Est-ce au contraire une
page animée de manière régulière et dontl’engagement
s’inscrit toujours dans des niveaux importants ?
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
31
Comme l’indique le graphique n°19, en amont de la phase
de boycott la page était animée de manière irrégulière.
Le rythme de publication se caractérise par une forme
d’oscillation, avec une alternance de pics d’émission et
des périodes de creux durant lesquelles le pageowner ne
réalise aucun post.
En revanche, une fois la phase de boycott enclenchée,
nous constatons une réelle montée en puissance du
nombre de posts émis. Sur les seules journées du 30 mai
et du 16 juillet, la page a publié plus de 12 posts. L’activité
connaît une première baisse entre le mois de juillet et
août 2018. Cette phase de baisse, si l’on s’en réfère à nos
analyses de tendances à partir de Google Trends, est
décalée d’environ un mois par rapport à l’intérêt exprimé
en search par les utilisateurs marocains. Ce fait pourrait
être appréhendé comme une volonté de la page, centrale
dans le cadre du boycott, de vouloir jouer les
prolongations, et d’essayer de redonner de l’impulsion à
un mouvement en phase de déclin.
Afin d’éliminer le risque de bruit en termes de
publications – cette page n’étant pas forcément
positionnée exclusivement sur la seule question du
boycott – nous avons filtré les publications en choisissant
de nous focaliser sur une série de mots clés renvoyant
spécifiquement au boycott. Ce filtrage sémantique,
comme nous l’avions déjà mentionné pour Twitter, est de
facto dans l’incapacité de mettre à jour des images
reprenant les codes du mouvement et/ou des phrases
s’inscrivant dans son cadre,mais quiseraient dépourvues
de l’un des mots clés de notre liste. À ce titre, il faut
appréhender le graphique n°20 avec le recul nécessaire,
et partir du principe qu’il ne peut que sous-évaluer le
nombre de publications, ayant pour thème le boycott,
émises par kifaa7.
En l’état, nous relevons 201 publications remplissant les
conditions du filtre sémantique, soit plus de 20% du
corpus étudié. Ce chiffre pourrait aisément être doublé
via un focus sémantiquebeaucoup plus précis réalisé par
un arabophone maîtrisant toutes les nuances de la
langue arabe, et surtout via une approche à même de
répondre aux écueils cités dans le paragraphe
précédent. Quoi qu’il en soit, ce chiffre est loin d’être
négligeable, et témoigne de la grande place accordée à
ce sujet.
Graphique n°19
Graphique n°20
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
32
Pour questionner davantage ces éléments, nous avons
analysé, dans les deux graphiques ci-dessus (n°21 et 22)
l’engagement réalisé par les publications de kifa7. Les
résultats présentent un motif d’étonnement évident :
hormis le post du 1er août 2017 la page a suscité,pendant
plus de 9 mois, un nombre d’engagements relativement
faible, ces derniers étant par ailleurs épisodiques.
Quelquesengagementsenoctobre, janvier et mars, mais
qui, comparés à la phase boycott ne s’inscrivent
aucunement dans un ordre de grandeur similaire.
Pour venir étayer ce constat d’une dichotomie marquée
entre les deux périodes, nous avons agrégé (graphique
n°23) le nombre d’engagements réalisés entre le 1er août
2017 et le 19 avril 2018, et, nous l’avons comparé avec le
nombre d’engagements réalisés entre le 20 avril et le 4
septembre 2018.
90% des engagements ont été réalisés pendant la phase
de boycott, soit 4 906 767 (likes + shares + comments),
contre seulement 10% pour la période précédente (563
703 engagements).
Face à ces chiffres, deux hypothèses semblent être les
plus probables, sans qu’il soit possible de trancher
absolument entre les deux :
• Marginale au début de la période étudiée, la page
a publié une publication suscitant un très fort
engagement aux origines du boycott, et ayant
déterminé et cadré le mouvement, est devenue
par la suite un hub de la campagne.
• La page a servi de plateforme de lancement au
mouvement et a accru sa communauté en
recourant à des pratiques de growth hacking
pour augmenter son nombre d’engagements :
campagnes paid ? Boucles mails ? Boucles
WhatSapp ? Achat de faux likes ? Création de
faux comptes en série pour venir partager/
liker/commenter ?
Graphique n°21
Graphique n°22
Graphique n°23
ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc
33
Ces différentes données, appréhendées à l’aune
de nos constatations réalisées sur Twitter dans la
phase liminaire de notre étude, ne vont pas sans
questionner l’existence de techniques d’influence
destinées à donner de la visibilité et de
l’importance au mouvement de boycott.
Sans aller jusqu’à accorder une primauté trop
hégémonique à la simple analyse de données par
rapport aux causes sociales, économiques et
politiques en réduisant ce mouvement à une pure
campagne d’astroturfing, il nous paraît malgré
tout que l’ensemble des éléments présentés
supra questionne tout aussi bien la dimension
spontanée et populaire du mouvement, la nature
réelle des acteurs à son origine et surtout ses
objectifs sous-jacents et sonvéritable agenda.
CONCLUSION

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Astroturfing et fake activism : la dynamique cachée du boycott au Maroc

  • 1. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM la dynamique cachée du boycott au Maroc Septembre 2018
  • 2. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 2 SOMMAIRE Méthodologie.......................................................................4 Des comptes Twitter ont-ils été créés spécifiquement pour accroître la visibilité du boycott ? ................................6 Les néo-arrivants de 2018 sont-ils plus influents que les comptes créés en 2011 ? ...........................................9 @ManCha7t, compte archétypique du fake activist ou activiste hyperactif ?......................................................14 @ManCha7t, acteur isolé ou simple face émergée d’un écosystème plus dense ?.............................................18 Sidi Ali, Danone et Afriquia, des entités appréhendées à l’aune de grilles de lecture convergentes... et diamétralement différentes ................................................21 Par-delà la cherté de la vie marocaine, le coût du lait, de l’eau minérale ou encore de l’essence, fautil voir une volonté de la part de certains acteurs politiques de cibler spécifiquement l’actuel ministre de l’Agriculture ? ............ 26 Kifaa7, un hub relativement trouble du mouvement de boycott sur Facebook.................................................... 29 Conclusion .........................................................................33
