Depuis le début de 2019, le sort des films chinois dans les festivals dépend moins des jurys que des autorités de Pékin. En février, la Berlinale devait faire face au retrait in extremis de deux longs-métrages, dont celui que Zhang Yimou devait présenter en compétition. A Cannes, l’équipe de L’Eté de Changsha, sélectionné dans la section Un certain regard, a renoncé à assister à la projection. Même à domicile, l’incertitude impose sa règle : en juin, au festival de Shanghaï, le plus important de Chine continentale, la projection du film d’ouverture, Les Huit Cents, qui retrace un épisode de la guerre sino-japonaise, a été annulée in extremis.
Dans ce paysage tourmenté, le succès de So Long, My Son, le treizième long-métrage de Wang Xiaoshuai, primé à Berlin, sorti sur des dizaines de milliers d’écrans en Chine, est d’autant plus frappant que le film ne cache pas son ambition politique. Pour son auteur, de passage à Paris, il s’agissait d’évoquer « une époque donnée, celle de la mise en place de la politique de l’enfant unique, son impact sur un individu, une famille, l’impuissance à maîtriser son destin, la façon dont les gens subissent la politique, sans en être acteurs ». Si le cinéaste a réussi à piloter son projet ambitieux – un film de plus de trois heures qui évoque le sort d’une famille sur trois décennies –, c’est peut-être parce qu’il a désormais une longue pratique de la censure chinoise, depuis l’interdiction de The Days, son premier long-métrage, réalisé en dehors du système officiel, en 1993. Au fil des décennies, Wang Xiaoshuai, aujourd’hui quinquagénaire (il est né l’année du début de la Révolution culturelle, en 1966), a vu certains de ses films sortir à la sauvette, d’autres connaître de grands succès.
Discrètement subversif
A l’instar de son contemporain Jia Zhang-ke, il a choisi de travailler sous le contrôle de l’administration du cinéma, placée depuis un an sous l’autorité directe du Parti communiste. Wang Xiaoshuai reste délibérément vague lorsqu’il évoque les compromis qu’exige cette tutelle : « Il y a tout un processus à suivre, ce que nous avons fait pas à pas. [Avant le tournage], il faut soumettre le scénario à la censure. Une fois que le montage a été terminé, on a soumis le film à nouveau sachant qu’on serait peut-être sélectionné à Berlin. Quand on est sélectionné dans un festival comme Cannes, Venise ou Berlin, on ne l’apprend qu’un mois avant, ce qui laisse peu de temps pour faire ce que l’on est censé faire. J’ai travaillé avec mon monteur pour répondre à cette situation, à l’automne précédent. On a été très vigilants pour que les choses soient faites à temps. Malgré tout ça, la réalité de la fabrication d’un film est ce qu’elle est et on a besoin de temps. Il faut qu’on trouve avec les organes de censure un moyen plus scientifique de procéder. »
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