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Polémique sur un "divorce au SMIC" : radioscopie de ces causes de la pauvreté qu’on ne veut pas voir
©Capture d'écran LCI

Choix personnels

Julie Graziani, chroniqueuse dans l'émission 24h Pujadas sur LCI, a été très critiquée suite à cette déclaration : "Si on est au SMIC, faut peut-être pas divorcer non plus dans ces cas-là !". Cette polémique est l'occasion de revenir sur les causes véritables de la pauvreté en France.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Madame Julie Graziani, chroniqueuse dans l'émission 24h Pujadas sur LCI, a récemment été au centre d’une polémique à la suite de déclarations qui liaient explicitement de « mauvais » choix de vie des individus à la pauvreté. « Si on est SMIC, et bien il ne faut peut-être pas non plus divorcer » a-t-elle notamment fait valoir, en faisant donc un lien entre des choix personnels et des conséquences économiques. Au-delà de la dimension morale, qui paraît problématique dans cette assertion, cette polémique est l'occasion de revenir sur les causes véritables de la pauvreté en France, en essayant d’estimer les parts de responsabilité entre l’individu et la société.

La plupart des auteurs libéraux classiques rendaient les individus responsables de leur pauvreté. Depuis, la notion de rationalité limitée a permis de trouver un équilibre plus réaliste entre ce qui tient des conséquences de choix conscients, et la dimension indépendante de la personne dans son sort économique.Dans quelle mesure peut-on dire que la pauvreté peut être la conséquence de choix ? A-t-on des exemples empiriques ?

Michel Ruimy : De prime abord, cela semble évident. Excepté une quête spirituelle, personne ne se dit à un moment donné : « Je veux devenir pauvre, je vais faire en sorte d’être pauvre ». Dans ce sens, personne ne choisit effectivement la pauvreté. Sauf qu’il y a un message sous-jacent qui est, lui, moins évident :si personne ne fait rien pour se retrouver dans la pauvreté, si personne n’est responsable du fait qu’il est pauvre, la pauvreté serait alors quelque chose d’incontrôlable. 

La pauvreté serait la conséquence de certains éléments : naissance et/ou adolescence dans un milieu pauvre, mauvaise éducation, violence familiale, maladie, accident, etc. et nous accompagnerait tout au long de la vie. Ces différents cas sont de réelles tragédies humaines et les personnes concernées sont les seules de qui on peut vraiment dire qu’elles ne sont pas responsables de leur condition malheureuse.

Si tout le monde ne part pas avec les mêmes chances dans la vie - réalité incontournable -, les êtres humains peuvent néanmoins changer voire s’adapter à leur environnement. Souvent, il est dit que dans une société comme la nôtre, lorsqu’on est sain de corps et d’esprit, et malgré la présence de nombreux obstacles, on peut s’en sortir pour peu qu’on le veuille. Par exemple, avoir un emploi est souvent considéré comme un facteur important de réduction de pauvreté. Il suffirait de « traverser la rue » pour en trouver un. Or, ceci n’est vrai que si et seulement si les pauvres disposent de capacités suffisantes pour saisir les occasions. En particulier, être réactif face à un événement nécessite d’être doté de suffisamment de capital humain (main d’œuvre, état de santé, formation), de capital social (appuis familiaux), etc. Cela implique aussi une certaine résilience, entendue comme une résistance aux aléas, afin d’éviter de sacrifier l’avenir pour faire face à l’urgence quotidienne. 

Un des remèdes à la pauvreté n’est pas une importante redistribution de la richesse, mais le l’initiative individuelle. Plus nous aurons de libertés, d’initiatives etde responsabilités individuelles, de libre marché, plus la pauvreté diminuera. Mais, attention, le marché, seul, ne peut conduire à une amélioration durable du bien-être. Car, au plan politique, la question du choix de la pauvreté conduit à mettre en évidence certains paradoxes : Faut-il aider le pauvre ? ou Faut-il favoriser celui qui se prend en charge ? C’est-à-dire, celui qui dispose de la capacité de s’aider lui-même, grâce à des dotations en capital et à de nombreuses opportunités qu’il a créées, celui qui réagit « positivement » aux initiatives des hommes politiques à la différence de son alter-ego, assisté, qui privilégie le statu quo et l’immédiateté. La réponse à ces questions est de déterminer la nature de la Société qu’on désire avoir et dans laquelle on souhaite vivre.

Outre les choix, la transformation socio-économique est souvent pointée comme cause explicative de la pauvreté.A-t-on des indicateurs pour estimer dans quelle mesure l’augmentation de l’individualisme post-matérialiste depuis 1945 a pu favoriser des parcours vers la pauvreté ?

Il y a, grosso modo, deux interprétations principales des causes de la pauvreté. D’un côté, la Gauche considère que les individus ne sont pas responsables de leur sort, que les « riches » les exploitent, que le « système économique » est responsable et qu’il faut le changer. De l’autre, les libéraux affirment que, dans une économie libre, l’effort, le bon jugement, la prudence et la persévérance des individusdéterminent, en grande partie, leur sort.

Mais, s’il est facile de repérer la pauvreté, il est plus difficile de la définir car elle a de multiples dimensions. Définir la pauvreté revient à définir ce que représente ce « peu » : peu par rapport à quoi ? Pour cela, il existe plusieurs méthodes.

