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Amazonie Un « Indien high-tech » au secours de la planète

Pour alerter sur la destruction de l’Amazonie et son impact sur l’écosystème mondial, Almir Narayamoga, chef du peuple Paiter Surui, est en visite en France. Rencontre.

Leur peuple est plus connu sous le nom de Surui. Celui donné par les anthropologues lors du premier contact. Il signifie « ennemi » dans la langue des indigènes d’une autre tribu qui leur servaient de guides. Leur nom véritable est Paiter, qui signifie « Nous, les hommes vrais ». Leur territoire couvre 247 870 hectares, deux fois New York, vingt fois Paris, au nord-ouest du Brésil, dans l’État du Rondônia. L’un des plus touchés par la déforestation. Il a perdu plus de 40 % de sa forêt primaire depuis les années 1970.

En 1992, le peuple surui a élu Almir Narayamoga comme représentant. Depuis son plus jeune âge, le chef indien se bat inlassablement contre la déforestation et pour la reconnaissance de son peuple. Sa ténacité et son charisme, il les tient sans doute d’un profond traumatisme, celui de son peuple décimé par les épidémies à la suite du « premier contact » avec les « Brancos », les Blancs. C’était en 1969, Almir est né en 1974, cinq ans après ce qu’il appelle « le point de rupture ».

Les aînés ne cessent d’en parler. « Ils ont vu les arbres tomber, avalés par la bouche d’un énorme serpent à tête jaune. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Jour après jour, ce glouton plantait ses dents dans les hévéas, les babaçu, les copaïba… » C’était un bulldozer. Le premier d’une longue série, mobilisée pour construire la BR 364, la route devant relier Brasilia aux autres villes du pays. La voie était ouverte aux exploitants de bois, aux orpailleurs et à l’agriculture intensive…

« Les survivants parlaient d’une guerre pour les anéantir. D’un grand massacre, qui a conduit à un changement profond de nos modes de vie. » Ils étaient 5 000 Suruis. 242 seulement ont survécu. Aujourd’hui, ils sont 1 400 répartis dans 27 villages. « Nous avons réussi à survivre. Notre priorité est de nous sauver de l’extinction, de protéger la forêt et de mettre en garde le reste de l’humanité sur la nécessité de préserver ce poumon vital pour les générations futures », assure le chef indien.

Almir Narayomoga est le premier Surui à avoir fait des études supérieures. De l’université de Goiânia, il est revenu avec un diplôme de biologie et un ordinateur. On l’appelle « l’indigène hyperconnecté » ou encore « l’Indien hight-tech ». Il manie Google Earth, YouTube ou le GPS au service de son combat : évaluer l’état de la déforestation, repérer les espèces disparues pour en replanter, connaître en temps réel les animaux en surnombre, etc. « L’objet des connaissances traditionnelles est l’être vivant. Les technologies sont justes un outil », justifie-t-il, ajoutant : « Le monde moderne est régi par le profit à court terme, alors que notre vison s’appuie sur le long terme. »

Partager les savoirs autochtones, démontrer que leurs modes de vie constituent une solution… Almir s’emploie à convaincre, partout où il le peut, fort des rapports du Giec et de l’Ipebs, plateforme sur la biodiversité, soulignant leur rôle essentiel pour les écosystèmes. Eux, cela fait cinq cents ans qu’ils se battent contre leur extermination. Essayant de démontrer qu’ils représentent une des solutions à la catastrophe écologique qui menace.

Avec sa coiffe de plumes et ses colliers de graines, celui qui est considéré comme l’un des chefs les plus emblématiques de la lutte des autochtones sillonne le monde. Pour sauver son peuple et « sauver la planète » (1). « Sans l’Amazonie, notre monde ne survivra pas. Plus d’un cinquième de ce poumon vert de l’humanité a déjà disparu. »​​​​​​​

Le « Rigoberta Menchu des arbres », comme on l’appelle aussi, engrange les menaces de mort, en même temps qu’il collectionne les prix pour les droits de l’homme. Le plus récent, la plus haute distinction brésilienne, lui a été remis en 2013 par la présidente Dilma Rousseff. Ennemi numéro 1 des « mandadeiros », les négociants du bois, sa tête a été mise à prix 100 000 dollars. En 2007, il a été exfiltré du Brésil et s’est réfugié aux États-Unis, où il rencontré aussi bien des militants écologistes que des dirigeants de Google. De retour au Brésil, sous la présidence Lula, il a bénéficié d’une protection rapprochée.

Ce n’est plus le cas sous Jair Bolsonaro. « Nous sommes en danger de mort, alors que nous défendons nos droits. Le Brésil vit une régression sociale, environnementale et contre les droits des peuples. Bolsonaro n’attaque pas que les indigènes, mais il nous attaque plus que quiconque », dénonce le chef amazonien. Ajoutant : « Si le monde ne prête pas attention à ce que fait le gouvernement brésilien, ce sera effectivement la fin. »

À eux seuls, les chiffres disent l’ampleur du désastre en cours sous l’ère de ce régime carbo-fasciste. Les violences ont explosé contre les plus vulnérables. En un an, la déforestation de l’Amazonie a explosé de 278 %. Et les attaques contre les indigènes ont augmenté de 44 % par rapport à 2018, selon le Conseil des missionnaires autochtones, qui a compté 109 assassinats en neuf mois.

« Aujourd’hui, nous vivons une même réalité que celle de l’époque de la dictature. Tout ce que nous avons construit ces dernières années est détruit, dans l’impunité, sans aucun respect du droit de vivre. C’est un gouvernement irresponsable. Il a nommé cette semaine un missionnaire évangéliste pour s’occuper du dossier des peuples indigènes et un créationniste à l’éducation ! » lâche Almir Narayamoga, indigné.

Malgré cela, ou plutôt à cause de cela, le chef surui poursuit, voire intensifie son action. Pour briser le silence de la communauté internationale. Car, lance-t-il, inquiet, « comment, dans ces conditions, gagner la bataille pour le climat ? ».

Latifa Madani

(1) Sauver la planète est le titre du livre-témoignage qu’il a écrit avec Corine Sombrun (Albin Michel, 2015).

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