Les États membres tardent à lutter contre l’exploitation illégale des forêts

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EXCLUSIF / Un militant écologiste libérien demande à l'UE de prendre des mesures contre les États membres qui n'ont pas mis en œuvre le règlement européen contre l'exploitation illégale des forêts.

Selon l'organisation écologiste Client Earth, 8 États membres n'ont encore rien entrepris pour transposer le règlement européen contre l'exploitation illégale du bois. Dix autres pays, dont la France, ont seulement rédigé des projets de loi.  Une majorité claire de pays n'ont prévu aucune sanction dans le cas où du bois issu d’exploitations illégales entrerait sur le marché européen.

De Nairobi (Kenya), Silas Kpanan' Ayoung Siakor de l'Institut du développement durable a expliqué à EURACTIV que le problème devrait être traité « de toute urgence ».

« L'UE doit prouver son sérieux dans la manière d'aborder le problème et il est important de prendre des mesures contre les États membres qui ne respectent pas leurs obligations juridiques », a-t-il déclaré.

« Cela montrera que [l'UE] ne tente pas seulement de faire en sorte que les pays tiers suivent la réglementation, mais aussi qu'elle garantit que ses propres États membres s'y conforment réellement. »

Le bois illicite finance des conflits

M. Siakor a remporté le prestigieux Prix Goldman pour l'environnement en 2006, car il a réussi, non sans danger, à prouver que Charles Taylor, le président du Liberia de l'époque, exploitait les bénéfices tirés de l'exploitation forestière illégale pour financer une guerre atroce qui a fait rage pendant 14 ans. Après la publication de son travail, le Conseil de sécurité de l'ONU a interdit l'importation de bois libérien. Charles Taylor purge actuellement une peine de 50 ans de prison pour crimes de guerre.

Ne pas se conformer au règlement relatif au bois enverrait « un très mauvais message » aux gouvernements africains, selon le militant libérien.  « Cela saperait le message officiel de l'UE qui consiste à dire qu'elle essaie de réduire l'exploitation illégale et risquerait de provoquer une augmentation de la déforestation. Les dirigeants politiques se tourneraient vers des gens comme nous et diraient :"Regardez ! Même l'UE ne considère pas qu'il est nécessaire d'agir contre l'exploitation illégale". »

« Cela serait révélateur d'un manque d'engagement pour aider l'Afrique et les pays du Sud », a-t-il ajouté.

États récalcitrants

Selon les données non publiées de Client Earth, réalisées grâce à des questionnaires complétés par chaque État membre, seulement huit d'entre eux ont transposé le règlement sur le bois dans leur législation nationale : l'Allemagne, l'Autriche, Chypre, la Croatie, le Danemark, le Luxembourg, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Slovénie.

Huit autres pays ont rédigé des projets de loi, sans les adopter : la Belgique, la Bulgarie, la Finlande, la France, l'Irlande, la Pologne, la Roumanie et la Suède.

L'Estonie, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, la Hongrie, la Lituanie, Malte et la Slovaquie n'ont quant à eux rien entrepris en la matière. Les Pays-Bas ont mis en place un système temporaire et la Lettonie a refusé de participer à l'enquête.

La Commission européenne pourrait envoyer des avertissements contre les huit États récalcitrants et contre les dix autres qui n’en sont qu’au stade de projets de loi. Si ces avertissements n'ont aucun effet, la Cour de justice de l'Union européenne pourrait ensuite entreprendre des procédures d'infraction qui entraineraient des sanctions financières.

Selon les défenseurs de l'environnement, même lorsque les États membres transposent le règlement dans la législation nationale, les lois restent vagues et sont remplies d'incohérences. En cas de violations des règles, les sanctions peuvent par exemple atteindre 7 500 euros en Bulgarie, 5 millions d'euros en République tchèque et un montant illimité au Royaume-Uni.

L'équipe de la Commission en charge de surveiller le dossier semble sous-financée et fonctionne presque comme un vaisseau fantôme, selon des sources. L'Agence de recherche sur l'environnement indique que le bois exploité illégalement en Birmanie pour une valeur de 8 millions de dollars (5,8 millions d'euros) a été exporté dans des pays européens comme l'Allemagne et le Danemark, ainsi qu'en Belgique, en Italie et en Suède.

Accords de partenariat volontaire

Le règlement sur le bois était supposé dissuader les pays d'exporter du bois exploité illégalement, ce qui rend la mesure incitative européenne des accords de partenariat volontaire (APV) pour les bois certifiés d'autant plus attrayants.   

Des négociations sont en cours avec différents pays, dont l'Indonésie et la République démocratique du Congo, en vue de mettre en place des accords de ce type.

Selon Silas Siakor, les accords ont un « potentiel énorme afin d'améliorer les systèmes de gouvernance dans les pays avec lesquels l'UE collabore. Mais, pour obtenir le soutien financier et politique afin de passer à l'action, il est nécessaire de préserver l'engagement des pays dans les APV ».

Cet avis ne fait cependant pas l'unanimité parmi les défenseurs de l'environnement de l'hémisphère sud. Isaac Rojas, le coordinateur régional des Amis de la Terre au Costa Rica, a indiqué qu'il faudrait se focaliser sur les droits des propriétés foncières pour les peuples et communautés indigènes.

Même quand leurs procédures de gestion des terres sont « illégales » en théorie, elles sont toujours plus respectueuses de l’environnement, a-t-il ajouté. « En Amérique centrale, des règles [comme les APV] venant de l'UE sont associées à des accords de libre-échange », a-t-il précisé.

« L'UE et les pays d'Amérique centrale appellent à des accords de partenariat, mais ils sont en majeure partie consacrés au libre-échange. Cela signifie que, quand le secteur de l'exploitation industrielle aura l'impression d'être lésé par une nouvelle législation forestière [en faveur des peuples indigènes] en Honduras par exemple, il peut intenter un procès contre le gouvernement hondurien. »

Le Parlement européen et le Conseil ont établi un règlement concernant le bois et des produits dérivés le 20 octobre 2010.

La Commission européenne estime que la déforestation et à la dégradation des forêts sont responsables de près de 20 % des émissions mondiales de CO2. Chatham House a également établi des liens entre le commerce international dans l'exploitation illégale des forêts et les pertes de milliards d'euros pour les gouvernements, la corruption, les conflits armés, la destruction des communautés locales tributaires de la forêt, l'État de droit et la bonne gouvernance.

En 2012, Interpol et l'ONU ont lancé le projet LEAF, une initiative consacrée à la lutte contre l'exploitation illégale et la criminalité forestière. En février, Interpol a déclaré que près de 200 personnes ont été arrêtées au cours d'une opération pour lutter contre l'exploitation forestière. Cette intervention a permis de récolter du bois pour une valeur de 6 milliards d'euros dans des pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud.

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