Blockchain : la chaîne qui libère ?
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Blockchain : la chaîne qui libère ?

Le 31 octobre 2008, quelques semaines seulement après la chute retentissante de Lehman Brothers, le texte fondateur de la blockchain est publié. Il est signé, Satoshi Nakamoto, un individu ou un collectif qui n’a jusqu'ici jamais été clairement identifié. Ce court document - 10 pages à peine - décrit le principe d’un système de paiement électronique pair-à-pair, sécurisé par le recours à la cryptographie. Principe qui sera activé quelques mois plus tard, le 3 janvier 2009 : les tout premiers bitcoins sont alors émis.

A l’époque, seuls les geeks sont dans la confidence. 10 ans après, la notoriété du Bitcoin est planétaire : la Bourse de Chicago a lancé récemment un contrat à terme, 100 000 sites comme Expédia ou Showroomprivé acceptent les paiements dans cette crypto-monnaie, 200 000 Français en posséderaient. 

Mais que recouvre exactement la blockchain ? Cette technologie se résume-t-elle au bitcoin ? Quelles sont ses bénéfices ? Quelles potentialités ouvre-t-elle ? Quelles sont les limites ?

Essayons d’y voir plus clair ensemble ! De quoi parle-t-on ?

Le site Blockchain France la définit ainsi : « La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Par extension, une blockchain constitue une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Cette base de données est sécurisée et distribuée : elle est partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité de la chaîne."

Le schéma ci-dessous résume le principe de fonctionnement d’une blockchain :

Une remarque sur l’étape 3 : La « validation par les nœuds », s’effectue par les « mineurs ». Il s’agit d’individus ou d’organisations qui contribuent via la mise à disposition de ressources informatiques à l’inviolabilité « by design » de la chaîne. Cette contribution est rémunérée en bitcoin (ou par une autre crypto-monnaie). 

En fait, la blockchain permet de répondre à un besoin non couvert par Internet : réaliser un échange de valeur (pas juste une information) de pair-à-pair sans passer par un intermédiaire et sans avoir besoin de l’accord d’un tiers.

« La blockchain est à la valeur ce qu’Internet a été à l’information » Clément Jeanneau.

Concrètement, à quels besoins peut répondre la blockchain ? Quelques exemples tirés du livre blanc « Comprendre la blockchain » publié par Uchange.co :

Le vote électronique fait régulièrement parler de lui. Il est pratiqué par certaines organisations comme des partis politiques, des fondations ou encore des collectivités locales comme en Amérique du Nord ou dans les pays scandinaves. L’Estonie, la référence mondiale en matière d’état e-administré, l’utilise assez largement également. La sécurisation de ce moment clé de la démocratie pourrait être assurée par le recours à la blockchain.  

Des dizaines de pays dans le monde souffrent d’un niveau de corruption élevée de leurs fonctionnaires ou des représentants de l’Etat. Elle peut par exemple concerner les données cadastrales, c’est-à-dire les données qui authentifient la propriété de telle ou telle parcelle de territoire. La distribution des données sur une blockchain, à la place de leur centralisation sur un serveur unique, rend la fraude impossible à réaliser.

Vous souscrivez à une assurance voyage. Votre vol d’avion est retardé voire annulé ? Pas de panique, le contrat d’assurance auquel vous avez souscrit est adossé à un programme informatique relié à une blockchain. L’information du report ou de l’annulation est transmise automatiquement par des connecteurs. Le programme IFTTT (IF This, Then That) s’exécute alors et vous êtes remboursé, séance tenante, selon les termes prévus dans le contrat. Exit les appels, les justificatifs, les délais, etc. 

On aurait pu parler également de la traçabilité des produits alimentaires, de la possibilité de mieux rémunérer les droits d’auteurs ou encore de réduire le coût d’un trajet.