  • 3. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 3 Ces derniers mois, plusieurs articles parus dans la presse nord-africaine et française se sont fait l’écho de la campagne de boycott sans précédent qui agite la société marocaine depuis avril dernier. Caractéristique particulière de ce mouvement qui pourrait faire écho aux « Printemps arabes » de 2011, celui-ci est né sur les réseaux sociaux, sur Facebook et Twitter notamment, et a très certainement été amplifié par des boucles sur des messageries privées comme WhatsApp ou Telegram, dont l’utilisation est très populaire dans le royaume chérifien. Cette campagne de boycott cible spécifiquement trois entités économiques : les eaux minérales Sidi Ali, le leader marocain des hydrocarbures Afriquia et Centrale Danone, l’ex-Centrale Laitière, filiale du groupe Danone, spécialisée dans les produits laitiers. La cherté de la vie apparaît comme l’axe structurant du discours porté par les acteurs du mouvement à l’égard desdeuxentreprisesmarocainesetdelafilialed’ungrand groupe agroalimentaire français. Or, la grille de lecture qui tend à réduire ce mouvement à un simple phénomène social, résultant d’une série de facteurs d’ordres purement sociaux et économiques, paraît très réductrice par rapport aux conditions de sa genèse sur les réseaux sociaux. Si le boycott est communément présenté comme une réponse à l’inflation du coût de la vie, l’étude de la conversation sur les réseaux sociaux montre que cette dimension ne saurait à elle seule rendre raison de cet objet social aux contours complexes. Ce mouvement, même si le terme peut sembler peu pertinent au sens où aucun leader et/ou aucune entité politique/associative n’a revendiqué la paternité du boycott, est un objet politique non identifié. Son côté inqualifiable découle en grande partie du flou relatif à ses origines, dont les raisons sont potentiellement multiples. Après tout, et c’est un truisme que de le rappeler, on ne milite pas de la même manière dans une démocratie occidentale que dans un pays monarchique, classé 135e sur 180 au classement de la liberté de la presse par Reporter sans frontières, et dans lequel le roi n’est ni plus ni moins que le Commandeur des croyants. Ayant suivi de loin les premiers mois du mouvement à travers les articles parus dans la presse française (Le Point et Libération notamment), nous avons commencé à nous intéresser au sujet lorsque ce dernier commençait à revêtir une dimension digitale entrant en résonance avec nos sujets de recherche sur l’influence des réseaux sociaux dans les débats publics. Début août, un article paru dans Le Point a ouvert des perspectives et des lignes de fuites sur cette fronde sociale. Intitulé « Des cyberactivistes font vaciller le Royaume du Maroc », l’article de Luc de Barochez, envoyé spécial à Rabat et à Casablanca, met notamment l’accent sur le côté professionnel des acteurs à l’origine de la diffusion du mouvement sur les réseaux sociaux. Ce constat, en apparence anodin puisque tout mouvement social digne de ce nom a logiquement des structures et/ou des officines à même de gérer son influence digitale, vient en réalité prendre à rebours une partie du narratif jusque-là répandu à l’égard de la campagne de boycott. L’existence même de cette campagne qui se passe de porte-parole identifié, tout comme son origine obscure sur le Web et l’importance donnée aux réseaux sociaux pour s’entretenir, suscitent de nombreuses questions. Derrière la fronde sociale, faut-il en réalité y voir une fronde essentiellement, voire uniquement, politique ? Plusieurs observateurs ont noté que les produits visés par le boycott – eau minérale, essence, produits laitiers - n’étaient pas des produits de consommation courante des classes les plus pauvres de la population marocaine, pourtant les plus touchées par le renchérissement du coût de la vie. Le social pourrait-il donc servir de prétexte voire d’écran de fumée permettant de dissimuler des finalités et des manœuvres politiques/politiciennes ? De même,et ce point constituera le fil rouge de notre travail, l’activisme de professionnels du Web et des réseaux sociaux, pour reprendre les enseignements du papier du Point, ne serait-il pas des indices du déploiement de stratégies de fake, voire d’astroturfing ?
  • 4. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 4
  • 5. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 5 Afin de rentrer dans le sujet, nous avons constitué un corpus est de 37 252 tweets uniques, qui est basé sur une série de requêtes arabes, françaises et anglaises destinées à capter de la manière la plus large possiblela discussion sur le boycott impulsé par des activistes au Maroc.Ces tweets ont été émispar11 149 utilisateurs uniques. Pour les requêtes françaises nous avons recueilli la data sur « Maroc boycott », en anglais sur « Morocco boycott » et en arabe sur « ‫ا‬‫ﻣ‬‫ﻠ‬‫ﻐ‬‫ﺮ‬‫ب‬ ‫ﻣ‬‫ﻘ‬‫ﺎ‬‫ط‬‫ﻌ‬‫ﺔ‬ » (qui signifie «boycottMaroc»,avecexclusionde ‫إ‬‫ر‬‫ﺳ‬‫ﺎ‬‫ﺋ‬‫ﯿ‬‫ﻞ‬ ,poursupprimer le bruit lié au mouvement BDS dirigé contre les produits israéliens). « ‫ﻣ‬‫ﻘ‬‫ﺎ‬‫ط‬‫ﻌ‬‫ﻮ‬‫ن‬ », qui signifie boycotteurs, et qui constitue le principal mot clé de ralliement des activistes a également été récupéré, de même que « ‫ﻋ‬‫ﯿ‬‫ﻞ‬ _ ‫ﺳ‬‫ﯿ‬‫ﺪ‬‫ي‬ » (Sidi Ali, du nom d’une marque marocaine d’eau minérale, propriété de la riche famille marocaine des Bensaleh, et qui est ciblée par les boycotteurs). Nous avons également récupéré les données sur « ‫ﺳ‬‫ﻨ‬‫ﻄ‬‫ﺮ‬‫ا‬‫ل‬ ‫د‬‫ا‬‫ﻧ‬‫ﻮ‬‫ن‬ » (Centrale Danone), même si cette requête s’avère relativement peu conversationnelle et sur une série de requêtesde co-évocations entre la marque française et le mouvement.Nous avonsprocédédemêmepour Afriquia, à la nuance près que le mot arabe de l’entité apparaît comme trop polysémique, et nous avons croisé les données afin de restreindre au maximum le bruit. À certains moments de l’étude, nous avons réalisé des focus sur des personnalités, en l’occurrence Aziz Akhannouch (Président du RNI, Rassemblement national des indépendants, ministre marocain de l’Agriculture et de la Pêche maritime et homme d’affaires) et, de manière plus périphérique, Mohamed Boussaïd (ministre de l’Économie et des Finances qui a été limogé par le Roi le 1er août dernier). Ces différentes requêtes agrégées permettent de constituer un corpus relativementdense et représentatif de la structuration de la conversation surTwitter. Certes, il ne prétend pas être exhaustif, et disposant d’une lecture limitée de la langue arabe et de sa transcription en alphabet latin (surnommé « arabi» ou « arabizi»), nous n’avons pas eu la capacité de composer un scope de requêtes plus étendu et potentiellement plus complexe afin de récupérer la longue traîne de la conversation. Du reste, nous sommes convaincus que l’objectif de visibilité. Maximale poursuivi par les promoteurs du mouvement permet de saisir les grandes lignes de la mobilisation par le biais de hashtags facilement identifiables (les plus populaires), en satisfaisant de manière plus que nécessaire aux impératifs méthodologiques minimums de cette analyse. La conduite de l’étude et l’analyse de ces résultats nous ont confortés a posteriori dans cette conviction. Conscients que Twitter ne saurait permettre d’analyser dans son ensemble un mouvement aussi étendu, nous avons introduit une dimension Facebook en analysant l’activité et les publications émises par la page Kifaa7, appréhendée souvent comme à l’origine du mouvement ou, du moins, comme ayant joué un rôle décisif dans sa diffusion. Enfin, et en complément, nous avons utilisé les données Google Trends et les statistiques de consultation Wikipédia sur des pages spécifiques pour tester en amont certaines hypothèses, avant de les approfondir via une analyse plus poussée desdonnées. Notre travail d’analyse sur les utilisateurs a essentiellement consisté à analyser des métadonnées pouvant être récupérées par l’API Twitter : nombre de followers, nombre de tweets, année de création d’un compte... Nous n’avons procédé à aucune typologie de tweets en fonction de critères politique, social ou encore syndical, ni à aucun classement d’aucune sorte sur des critères qualitatifs. Autant que faire se peut, nous avons accordé la primauté aux données agrégées sur les utilisateurs. Il peut en résulter une certaine impression d’aridité, mais cette démarche ne limite en rienl’analyse et n’obère pas les axes pouvant être mis à jour. Elle a par ailleurs le mérite de ne pas mettre l’emphase, autant que faire se peut, sur des individus. Nous ne publierons ni ne communiquerons aucun listing et/ou corpus brut avec cette étude, que ce soit de manière publique et/ ou privée. Nous restons disponibles pour répondre à toute réclamation ou à toute question relative à notre méthodologie, au respect de la vie privée et à la sécurité des données à l’adresse mail suivante : etudes@ids- partners.com.
