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Libération

Quand Mitterrand parlait du «lobby juif»

Jean d'Ormesson révèle des propos tenus en 1995
par Renaud DELY
publié le 27 août 1999 à 0h11

Un communiqué de Lionel Jospin, une tribune furibarde de Mazarine Pingeot pour défendre la mémoire de son père: près de quatre ans après sa disparition, les derniers propos prêtés à François Mitterrand par Jean d'Ormesson ont ravivé le parfum de polémique qui colle aux basques de l'ancien président de la République.

Dans le Rapport Gabriel, vrais-faux mémoires à paraître début septembre chez Gallimard, l'écrivain raconte son ultime entrevue avec le défunt. La scène se passe à l'Elysée, le 17 mai 1995, quelques minutes avant que le Président ne transmette ses pouvoirs à son successeur, Jacques Chirac. Entre thé, confitures et discussion à bâtons rompus sur «la maladie des hommes d'Etat», Jean d'Ormesson aborde l'affaire Bousquet. L'automne précédent, le journaliste Pierre Péan a révélé que François Mitterrand a conservé jusqu'au soir de sa vie des relations d'amitié avec René Bousquet, ancien secrétaire général de la police de Vichy. «Beaucoup reprochent au Président les liens qui l'unissent à ce personnage qui a joué un rôle important dans la collaboration avec l'Allemagne hitlérienne, écrit Jean d'Ormesson. François Mitterrand m'écoute sans irritation apparente. Et il me regarde. "Vous constatez là, me dit-il, l'influence puissante et nocive du lobby juif en France. Il y a un grand silence.» Réactions. A peine connus ces propos reproduits par le Nouvel Observateur, qui publie dans son édition de cette semaine les bonnes feuilles de l'ouvrage de l'académicien, Lionel Jospin s'est fendu d'un bref communiqué: «J'ai partagé longuement l'engagement politique de François Mitterrand, indique le Premier ministre. J'ai eu avec lui des échanges nombreux et en profondeur sur des questions qui concernaient la communauté juive française ou le sort des juifs dans certains pays du monde. Dans l'analyse comme dans l'émotion, l'antisémitisme était étranger à François Mitterrand.» Une réaction en forme de contre-feu pour Matignon. Lionel Jospin fut l'un des dirigeants socialistes à s'indigner le plus fortement, en 1994, de la révélation des liaisons coupables de François Mitterrand avec René Bousquet. Pas question pour lui de se laisser embarquer, au nom de son fameux «droit d'inventaire», dans une nouvelle polémique sur le bilan du mitterrandisme. La page est tournée.

La fille de François Mitterrand est plus enflammée. Dans un texte publiée par le Monde, Mazarine Pingeot dénonce «la diffamation et la haine», traite Jean d'Ormesson d'«usurpateur» et loue «les valeurs humanistes» d'un père qui n'a «jamais failli dans la lutte contre les discriminations et particulièrement le racisme et l'antisémitisme». Doute. Parmi les gardiens de la mémoire du mitterrandisme, Jean-Louis Bianco, successeur de Roland Dumas à la présidence de l'Institut François-Mitterrand, a affirmé lui aussi que l'ancien chef de l'Etat «était viscéralement réfractaire à toute forme d'antisémitisme». «C'est incompréhensible, ça ne correspond absolument pas à la personne avec qui j'ai passé des heures à parler d'a peu près tous les sujets», renchérit Anne Lauvergeon, ancienne secrétaire générale adjointe à l'Elysée de 1991 à 1995. A l'inverse, un autre ancien conseiller relève, sous couvert d'anonymat, que si Mitterrand «n'était pas antisémite, il était trop philosémite». Sous-entendu: pour être totalement innocent...

Surprise. Confirmant que d'Ormesson lui avait confié les propos de Mitterrand une semaine après que celui-ci les avait tenus, Jean Daniel, le directeur du Nouvel Observateur, assure que l'ancien président avait évoqué, «à plusieurs reprises» devant lui, «l'existence d'un lobby sioniste qu'il ne faisait nullement coïncider avec l'ensemble de la communauté juive». Quant à l'incendiaire, il cache mal son plaisir de se retrouver au centre de la polémique. «Je ne m'attendais ni à cet excès d'honneur, ni à cet excès d'indignité, confie Jean d'Ormesson. Et je suis tout disposé à croire que François Mitterrand n'était pas antisémite.» Supposant qu'il a voulu se servir de lui «pour faire passer un message», il jubile, facétieux: «La mention "roman permet de supposer que j'ai tout inventé ou que ma mémoire a flanché.» Mais il ajoute: «Je n'ai écrit que la vérité».

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