On peut classer l’utilisation de la blockchain en trois grandes catégories que, chacune, nous venons d’illustrer :

  • Les applications pour le transfert d’actifs (utilisation monétaire, mais pas uniquement : titres, votes, actions, obligations…).
  • Les applications de la blockchain en tant que registre : elle assure ainsi une meilleure traçabilité des produits et des actifs.
  • Les smart contracts : il s’agit de programmes autonomes qui exécutent automatiquement les conditions et termes d’un contrat, sans nécessiter d’intervention humaine une fois démarrés.

Les applications de la blockchain vont donc bien au-delà du bitcoin...

La blockchain, une réponse à des questions clés : la confiance numérique et un meilleur équilibre entre les acteurs

Ces applications mises en place ou envisagées, contribuent au développement de l’économie numérique en apportant une réponse à une question qui ébranle l’ensemble des pays occidentaux : La question de la confiance !

La 10ème vague qu’OpinionWay vient de réaliser pour le compte du CEVIPOF (http://k6.re/fn1ar ), illustre un des constats clés que l’on peut dresser sur notre environnement : Défiance envers les experts, confiance envers ses pairs. Crise de la représentation pyramidale, ascension du modèle horizontal. Le modèle pair-à-pair.

Certains, comme la Digital New Deal Foundation y voit une opportunité plus grande encore : la blockchain est tout simplement une nouvelle génération de réseau que personne ne peut s’approprier. C’est la possibilité de mettre en place une nouvelle économie numérique en s’affranchissant du pouvoir hégémonique que les GAFA et autres BATX exercent sur l’économie mondiale. 

Ces acteurs ont en effet acquis une position dominante sur Internet. Trois exemples parmi d’autres :

·      Ils peuvent, par leur pouvoir financier, racheter des concurrents qui pourraient les menacer (cf. YouTube pour Google ou Whatsapp pour Facebook) ou déployer massivement des innovations apportées par d’autres acteurs (cf. les stories initiés par Snapchat et reprises par Facebook),

·      L’exploitation que ces firmes font des données qu'elles collectent, contribue à construire des positions avantageuses en matière d’intelligence artificielle,

·      Les décisions prises par ces géants, de façon unilatérale, peuvent avoir des répercussions économiques importantes pour des acteurs économiques qui dépendent d’eux. Ouverture ou fermeture de leurs API décide de la survie d’acteurs (cf. par exemple, le cas de LittleThings). Leurs décisions peuvent également ressembler à de la censure : par exemple, Delacroix ne peut plus montrer la « Liberté guidant le peuple ». Couvrez ce sein que l'on ne saurait voir aurait dit Molière !

Selon l’auteur de la thèse, Clément Jeanneau, outre l’échange de la rareté numérique de pair à pair, la blockchain, c’est la reprise en main du contrôle de ses données, une sécurité inédite et aussi une nouvelle dynamique d’innovation.

Cette organisation décentralisée facilite l’émergence de nouveaux acteurs, grâce aux vertus de « l’effet de réseau inversé ». Précisions apportées par l’auteur de cette thèse :

« Un projet, qui en est souvent à ses premiers pas, décide d’émettre ses propres tokens (c’est un actif numérique émis et échangeables sur une blockchain, comme une crypto-monnaie par exemple, qui permet de rétribuer le travail des « mineurs »), ayant pour vocation d’être utilisés dans le service en question – par exemple comme droit d’accès ou d’usage du service, ou comme moyen de paiement, ou comme niveau de réputation, etc. De ce fait, les internautes qui estiment le service prometteur (aussi bien pour eux-mêmes que pour l’ensemble des utilisateurs) sont incités à acquérir le token (et ainsi à rejoindre le réseau) le plus tôt possible, au moment où ce token présente une valeur encore relativement faible par rapport à ce qu’il pourra valoir. L’intérêt de l’internaute est alors simple : miser sur le développement à venir du service, ce qui permettra d’accroître la valeur du token. Ainsi, il pourra ensuite soit revendre le token à tout moment et réaliser alors une plus-value, soit l’utiliser dans le service en question. »

La multitude, selon la pertinente expression de Nicolas Colin, condamnée au Digital Labor par les GAFA jusque lors se révolte. La blockchain laisse entrevoir la possibilité de la récompenser la multitude pour le travail qu’elle effectue ou la valeur qu’elle apporte.