  • 6. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 6
  • 7. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 7 L’année de la date de création des comptes Twitter est une approche par pattern particulièrement efficace pour mettre à jour des logiques de growth hacking et d’astroturfing dans le cadre d’une discussion et/ou d’une controverse. Dans bien des cas, cet indicateur s’avère déceptif, car les acteurs, notamment les officines, les militants et/ou les lobbyistes digitaux,sont particulièrement conscients des risques inhérents au fait de créer en un laps de temps resserré une série de comptes Twitter. De facto, si cet indicateur constitue une étape obligatoire dans le cadre d’une analyse de controverse, le plus souvent, il ne permet de mettre à jour aucun élément saillant. Or, dans le cadre de la conversation sur le boycott au Maroc, force est de constater qu’une corrélation, que nous approfondirons et dont nous testerons jusqu’au bout la validité dans le cadre de notre étude, se dessine très nettement. De manière purement quantitative, nous constatons que c’est en avril et en mai 2018 qu’ont été créés une importante partie des comptes actifs dans le cadre de la discussion sur le boycott. En effet, 295 comptes ont été créés en avril et 219 l’ont été au mois mai. En mars, ce sont 163 comptes qui ont été créés et en juin nous en dénombrons 140. De fait, 817 comptes qui ont pris participé à la discussion sur le sujet ont été créés en l’espace de 4 mois. Ce constat peut être visualisé avec le graphique n°1 qui présente le nombre de comptes créés par mois. Dans un souci de visibilité, la même variable « n », relative au nombre de comptes créés, est portée en abscisse et en ordonnée. Certes, il ne s’agit pas de tirer des conclusions hâtives, d’autant qu’un mouvement revêtant une dimension tout à la fois sociale et politique est à même de contribuer à la socialisation digitale de certains individus, notamment les jeunes, qui, par le biais d’une technologie qu’ils maîtrisent couramment et pour un coût social modéré, peuvent faire leurs premiers pas dans le militantisme par le biais des plateformes digitales. A contrario, des acteurs plus âgés peuvent aussi prendre conscience que les réseaux sociaux constituent, d’une certaine manière la poursuite de la lutte par d’autres moyens. D’ailleurs, il est intéressant de mettre en perspective deux dates mises à jour par le graphique n°1 pourvenir questionner la problématique de l’astroturfing. Les comptes créés en février 2011, et qui ont été actifs dans le cadre de la discussion sur le boycott, sont au nombre de 255. Cette période correspond précisément au début des Printemps arabes au Maghreb, avec les répercussions politiques que l’on sait. Cette vague de création de comptes en 2011, à une époque où, si Twitter Graphique n°1
  • 8. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 8 est déjà beaucoup utilisé, il n’en reste pas moins l’apanage d’une frange relativement restreinte de la population. Celle-ci s’explique en grande partie par la découverte par toute une génération des potentialités inhérentes aux réseaux sociaux dans le cadre de la médiatisation de leur lutte politique au quotidien. Ce mouvement de bascule de février 2011,s’explique ainsi davantage par une prise de conscience aigüe du rôle des réseaux sociaux que par la magnitude, aussi importante fût- elle, du momemtum politique qui prévalait alors. Or, à bien des égards, cette grille de lecture qui valait pour 2011 s’avère être pour le moins inopérante en 2018. Aux quatre coins du monde, les militants politiques et associatifs ont pris depuis déjà longtemps conscience du rôle cadre de Twitter en tant que réseau social de framing d’une controverse et de médiatisation d’une thématique auprès de décideurs, de journalistes et autres influenceurs. Ce faisant, il est pour le moins étonnant que 817 comptes puissent opportunément être créés alors qu’une crisepolitique se structure au Maroc. Comme le montre le tableau ci-contre, le contingent des nouveaux arrivants de 2018 actifs dans la discussion sur le boycott n’est pas loin de faire armes égales avec le groupe d’utilisateurs dont l’arrivée sur Twitter date de l’année 2011. Les néo-utilisateurs marocains des 9 premiers mois de l’année 2018, avec un phénomène de boycott pourtant loin d’être comparable au mouvement ayant touché le monde arabe il y a 7 ans, ont quasiment été aussi nombreux à être enclins à créer des comptes qu’au temps des Printemps. De nombreuses variables peuvent venir pondérer ce constat, mais quoi qu’il en soit ces chiffres sont loin d’être anodins.
  • 9. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 9
  • 10. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 10 Pour venir questionner cette hypothèse, il est intéressant de comparer la part de voix (poids de l’ensemble des tweets organiques émis par un groupe donné au sein d’un corpus) respective des comptes arabophones créés en 2011 et ceux créés en 2018. Pour sélectionner les comptes arabophones, responsables de l’émission de 19 643 tweets (sur un corpus de 37 252 tweets), nous nous basons sur les données renvoyées par l’API Twitter ; cette dernière procédant de manière relativement précise à une classification par langue des tweets. Évidemment, nous n’affirmons pas que la totalité des comptes créés sur ces deux périodes sont forcément mus par des logiques militantes et politiques, mais à n’en pas douter, une frange significative de ces derniers est animée par des visées d’ordre politique, se traduisant par des logiques de militantisme en ligne, de framing et de mise à l’agenda de ses propres thématiques. Comme le montre le graphique n°2, les néo-arrivants arabophones de 2018 ont émis davantage de tweets uniques (2 993 publications) que les « historiques » arabophones de 2011 (2 481 publications). En d’autres termes, même si ces deux catégories sont loin d’être des blocs homogènes et monolithiques, l’activité des comptes créés lors des Printemps arabes peineà rivaliser avec lanuéede comptes créés, en grande partie, dans le cadre de la campagne deboycott. En analysant (graphique n°3) l’engagement (retweets + likes) suscité par ces deux groupes d’utilisateurs, nous constatons que ce sont les néo-utilisateurs de 2018 qui surpassent notablement de 1 point les utilisateurs « historiques » de 2011, qui bénéficient pourtant de communautés plus établies liées à leur ancienneté. Alors certes, on pourrait objecter, qu’en période de cristallisation politique (campagnes électorales ou événements d’actualité par exemple), il est possible de susciter un engagement hors-norme sur Twitter, et que, de la sorte, des comptes sans réel background et sans réelle influence, sont en capacité de positionner des tweets en Top Tweets. Mais, a minima, fort de ce constat, nous pouvons également mettre en avant un élément : les utilisateurs« historiques», ceuxqui ont« fait » le Printemps arabe sur les réseaux sociaux n’ont pas été déterminants en termes de cadrage et d’impact par rapport auxnéo-utilisateurs. Graphique n°2 Graphique n°3
  • 11. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 11 L’analyse du nombre de followers (graphique n°4) des comptes arabophones met également à jour un autre pattern, à savoir que les comptes créés en 2018 se caractérisent notamment par un nombre très faible de followers. 483 comptes créés en 2018 ont ainsi moins de 50 followers, contre 236 pour ceux créés en 2011. Alors certes, d’aucuns peuvent objecter que la temporalité, à savoir un écart de plus de sept ans, explique en grande partie cette disparité. Pour essayer de répondre à cette hypothèse, nous avons réalisé un graphique (graphique n°5) qui étudie le lien entre le nombre de tweets émis concernant le boycott et le nombre de followers des comptes en question. Deux utilisateurs se distinguent tout particulièrement, en l’occurrence @ManCha7t et @xzaouli, en raison de leur hyperactivisme en termes d’émission, plus qu’en raison de leur nombre de followers puisqu’ils ont respectivement 57 et 179 followers. À noter que, comme dans la plupart des graphiques de cette étude, et dans un souci de visibilité, l’échelle utilisée en ordonnée est une échelle logarithmique. Les utilisateurs cartographiés dans la partie gauche du graphique n°5 sont ceux ayant émis plus de 10 tweets sur le boycott. Force est de constater qu’un grand nombre de ces comptes ne dispose que d’un faible niveau de followers. Par exemple, aucun ne dépasse les 1 000 followers, chiffre symbolique s’il en est sur Twitter, à partir duquel un compte peut être appréhendé comme à même d’exercer une certaine influence sur sa communauté. Graphique n°4 Graphique n°5