En termes de « pauvreté relative », est pauvre, toute personne en France dont le revenu nominal est inférieur à 60% du revenu médian(1050 euros par mois environ pour une personne seule). Au regard de cette définition, leur nombre s’est établi à un peu plus de 9 millions en 2018 (environ 15% de la population totale). Ce pourcentage de 60% est purement arbitraire (La France compteraitenviron 5 millions de pauvres si le seuil de pauvreté était fixé à 50%). 

En termes de « pauvreté absolue », est pauvre, toute personne qui ne peut consommer, faute de revenu suffisant, un certain nombre de biens de première nécessité. Cette définition est tout aussi arbitraire que la précédente. En général, les tenants de cette approche retiennent les biens correspondant à la consommation - ou jugée comme indispensable - de plus de la moitié de la population. Aux États-Unis, où une telle mesure est utilisée, est pauvre toute personne dont le revenu est égal à 3 fois le coût minimal de la ration alimentaire nécessaire à chacun.

En termes de satisfaction (« pauvreté subjective »), est pauvre, toute personne qui estime que son revenu lui procure un niveau de satisfaction inférieur au minimum qu’il juge nécessaire pour vivre. Chacun à son cadre de référence. À partir de quand est-on une personne riche ? Notre conception de la pauvreté en dépend.On estime qu’un tiers de la population totale française se déclare comme tel !

Enfin, une « approche administrative ». Il s’agit du taux de pauvreté en conditions de vie publié par l’INSEE. Est pauvre, toute personne qui connaît au moins 8 restrictions sur 27 répertoriées. Il prend en compte, par exemple, les ménages qui ne peuvent pas acheter régulièrement de la viande, ni partir en vacances une semaine par an, ceux qui ont des revenus insuffisants pour équilibrer leur budget ou encore ceux qui ne peuvent pas payer leur loyer. On serait proche de 6 millions de personnes.

En fait, il n’existe pas de mesure « juste » ou « objective » de la pauvreté. Comprendre ce phénomène implique même certainement d’utiliser différents outils qui se complètent plus qu’ils ne se concurrencent car ils permettent d’éclairer les différentes formes qu’elle peut prendre. C’est pourquoi, on peut regretter que, le plus souvent, le débat se concentre sur l’évolution de données sans toujours bien maîtriser de quoi il est question au fond, ce qui peut conduire à des contresens importants. Le travail sur la méthode est rarement séparable de l’analyse du contenu.

Les niveaux de pauvreté en France aujourd’hui sont-ils plus ou moins importants que dans le passé ? Peut-on dire, par exemple, que l’émergence d’une catégorie de famille monoparentale avec une femme isolée, a contribué à détériorer la condition économique des femmes, comme le laisse entendre le propos de Madame Graziani, ou s’agit-il d'un fantasme ?

La pauvreté en France diminue constamment depuis plus de vingt ans mais elle a changé de nature. Dans les années 1960, les pauvres étaient essentiellement des personnes âgées qui n’avaient pas pu bénéficier du système de retraite, encore assez récent. Aujourd’hui, la situation est différente. Ce sont les jeunes et les actifs qui sont touchés par la pauvreté. C’est un phénomène beaucoup plus grave : les jeunes qui sont au chômage ou en situation de précarité ne peuvent pas cotiser pour leur retraite. Ils risquent de se retrouver dans la même détresse que les personnes âgées après la guerre, une détresse qui va parcourir leur vie entière. 

Aujourd’hui, parce qu’elle touche des jeunes et des actifs, la pauvreté menace la cohésion sociale.Il est difficile d’être pauvre dans une « société riche ». Dans une « société pauvre », vous partagez le destin collectif, votre statut n’est pas fondamentalement différent et vous garantit une certaine forme d’intégration sociale. C’est ce qui se passe encore dans les régions pauvres du sud de l’Europe. Être pauvre est moins disqualifiant. Dans une société riche, avec des normes de progrès social et de réussite personnelle, le pauvre est celui qui échoue.

On peut même se demander si nous ne sommes pas en train de revenir à un clivage entre « bons » et « mauvais » pauvres. Au moment du vote de la loi sur le RMI (fin des années 1980), cette notion n’apparaissait nulle part, elle était politiquement incorrecte, la démocratie ne permettait pas de parler de mauvais pauvres. Alors qu’aujourd’hui, leur culpabilisation, la mise en avant de leur paresse supposée les identifie bien à de mauvais pauvres. On est passé de la compassion à la méfiance. 

Concernant les familles monoparentales, les faibles niveaux de vie observées ont des conséquences matérielles très concrètes. Au-delà des chiffres, on constate une liaison robuste entre monoparentalité et pauvreté. Le point capitalest que, par définition, dans une famille monoparentale, il y a 1 revenu au lieu de 2. De plus, quand il n’y a qu’un seul adulte dans le ménage, il y a nécessairement des difficultés plus grandes pour garder les enfants, ce qui crée une tension sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Cela peut conduire à réduire l’intensité du travail, via du temps partiel ou via un renoncement à l’emploi ou à la recherche d’emploi.Une famille monoparentale est donc bien, en général, en situation précaire. Mais ce n’est pas un choix. La plupart du temps, cette situation résulte d’un accident de la vie (divorce, veuvage…).

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