Les avantages de la blockchain semblent être nombreux et prometteurs. Pourquoi alors ne pas basculer tout de suite vers ce modèle ? 

La blockchain souffre de plusieurs limites, de nature et d’importance différente.

La technologie blockchain, si l’on retire les initiatives Bitcoins ou Ethereum, reste à l’état de projet ou à des échelles relativement limitées. Le passage à une grande échelle est-elle vraiment possible ? Les experts ne semblent pas fondamentalement inquiets sur ce point. 

La validation des transactions nécessite le recours à du temps de traitement informatique. Ces validations étant complexes pour assurer la sécurité et l’inviolabilité, elles sont consommatrices d’énergie. L’impact environnemental n’est, semble-t-il, pas tout à fait à négliger.

Ces validations peuvent prendre du temps également à être exécutées. Une certaine lenteur peut donc caractériser la blockchain.

On l’aura compris, pour que la blockchain fonctionne, elle a besoin de mineurs. Manifestement, cela reste une opération complexe pour un public non averti. Il manque encore d’interface facilitant cette participation.

Autre facteur limitatif et non des moindres : le cadre juridique qui entoure la blockchain. Les récents soubresauts du bitcoin et des autres crypto-monnaies ont défrayé la chronique. Ils illustrent les difficultés du législateur à tenir le rythme des évolutions technologiques actuelles. Ce besoin de compétences au sein des appareils de l’Etat a parfaitement été identifié par Cédric Villani. La France cherche d'ailleurs à bien se positionner sur la question et le gouvernement a légiféré sur les ICO (Initial Coin Offering) : des appels de fond au public pour le financement en crypto-monnaie des start up de la blockchain.

En conclusion, la blockchain peut constituer une véritable bifurcation dans l’évolution de notre environnement technologique. Permettre, de façon décentralisée, sûre, l’émergence de nouvelles pratiques, de nouveaux acteurs et rompre avec la domination des GAFA. Et ainsi renouer avec l’esprit initial du créateur d’Internet, Tim Berners Lee qui disait lors du premier Decentralized Web Summit : 

“The problem is the dominance of one search engine, one big social network, one twitter for microblogging. We don’t have a technology problem; we have a social problem.” Tim Berners Lee

A nouveau, la transformation en cours oblige tous les acteurs, et en premier lieu, les citoyens à s’interroger sur ce que l’on veut faire de la technologie. Et à peser sur les décisions.  

Merci à celles et ceux qui m’ont remonté leurs commentaires sur mon premier article dédié à la 5G (https://t.co/Opx3BgCdht ). Merci par avance à celles et à ceux qui le feront pour cet article !

Je vous retrouve le 12 mars prochain pour un troisième article consacré à une autre facette de la révolution que nous sommes en train de vivre. 

Philippe Le Magueresse

Principales sources consultées pour la rédaction de cet article. Je remercie les auteurs :

https://blockchainfrance.net/

the_digital_new_deal-org-JEANNEAU-Clement-LAgeDuWebDecentralise.pdf accessible ici : http://k6.re/XrNpq

https://www.uchange.co/comprendre-la-blockchain/

https://www.forbes.fr/technologie/blockchain-les-5-inconvenients-de-cette-technologie/?cn-reloaded=1





Si vous êtes curieux de mieux comprendre les intérêts et les applications possibles de la blockchain de demain. Voici un article très accessible de Philippe Le Magueresse, DGA d’OpinionWay. 👍

Thierry CHALUMEAU

DGA - Directeur du développement, des partenariats et des achats.

5y

C’est top ! Bravo Philippe

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