  • 12. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 12 Autre élément de comparaison entre les deux groupes d’utilisateurs, nous constatons un parallélisme particulièrement marqué en termes d’activité éditoriale. À quelques exceptions près, nous constatons que l’appréhension de l’événement, notamment en termes d’opportunités éditoriales, est relativement similaire entre les deux effectifs. Le reflux initié mi-juin se retranscrit dans l’activité des deux groupes, même si, et c’est un élément intéressant, nous constatons qu’alors que les utilisateurs de 2011 se désintéressent progressivement de la question, ceux de 2018, notamment à la fin du mois de juin, essayent de relancer un activisme en déclin. À titre informatif, et en élargissant le scope à l’ensemble des comptes de nos corpus, nous constatons que ce parallélisme, en dépit de quelques phases dissonantes, se retrouve pour l’ensemble des comptes créés depuis 2011, comme le montre le graphique n°7. On pourrait objecter que ce parallélisme en termes d’activité ne résiste pas à un mapping accordant la primauté à la question de l’engagement. Après tout,nous pourrions aisément partir du postulat que la symbiose entre un compte ancien (ici datant de plus de 7 ans) et disposant d’un nombre moyen de followers supérieur au nombre moyen de followers relevé sur le groupe des users créés en 2018, devrait donner un avantage net aux plus anciens, comme cela se vérifie la plupart du temps sur Twitter où la taille des communautés se révèle déterminante. Pourtant, comme l’indique le graphique n°8, force estde constater que les utilisateurs de 2018 font jeu égal avec ceux créés en 2011 en matière d’engagement. La prime à l’ancienneté ne donne pas à ces derniers un avantage sur les néo-arrivants dont une partie a été créée quelques mois seulement avant le déclenchement du boycott. Graphique n°6 Graphique n°7 Graphique n°8
  • 13. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 13 Fort de ces différents constats, il nous paraît important de nous intéresser en particulier aux comptes ayant été créés en amont du déclenchement effectif du boycott, notamment en mars et avril 2018. Afin de problématiser davantage cette question, il peut être intéressant de mettre en perspective les différentes périodicités de création de comptes relevées précédemment avec les trends de requêtes que propose Google. Pour ce faire, nous avons utilisé Google Trends à partir d’une géolocalisation au Maroc, en testant notamment la requête ‫ة‬‫ﻋ‬‫ﻄ‬‫ﺎ‬‫ﻗ‬‫ﻢ‬ qui signifie « boycott » en arabe. Le graphique est particulièrement révélateur, et met à jour une accélération brutale des requêtes à partir du 20 avril. L’intensité des requêtes se concentre sur un peu plus d’un mois, et décline progressivement à partir du 20 mai, avec cependant deux pics d’intérêt, de moindre importance néanmoins, le 29 mai et le 10 juin. À l’aune du graphique n°9, nous avons bel et bien une rupture de temporalité entre Twitter et Google. En d’autres termes, l’activisme sur Twitter, se matérialisant ici par la création en série de comptes en amont du déclenchement du boycott, a précédé la survenue effective du mouvement de boycott. À ce stade de l’analyse, nous pouvons considérer cet élément comme à même d’étayer l’idée qu’en amont du mouvement de boycott certains utilisateurs et/ou officines ont pu être enclins à constituer une petite armée digitale à mêmed’accorder davantage de visibilité au mouvement, si ce n’est à mettre celui-ci à l’agenda du débat public. Graphique n°9
  • 14. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 14
  • 15. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 15 L’utilisation de Twitter comme espace de la visibilisation du mouvement, là où Facebook aurait davantage joué un rôle organisationnel auprès de pans plus globaux de la population marocaine, peut notamment être mise en lumière en analysant les tweets émis par le compte @ManCha7t. Sur les 852 tweets qu’il a émis, ce dernier a utilisé à 778 reprises le # ‫ﻧ‬‫ﻮ‬‫ﻋ‬‫ﻄ‬‫ﺎ‬‫ﻗ‬‫ﻢ‬ , quisignifie #boycotteurs en arabe, et qui a constitué l’un des hashtags de ralliement les plus utilisés tout au long du mouvement. Comme le montre le graphique n°8, cet utilisateur unique a utilisé ce hashtag plus de 30 fois lors de 6 journées spécifiques à savoir : le 27, le 28, le 29 et le 30 avril, ainsi que les 2 et 3 mai. L’analyse des sources d’émission de ce compte ne tend pas à mettre à jour un compte bot, puisque les tweets sont pour la plupart émis par le biais d’une version de Twitter pour mobile et, dans une moindre mesure directement via une version pour ordinateur. Si cela donne à penser que ce compte spécifique n’est pas un bot, à savoir un script codé pour exécuter un certain nombre d’actions préétablies, il n’est malheureusement pas possible de déterminer si ce compte n’est pas, dans les faits, piloté par plusieurs utilisateurs. En effet, il est tout même significatif de constater que lors de la journée du 30 avril, cet utilisateur a émis 89 tweets organiques avec ce hashtag. Les 29, 27 et 28 avril, il a respectivement émis 60, 51 et 45 tweets organiques reprenant le hashtag lié au mouvement de boycott. Ce compte, créé le 25 avril 2018, trouve dans le boycott sa principale raison de vivre, en témoignent ses plus de 91% de tweets avec le ‫ﻧ‬‫ﻮ‬‫ﻋ‬‫ﻄ‬‫ﺎ‬‫ﻗ‬‫ﻢ‬ #. Comme le montre le tweet ci-dessus, en date du 1er mai, cet utilisateur est enclin à répondre aux autres utilisateurs, ici une chanteuse marocaine, qui se questionne sur les intentions des comptes créés spécifiquement pour l’occasion. Dans le cadre de sa réponse, il explique que ces créations de comptes sont faites pour soutenir « leurs frères ». Graphique n°10
  • 16. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 16 Deux constats découlent de cette réponse : 1. Le compte pourrait être piloté par un « marocain » francophone, vivant en dehors du pays. Cela poserait alors des questions en termes d’« ingérence étrangère » émanant d’acteurs de la diaspora. 2. Le compte se place délibérément du côté des soutiens, et d’une certaine manière, des spectateurs du boycott. Il ne se présente pas comme un acteur concret, au sens de non virtuel, mais plutôt comme s’inscrivant dans le cadre d’une logique de caisse de résonance. Autre élément intéressant, l’analyse de ses premiers tweets, notamment celui ci-dessus en date du 26 avril, écrit en français, alors que ce dernier est majoritairement arabophone, est loin d’être anodin. La logique d’interpellation du compte corporate international de Danone et de celui en français est très stéréotypée, comme en témoigne l’utilisation du « cordialement », et cherche à susciter l’attention des Community Manager des deux comptes de la marque d’agroalimentaire. Si ce dernier tweet n’a pas suscité d’engagement, nous pouvons cependant émettre une hypothèse : le fait de mentionner les @ des comptes de Danone s’inscrit dans le cadre d’une stratégie de mise sur l’agenda de la problématique marocaine. En d’autres termes, et c’est un phénomène jusque-là relativement peu exploré, mais avec la technisation croissantedela gestion des conversationssur lesréseaux sociaux, notamment via des outils de monitoringcomme Talkwalker ou Visibrain,des analystes sont constamment en veille sur les interpellations sensibles pour détecter les signaux émergents d’une crise. Les services de veille sont à l’affût des signaux faibles, à savoir ces contenus en apparence périphériques, ne revêtant qu’un engagement faible, mais qui, en réalité, sont les premières pierres d’un édifice conversationnel en puissance. Les experts en opinion digitale ne sont pas censés rater ce type d’interpellations. Ces mentions qualifiées de sensibles sont traitées via un process clairement établi qui se compose du triptyque suivant : Inscription dans un listing → alerting du client → focus dans le temps Dès lors, l’approche utilisée dans le tweet de @ManCha7t peut contribuerà donner corps à l’idée qu’un (ou des) professionnel(s) de la communication digitale, au fait du fonctionnement des services de veille des entreprises, sont ici à la manœuvre. À ce titre, dans son édition du 15 août, l’hebdomadaire Le Point, dans le cadre d’une étude réalisée par Luc de Barochez, envoyé spécial à Rabat et à Casablanca, pointait déjà du doigt le fait que la phased’amorçage du mouvement se caractérisait, dès le20 avril, par des pratiques communicationnelles ressortant davantage du marketing d’influence et de la communication digitalemaîtriséepar des experts du numérique. Si nous n’excluons donc pas l’hypothèse d’acteurs experts du numérique engagés dans la conversation sur le boycott, quid dès lors des chiffres (KPI) et de l’impact concret de ces opérations d’astroturfing ? Depuis sa création @Mancha7t a suscité 1 572 engagements (likes + retweets). Un chiffre loin d’être négligeable surtout lorsque nous prenons en compte le fait qu’au Maghreb, le réseau populaire, qui rassemble les différentes franges sociologiques, est sans conteste Facebook.
