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Qui se cache derrière la pétition «Pas avec ma redevance»?

Certains voient dans cette initiative fustigeant la ligne éditoriale de France TV Slash une campagne en ligne du clan Zemmour. L’auteur de la pétition, que «CheckNews» a identifié, s’en défend.
par Anaïs Condomines
publié le 15 février 2022 à 17h32
Question posée le 14 février par Aline,

Bonjour,

Votre question porte sur la pétition «Pas avec ma redevance», lancée le 12 février via la plateforme Change.org. Intitulée Pour que France TV respecte son devoir d’impartialité et pluralisme, elle cumule ce mardi 15 février plus de 19 000 signatures et cible particulièrement la plateforme «France TV Slash», qui propose des contenus numériques et vidéos pour un public de jeunes adultes. La pétition, qui réunit selon ses auteurs de «simples citoyens et contribuables», relève ainsi : «Nous constatons depuis des années avec consternation que le service France TV Slash multiplie les violations des règles juridiques et déontologiques qui encadrent sa mission d’intérêt général de service public audiovisuel.»

Les signataires reprochent notamment à la plateforme de relayer des «appels aux dons à des associations politiques» comme Justice pour Adama, ou des «injonctions à manifester». «Il faut que cela cesse. France Télévisions ne peut pas continuer à financer avec l’argent public un outil militant et politique» peut-on lire encore. Dans la version initiale de la pétition, un document en ligne Google Sheet (dont l’accès est désormais restreint) recense les contenus incriminés. En l’espèce, une vidéo de «Sexy Soucis» sur la chirurgie vulvaire, à laquelle est reprochée une «injonction à aller consommer de la pornographie», ou encore «un post concernant la pratique du vernis à ongles chez les hommes» qui, selon les auteurs de cette recension, ne contient «aucun traitement journalistique». Par ailleurs, une vidéo est également liée à la pétition et relayée sur les réseaux sociaux. Reprenant les codes des courtes vidéos diffusées sur le web – notamment par France TV Slash – elle fait figurer un jeune homme face caméra qui vulgarise le contenu de la pétition.

Pseudonymes

Le tout est d’abord signé d’un certain Arthur Monnet, du collectif «Pas avec ma redevance». Avant qu’une version modifiée de la pétition ne laisse apparaître, trois jours plus tard, le nom de Clément Hariet. Problème : aucune trace en ligne, ni de Arthur Monnet, ni de Clément Hariet, ne permet de comprendre le contexte dans lequel cette pétition a été publiée. Dès lors, plusieurs internautes font l’hypothèse d’une campagne d’astroturfing (technique pour faire croire à un engouement populaire à des fins politiques) mise en place par le camp Zemmour, le candidat d’extrême droite n’ayant jamais caché sa volonté de supprimer la redevance télévision et de privatiser France Télévisions.

Le 14 février, un tweet du compte «Pas avec ma redevance» ne fait pas mystère de l’utilisation de divers pseudonymes. Un message, signé Arthur Monnet, répond ainsi aux internautes qui l’interrogent sur sa véritable identité : «Je me préserve de cyberharcèlement, a priori à juste titre, mais si le sous-entendu c’est que je puisse être faf ou d’extrême droite, c’est absolument pas le cas. Tout est caricaturé sur Twitter. Je suis justement opposé aux propositions de EZ et MLP sur le service public.»

Un usage de pseudonyme que ni le Point – qui a dégainé un article sur la pétition dès le 12 février – ni Midi Libre (qui a publié le 14 février), n’ont jugé utile de préciser. Une tribune du Figaro Vox, également signée Arthur Monnet, le présente comme le fondateur du collectif citoyen «Pas avec ma redevance». Il y dénonce le fait que «le pendant 100 % numérique du service public audiovisuel déroule en toute impunité une ligne ouvertement militante, reprenant sans retenue tous les tropismes chers aux “wokes”».

CheckNews a pu se faire confirmer l’identité de l’auteur de la pétition. Il s’agit d’Arthur R., chargé de mission pour le Medef. Contacté, ce dernier assure que l’initiative de la pétition «est complètement personnelle» et insiste sur le fait qu’elle n’a «rien à voir avec son employeur». Et de nier toute proximité avec le clan Zemmour : «Je n’ai aucune amitié humaine ou idéologique avec l’extrême droite. Je suis pour la redevance au service publique, indique-t-il encore à CheckNews. Je n’ai pas voulu faire un coup bas anti-woke, d’ailleurs il y a même des sujets sur lesquels je suis plutôt d’accord. Je n’ai rien contre l’écriture inclusive par exemple. Je suis écolo, je n’ai rien contre Greta Thunberg non plus ! Mais c’est le côté prescripteur de vérité qui me dérange, ce n’est plus du journalisme, juste de l’effet “bulle”.»

Récupération par l’extrême droite

Les différentes mises à jour de la pétition en ligne ont également laissé apparaître, pour quelques heures seulement, un troisième nom, qui ne relève pas du pseudonyme : Thomas H., qui travaille quant à lui pour Néo TV, le média en ligne lancé par Bernard de la Villardière et a aidé à la réalisation de la vidéo accompagnant la pétition. «Je suis le seul à l’initiative de tout ça, même si j’ai demandé à des copains de m’aider sur des points techniques, reprend Arthur R. C’est vrai qu’en parlant de collectif, je gonfle un peu le truc.»

S’il se défend de toute proximité avec Zemmour, le fait est que la campagne a été largement récupérée par des comptes favorables au candidat d’extrême droite… qui s’en était vivement pris à l’audiovisuel public, le 7 février sur France Inter, dans des termes très proches de ceux employés par le pétitionnaire : «Je ne veux pas que les Français paient pour une radio et une télévision qui font de la propagande anti-française, immigrationniste, LGBT et woke […]. Nous privatiserons et supprimerons la redevance.»

L’examen des réseaux sociaux de «Pas Avec ma redevance» montre des followers assez hétérogènes. Parmi lesquels certains apparaissent, de fait, marqués à droite, voire très à droite, arborant notamment des fleurs de lys (symbole nationaliste) dans leur pseudo. On retrouve également dans les abonnés sur Instagram le compte de La Cocarde étudiante, syndicat estudiantin, dont certains membres se sont retrouvés sur les listes du Rassemblement national lors des dernières élections municipales. Plus tard, l’ex-militante du groupuscule Génération identitaire Thaïs d’Escufon a elle aussi débarqué dans les followers de «Pas avec ma redevance». «L’interview au Point a été relayée par Gilles-William Goldnadel [avocat et essayiste chroniqueur au Figaro Vox, ndlr] et ça a rameuté toute la fachosphère. J’aurais préféré viser plus au centre», ajoute Arthur R.

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