  • 17. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 17 De même, ce chiffre n’est pas le fruit d’un one shot résultant d’un tweet ayant suscité un fort niveau d’engagement. Au contraire, nous relevons 19 journées au cours desquelles ce compte a réalisé plus de 30engagements. (Graphique n°11) Quoi qu’il en soit, et comme l’indique la capture d’écran ci-dessus qui présente le nombre de followings et de followers de ce compte, nous pouvons voir précisément que nous avons davantage affaire à un utilisateur hyperactif désireux de pousser au maximum le hashtag des boycotteurs, en flirtant parfois avec les limites du spamming qui n’est pas exempt de répercussion sur Twitter, qu’à un militant cherchant à positionner durablement un compte Twitter. Les comptes avec 0 abonnement ne sont pas légion sur Twitter. Certes, on peut retrouver des exemples de comptes ultra sélectifs en termes de followings, comme dans le cas d’Edward Snowden ou de Mahmoud Ahmadinejad qui ne suivent tous les deux qu’un seul et unique compte, ou encore de Donald Trump et d’Elon Musk qui ne suivent tous deux qu’une petite liste de comptes au regard de leur grand nombre d’abonnés et de leur activité sur le réseau social. Cela est beaucoup plus rarement le cas de particuliers, dont les usages de Twitter sont souvent plus orientés vers les relations sociales et la veille que la seule publication de messages. Quant à l’iconographie du compte @ManCha7t, elle ne témoigne pas d’une volonté manifeste d’accorder une identité et une personnalité au compte – même si sur ce point précis, il convient de prendre en compte la spécificité de la situation marocaine rappelée en introduction, qui pourrait expliquer que des activistes soient davantage enclins à masquer leur identité. Même si son nombre d’abonnés est restreint, avec uniquement 57 followers, une analyse par pattern peut malgré tout être réalisée. Et comme l’indique le graphique ci-dessous, la plupart des followers de ce compte sont également des comptes créés en vue du boycott. 8 comptes ont été créés en mai, 5 en avril et 2 en février. 26% des followers, soit 15 utilisateurs, de @Mancha7t ont donc rejoint Twitter en 2018. En elle-même, cette corrélation, à l’instar de celles que nous avons mises à jour antérieurement ne permet pas de conclure de manière absolue que cet utilisateur est l’archétype du fake activist engagé dans une campagne d’astroturfing. Pour autant, l’accumulation d’éléments saillants présentés supra contribue grandement à étayer cette hypothèse. Graphique n°11
  • 18. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 18
  • 19. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 19 C’est la question légitime qui pourrait ressortir de ce focus sur cet utilisateur. Finalement, par-delà les différents éléments que nous avons pu étudier, ce dernier pourrait très bien, dans les faits, constituer un cas particulier et atypique de la discussion globale autour du boycott marocain. Pour essayer de questionner cette hypothèse, nous avons récupéré le listing des comptes créés en avril 2018 et actifs dans la discussion sur le boycott. À partir de la liste de comptes que nous avons récupérés, nous avons établi le classement de ceux qui ont été les plus actifs. À partir de ce calcul, nous avons isolé les 7 comptes les plus actifs, et, via l’API Twitter, nous avons recueilli leurs 3 200 derniers tweets. En réalisant cette démarche, nous sommes partis d’une hypothèse théorique relativement simple : alors que nous avons mis à jour un pattern en termes de création de comptes, il est fort probable que ces créations aient répondu à une logique purement centrée sur le mouvement politico-social. Comme le montre le graphique n°12, dont l’échelle de l’ordonnée est logarithmique afin de faciliter la lecture, la plupart de ces comptes ont été actifs en même temps, et à quelques exceptions près, ont diminué en termes d’activité au même moment, à savoir sur la période charnière de juin/juillet. Le mimétisme en termes d’activité sur certains des comptes ici représentés constitue un pattern particulièrement notable. Par exemple, comme nous pouvons le constater avec le graphique n°13, qui isole et compare l’activité de @ManChat7t et @wahatalmaarifa, une partie importante deleurs courbes d’activité respective se recouvre. Concernant ce dernier compte, l’iconographie ne laisse aucun doute quant au positionnement de ce dernier et à sa finalité. La comparaison avec @ManChat7t fait également ressortir un pattern qui doit peu au hasard : dans les deux cas, la photo de profil est une simple reprise de la photo de couverture. Cela témoigne de comptes créés à la chaîne, pour lesquels, à dessein, le créateur a décidé de ne pas perdre trop de temps dans la personnalisation et le travail d’attribution d’identités distinctives. Graphique n°12 Graphique n°13
  • 20. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 20 Par ailleurs, ces comptes, qui disposent pourtant de communautés très restreintes en termes de followers (respectivement 57 et 101 abonnés), ont néanmoins 13 utilisateurs en commun (dont 4 comptes créés en 2018). Parmi les followers en commun, l’auteur de ce tweet, qui angle notamment sa critique contre les réminiscences de la colonisation française sur l’économie et le pouvoir politique marocain, est intéressant à analyser. Dans un tweet publié le 1er juin, il adresse son soutien au prédicateur belgo-marocain Tarik Ibn Ali, emprisonné en Espagne depuis près d’un an, après avoir été arrêté en juin 2017 à Birmingham,car soupçonné d’êtreun recruteur de Daech. L’analyse des tweets émis par un autre abonné de @wahatalmaarifaet @ManChat7t montre que ses tweets en faveur du boycott critiquent moins la cherté de la vie au Maroc que la classe politique marocaine, appréhendée comme corrompue et au service de l’étranger (la France ou les États-Unis), ou encore le roi Mohammed VI. Les prises de position de @0rwFxquhdPloVrv se caractérisent par une certaine virulence, et son premier tweet publié le 31 mai, parle pêle-mêle des « sionistes », des « dirigeants corrompus » et dénonce l’impact de la guerre contre le terrorisme dans la pratique de l’islam. Comme l’illustre le tweet ci-après comparant le traitement des musulmans au Maroc (avec une photo montrant prétendument des militaires dans une mosquée) opposé à une vision idyllique d’une mosquée turque, l’axe religieux semble occuper une part déterminante dans la grille de lecture politique et sociale de cet utilisateur. À noter que sur son compte Twitter, il se déclare comme originaire de Tétouan, une ville située dans la partie septentrionale du Maroc, qui, comme l’indique un article paru dans le Desk et repris par le Courrier International, se caractérise par la présence de nombreux « foyers paupérisés »,et qui a constitué un « foyer de recrutement pour Daech en Syrie et en Irak » du fait de la présence de nombreux militants islamistes. Cette information est donnée à titre purement informatif, et ne saurait, bien évidemment, préjuger de l’idéologie politique et/ou religieuse de cet utilisateur.
  • 21. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 21
  • 22. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 22 Les trois marques visées dans le cadre du boycott marocain sont Sidi Ali, Danone et Afriquia. Le choix des cibles n’a évidemment rien d’anodin, et, à travers les entités ainsi que les personnalités mentionnées sur Twitter, nous pourrions potentiellement appréhender de manière plus fine certains des ressorts d’actions des activistes. Pour ce faire, nous avons récupéré spécifiquement de la data sur ces entités, en français et en arabe. À partir de ces tweets, nous avons voulu déterminer de quelle manière l’évolution de la volumétrie associée à chacune d’elles pouvait constituer un indicateur pertinent. Du fait de leur visibilité dans cette crise, nous avons aussi décidé d’inclure dans notre analyse les différents dirigeants de ces sociétés : la Présidente de la Confédérationgénérale des entreprises du Maroc, Miriem Bensaleh-Chaqroun, ainsi que l’ex- ministre de l’Économie Mohamed Boussaïd (démissionnaire, pour des raisons toujours inexpliquées, seloncertainsobservateursdelaviepolitiquemarocaine). En d’autres termes, nous sommes partis d’une hypothèse que nous cherchions à confirmer et/ou à infirmer, et qui consistait à se demander si l’ensemble des trois marques et personnalités ci-dessus ont subi un traitement identique dans le temps, ousi, au contraire,une emphase spécifique était davantage mise sur un acteur. On le sait, dans tous conflits, dans toutes situations conflictuelles, il y a les cibles définies en amont et autour desquelles un mouvement s’organise, et celles plus opportunistes qui se dégagent en fonction de l’actualité. À cette typologie de cibles, il faudrait ajouter une dernière catégorie relative aux cibles servant d’écran de fumée et de leurre. Pour ce faire, une première manière de tester cette hypothèse consiste à réaliser un Google Trends pour mesurer la pression en search sur une série d’items. Ces requêtes sont géolocalisées au Maroc, et permettent ainsi de mesurer le pouls de la controverse et finalement de mettre en évidence ce qui intéresse les « vrais gens », plus enclins à utiliser Google qu’à s’exprimer Twitter, encore que cet a priori sociologique puisse aussi être questionné. Comme l’indique le Google Trends (graphique n°14), lors de la phase de cristallisation de la crise, l’intérêt se porte sur Aziz Akhannouch, Centrale Danone, Sidi Ali et Afriquia. Mohamed Boussaïd, ministre démissionnaire de l’Économie, est également évoqué, mais l’intérêt qu’il suscite est moindre par rapport aux entreprises et au ministre de l’Agriculture. En search, il apparaît donc bel et bien que Centrale Danone est un sujet qui suscite de l’intérêt, fin avril et début mai, mais cela au même titre que Aziz Akhannouch, propriétaire du groupe Afriquia, ou encore que la marque d’eaux minérales Sidi Ali, détenue par Miriem Bensaleh-Chaqroun à la tête de la Confédération générale des entreprises du Maroc. Toujours sur la même période (graphique n°15), et en ne gardant que les protagonistes directs et indirects du monde économique du boycott nous pouvons constater que l’intérêt cristallisé autour de la personne d’Aziz Akhannouch est bien plus important, tant en termes de volumétrie relative que d’intensité dans le temps, que celui qui est porté aux autres acteurs. Graphique n°14 Graphique n°15
  • 23. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 23 À ce titre, nous observons que dans le cas de Danone, l’intérêt pour Didier Lamblin, Directeur général de Centrale Danone, et pour Emmanuel Faber, PDG du groupe français, est relativement faible. Un constat peut être effectué à partir de cette analyse des tendances search marocaines : dans le cas des entreprises marocaines l’intérêt se concentre sur le couple « entité + dirigeant » (Afriquia + Aziz Akhannouch, Sidi Ali + Miriem Bensaleh-Chaqroun...), tandis que pour Danone, l’intérêt n’est pas réellement porté aux acteurs incarnant la marque. Les trois entreprises au cœur du boycott sont donc appréhendées à l’aune de grilles de lecture diamétralement différentes selon qu’elles soient marocaines et/ou étrangères, en l’occurrence ici française. Pour Centrale Danone une approche purement économique, sans dimension réellement politique, alors que pour Afriquia et Sidi Ali le politique et l’économique apparaissent comme inextricablement liés. Derrière la problématique de la cherté de la vie, dont l’objet est à questionner et qui ne fait pas expressément le sujet de cette étude, nous percevons en filigrane la volonté de cibler des acteurs politico- économiques marocains de premier plan. L’importance des crises pour les organisations et les personnalités apparaît très souvent à traversl’historique des consultations de leurs pages Wikipédia, et fournit un bon pendant aux données de Google Search. Ces consultations émanent d’utilisateurs « qui veulent en savoir plus », de journalistes, de simples citoyens, d’observateurs de la crise, ou de contributeurs qui ajoutent en temps réel des informations et traduisent de fait la publication d’articles de presse sur le sujet. L’analyse des consultations sur la page francophone d’Aziz Akhannouch s’inscrit ainsi en parfaite adéquation avec les tendances relevées via l’analyse de trends sur Google. Ce constat peut être également réalisé en analysant les statistiques de consultation sur la version arabe de sa page Wikipédia. À quelques exceptions près, les pics et/ou périodes d’intérêt sont similaires. Dans les deux cas, à partir de mi-juin le niveau d’intérêt à l’égard du ministre de l’Agriculture retombe sur des statistiques de consultations que nous pourrions qualifier de normales avec une moyenne de 100 consultations/jour contre 511 consultations/jour en période de crise (fin avril / mi- juin) pour l’homme politique. Ces éléments nous amènent à nous interroger sur les fondements du mouvement de boycott, et montrent que la seule question d’une remise en cause de la cherté de la vie dans le Royaume ne permet pas d’épuiser l’ensemble des interrogations et autres hypothèses à l’égard de cet objet social difficilement identifiable, car généré par des comptes anonymes, n’étant pas endossé par des porte-paroles et entretenant la confusion sur ses finalités réelles. En termes d’analyse de l’intérêt suscité, les insights Google Trends sont donc confirmés par les données de consultation Wikipédia. Dès lors, fort de ce constat, à savoir que les Marocains se désintéressent du sujet Akhannouch à partir de mi-juin, nous devrions, normalement, relever une décrue similaire surTwitter.
  • 24. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 24 L’analyse des deux graphiques (n° 16 et 17), avec pour chacun d’eux des échelles logarithmiques, confirme dans les grandes lignes les tendances mises en lumière via Google Trends, ainsi que celles mises en évidence par l’historique de consultation de la page Wikipédia d’Aziz Akhannouch. Par contre, ces graphiques présentent des enseignements particulièrement intéressants concernant les cibles du boycott. Pour mener à bien ce travail volumétrique, nous avons pour chacun des acteurs étudiés, récupéré de la data historique afin de mieux mesurer l’effet avant et après le boycott. Les requêtes ont été réalisées en français et en arabe, en essayant au maximum d’élargir le scope pour dresser le tableau le plus représentatif possible de l’état de la discussion sur le sujet malgré la barrière linguistique. A minima, les données présentées dansces deux graphiques nous permettent de mettre à jour des tendances et des enseignements saillants. De même, il faut également souligner une autre limite à notre travail de constitution de corpus : les images utilisées. De nombreux montages et/ou infographies circulent dans la discussion sur le boycott, notamment sur les bouteilles d’eau minérale Sidi Ali, sur Centrale Danone ou encore sur les personnalités ciblées. Or,en l’état, nous ne disposons pas d’une méthodologie pertinente pour récupérer ces images dépourvues de contenus textuels dans Twitter. Ces précisions méthodologiques étant faites, il nous apparaît intéressant de constater que le ministre de l’Agriculture marocain suscite autant de « mentions » que Danone, Afriquia ou encore Sidi Ali. L’une de nos craintes face à ce constat pour le moins intéressant relevaitd’une possible polysémie liée au nom du ministre. En filtrant et tamisant le corpus centré sur ce dernier, nous sommes parvenus à réduire au maximum ce risque ; et, à bien des égards, la rupture volumétrique de mi-avril illustre parfaitement la dimension centrée de notre corpus. Graphique n°16 Graphique n°17
  • 25. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 25 Dans le graphique synthétique n°18, nous constatons ainsi que la discussion globale autour d’Aziz Akhannouch représente 8% de notre corpus. Cela est loin d’être insignifiant, et même si une personnalité ministérielle suscite de facto des mentions neutres et/ou non crisogènes, il n’en demeure pas moins que ce chiffre interroge. D’autant plus que ce dernier tend à accorder une place, non pas périphérique, mais belle et bien centrale à Aziz Akhannouch, dans le cadre de ce mouvement. Graphique n°18
  • 26. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 26
  • 27. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 27 Sans rentrer dans les arcanes de la vie politique marocaine, cela n’étant pas l’objet de cet article, il est malgré tout intéressant de signaler qu’un conflit larvé oppose depuis plusieurs mois Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement du Maroc de novembre 2011 à avril 2017 et membre du PJD (Parti delajusticeet dudéveloppement,qualifiécomme étant « de droite » et « d’idéologie islamiste »), à Aziz Akhannouch, président du Rassemblement national des indépendants (RNI, positionné au centre et se réclamant du libéralisme) depuis octobre 2016. Benkirane, en filigrane, reproche au président du RNI d’avoir manœuvré pour précipiter la chute de son gouvernement l’année dernière. Ces manœuvres politiques impulsées selon lui par le RNI, n’auraient pour autres finalités que de propulser Aziz Akhannouch à la tête du gouvernement ; et le chemin pour devenir chef de gouvernement passe par une victoire aux élections législatives de 2021. Un article de l’édition Maghreb du HuffPost, relatant le discours tenu par Abdelilah Benkirane devant les cadres de son parti en février dernier, insiste tout particulièrement sur les attaques répétées émises par l’ancien chef du gouvernement à l’égard d’Aziz Akhannouch, qui est « érigé comme principal responsable du « blocage » gouvernemental » et qui constitue, selon l’auteur de l’article, une « figure de cristallisation » des attaques du cadre du PJD. Le paroxysme des attaques ciblées contre Akhannouch est atteint lorsque Benkirane dénonce dans son allocution le « mariage de l’argent avec le pouvoir », qui constitue pour lui, « un danger pour l’État ». Ces critiques qui positionnent l’actuel ministre de l’Agriculture comme son principal opposant résonnent aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité. En effet, le boycott impulsé fin avril, comme nous l’avons détaillé antérieurement, vise essentiellement à dénoncer une symbiose appréhendée comme malsaine entre le pouvoir politique et le monde des affaires. Dans une réaction en date du 27 avril, et relayée par Yabiladi, portail francophone de la communauté marocaine, A. Benkirane défend, tout à la fois, Centrale Danone et les eaux minérales Sidi Ali, arguant que dans les deux cas, les prix n’auraient pas connu de hausse significative. Par contre, et cela est loin d’être anodin, il déclare « comprendre » les motivations derrière le boycott d’Afriquia, propriété d’Aziz Akhannouch. Nous signalons également qu’en juin 2014 (capture d’écran ci-dessus), A. Benkirane était à l’origine d’une campagne de boycott contre Danone, en raison de la décision du groupe d’augmenter de 20 centimes de dirhams le prix des yaourts produits par sa filiale Centrale Laitière (aujourd’hui Centrale Danone).
  • 28. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 28 Le dernier élément que nous souhaitions évoquer, et même s’il ne s’inscrit pas forcément dans la continuité logique du conflit entre ces deux personnalités de la vie politique marocaine, concerne, pour sa part, le rôle de Facebook dans le boycott. Les différents axes que nous avons mis en lumière dans les différentes parties de cette étude ont chacun, et de manière particulière et spécifique, contribué à déconstruire une partie du narratif du boycott marocain, tel que celui-ci se raconte lui-même. Pour autant, ce travail analytique aboutissant sur un travail de déconstruction, ne saurait être complet sans aborder le cas de Facebook. Face aux contraintes liées à l’API de la plateforme, nous avons pris le parti de nous focaliser uniquement sur la page la plus influente du mouvement, afin de déterminer si l’analyse de ses publications, et plus spécifiquement de ses métadonnées, permet de mettre à jour de nouveaux patterns. En 2016, comme le rapportait alors un article publié dans LeSiteInfo, sur fond de rivalités entre les deux protagonistes, une campagne de boycott avait été menée semblablement à l’égard du groupe Afriquia. Ces éléments peuvent constituer un faisceau d’indices, qui, mis bout à bout, peuvent laisser à penser qu’une continuité logique et politique existe entre ces différents événements,et que, in fine, le boycott initié au printemps ne serait qu’une énième actualisation, par entités interposées, des antagonismes prévalant entre A. Akhannouch et A. Benkirane.
  • 29. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 29
  • 30. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 30 Afin d’essayer de contourner l’obstacle de l’analyse sémantique faute de compétence en arabe et sans pouvoir nous appuyer sur les outils intégrés de traduction, nous avons pris le parti d’exporter un set d’images utilisées par la page Facebook Kifaa7 (« la lutte »), afin de tenter de visualiser les grands axes de son positionnement. En analysant en détail les images utilisées dans ses publications, nous constatons un intérêt récurrent pour Aziz Akhannouch et Miriem Bensaleh-Chaqroun. À l’image des illustrations présentées ci-dessus, nous constatons que des montages sont réalisés dans l’optique de critiquer, notamment sur un plan ironique et comique, ces personnalités influentes de la vie politique et économique marocaine. Les publications montrant Aziz Akhannouch avec des poulets sur la page Facebook datent respectivement du 12 et du 14 août. La requête Google Actu « Aziz Akhannouch + poulet » montre que ce dernier fait l’objet d’une fake news sur le sujet. Dans un article publié le 28 août dernier, le quotidien économique marocain L’Économiste révèle que l’appel au boycott initial aurait été étendu aux volailles importées par le dirigeant du groupe Afriquia. Selon les propos rapportés par le quotidien marocain, les poulets importés par A. Akhannouch en provenance des États- Unis seraient « cancérigènes », et c’est pour cette raison que les États-Unis seraient, dès lors, enclins à « s’en débarrasser ». Cette fausse information tend à donner corps à l’idée que la déstabilisation de l’establishment marocain constitue un axe cadre du mouvement de boycott. Pour tenter d’appréhender l’influence de cette page, qui est citée dans la plupart des articles sur le boycott, comme à l’origine du mouvement (ou a minima comme l’une des toutes premières à avoir relayé l’appel au boycott), nous avons pris le parti d’exporter ses 999 derniers posts. Pour réaliser cela, nous avons utilisé l’outil Netvizz, développé par l’équipe de Digital Methods Initiative (DMI), l’un des seuls permettant pour un chercheur de réaliser ce type d’export, et qui, malheureusement, ne devrait bientôt plus être maintenu en raison des nouvelles modifications de Facebook concernant son API. Nous avons ainsi pu retracer les publications de la page sur un an, puisque notre corpus démarre au 1er août 2017. Cette approche nous semble pertinente afin de mesurer l’activité de cette page et, ce faisant, de questionner une série d’hypothèses : avons-nous affaire à une page sortie ex nihilo sur un sujet sensible ? Est-ce au contraire une page animée de manière régulière et dontl’engagement s’inscrit toujours dans des niveaux importants ?
  • 31. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 31 Comme l’indique le graphique n°19, en amont de la phase de boycott la page était animée de manière irrégulière. Le rythme de publication se caractérise par une forme d’oscillation, avec une alternance de pics d’émission et des périodes de creux durant lesquelles le pageowner ne réalise aucun post. En revanche, une fois la phase de boycott enclenchée, nous constatons une réelle montée en puissance du nombre de posts émis. Sur les seules journées du 30 mai et du 16 juillet, la page a publié plus de 12 posts. L’activité connaît une première baisse entre le mois de juillet et août 2018. Cette phase de baisse, si l’on s’en réfère à nos analyses de tendances à partir de Google Trends, est décalée d’environ un mois par rapport à l’intérêt exprimé en search par les utilisateurs marocains. Ce fait pourrait être appréhendé comme une volonté de la page, centrale dans le cadre du boycott, de vouloir jouer les prolongations, et d’essayer de redonner de l’impulsion à un mouvement en phase de déclin. Afin d’éliminer le risque de bruit en termes de publications – cette page n’étant pas forcément positionnée exclusivement sur la seule question du boycott – nous avons filtré les publications en choisissant de nous focaliser sur une série de mots clés renvoyant spécifiquement au boycott. Ce filtrage sémantique, comme nous l’avions déjà mentionné pour Twitter, est de facto dans l’incapacité de mettre à jour des images reprenant les codes du mouvement et/ou des phrases s’inscrivant dans son cadre,mais quiseraient dépourvues de l’un des mots clés de notre liste. À ce titre, il faut appréhender le graphique n°20 avec le recul nécessaire, et partir du principe qu’il ne peut que sous-évaluer le nombre de publications, ayant pour thème le boycott, émises par kifaa7. En l’état, nous relevons 201 publications remplissant les conditions du filtre sémantique, soit plus de 20% du corpus étudié. Ce chiffre pourrait aisément être doublé via un focus sémantiquebeaucoup plus précis réalisé par un arabophone maîtrisant toutes les nuances de la langue arabe, et surtout via une approche à même de répondre aux écueils cités dans le paragraphe précédent. Quoi qu’il en soit, ce chiffre est loin d’être négligeable, et témoigne de la grande place accordée à ce sujet. Graphique n°19 Graphique n°20
  • 32. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 32 Pour questionner davantage ces éléments, nous avons analysé, dans les deux graphiques ci-dessus (n°21 et 22) l’engagement réalisé par les publications de kifa7. Les résultats présentent un motif d’étonnement évident : hormis le post du 1er août 2017 la page a suscité,pendant plus de 9 mois, un nombre d’engagements relativement faible, ces derniers étant par ailleurs épisodiques. Quelquesengagementsenoctobre, janvier et mars, mais qui, comparés à la phase boycott ne s’inscrivent aucunement dans un ordre de grandeur similaire. Pour venir étayer ce constat d’une dichotomie marquée entre les deux périodes, nous avons agrégé (graphique n°23) le nombre d’engagements réalisés entre le 1er août 2017 et le 19 avril 2018, et, nous l’avons comparé avec le nombre d’engagements réalisés entre le 20 avril et le 4 septembre 2018. 90% des engagements ont été réalisés pendant la phase de boycott, soit 4 906 767 (likes + shares + comments), contre seulement 10% pour la période précédente (563 703 engagements). Face à ces chiffres, deux hypothèses semblent être les plus probables, sans qu’il soit possible de trancher absolument entre les deux : • Marginale au début de la période étudiée, la page a publié une publication suscitant un très fort engagement aux origines du boycott, et ayant déterminé et cadré le mouvement, est devenue par la suite un hub de la campagne. • La page a servi de plateforme de lancement au mouvement et a accru sa communauté en recourant à des pratiques de growth hacking pour augmenter son nombre d’engagements : campagnes paid ? Boucles mails ? Boucles WhatSapp ? Achat de faux likes ? Création de faux comptes en série pour venir partager/ liker/commenter ? Graphique n°21 Graphique n°22 Graphique n°23
  • 33. ASTROTURFING ET FAKE ACTIVISM | la dynamique cachée du boycott au Maroc 33 Ces différentes données, appréhendées à l’aune de nos constatations réalisées sur Twitter dans la phase liminaire de notre étude, ne vont pas sans questionner l’existence de techniques d’influence destinées à donner de la visibilité et de l’importance au mouvement de boycott. Sans aller jusqu’à accorder une primauté trop hégémonique à la simple analyse de données par rapport aux causes sociales, économiques et politiques en réduisant ce mouvement à une pure campagne d’astroturfing, il nous paraît malgré tout que l’ensemble des éléments présentés supra questionne tout aussi bien la dimension spontanée et populaire du mouvement, la nature réelle des acteurs à son origine et surtout ses objectifs sous-jacents et sonvéritable agenda. CONCLUSION