La neutralité du Net, principe fondateur d’Internet, a rendu son dernier souffle aux États-Unis

Comme attendu depuis plusieurs semaines, le gendarme américain des télécoms a donné un coup fatal à la neutralité du Net qui obligeait, jusqu’à présent, les opérateurs américains à traiter les données circulant sur Internet de manière égale. Ils ont désormais les mains libres pour moduler le débit Internet comme bon leur semble.

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La neutralité du Net, principe fondateur d’Internet, a rendu son dernier souffle aux États-Unis
Ajit Pai, président républicain de la Federal Communications Commission (FCC)

La nouvelle est tombée jeudi 14 décembre 2017, sur les coups de midi. Dans ses bureaux de la 12th Street à Washington DC, la Federal Communications Commission (FCC), l’autorité américaine qui régule les télécoms, a signé l’acte de décès de la neutralité du Net, en abrogeant cette réglementation adoptée sous l’ère Obama visant à garantir un traitement égal des flux de données par les opérateurs. Le texte a été approuvé, sans surprise, à trois voix contre deux (trois Républicains, deux Démocrates).

"Cela ne va pas mettre fin à l'Internet tel que nous le connaissons. Cela ne va pas tuer la démocratie. Cela ne va pas étouffer la liberté d'expression en ligne", a déclaré Ajit Pai, le président républicain de la FCC nommé en mars dernier par Donald Trump, avant de conclure son discours par cette phrase : "Il est temps pour nous de restaurer la liberté d'Internet".


Vers un internet à deux vitesses ?

La mort de la neutralité du Net, principe fondateur d’Internet, va donner la liberté aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) de prioriser certains services au détriment d’autres sites. Sachant que certains FAI américains sont également fournisseurs de contenus - comme Comcast qui a racheté NBCUniversal en 2011 -, ils pourraient favoriser leurs propres flux de données sur la bande passante

Jusqu’à présent, un Américain avait accès aussi rapidement à une vidéo Netflix qu’à une photo postée sur Facebook, peu importe son type d’abonnement Internet. Avec la fin de l’obligation faite aux FAI de respecter la neutralité du Net, ces derniers pourront jouir davantage de libertés commerciales, qui pourraient se traduire par des prix de forfaits basés sur les services utilisés par l’utilisateur. Aujourd’hui, que l’utilisateur regarde quotidiennement 150 vidéos sur Youtube (plateforme très gourmande en bande passante) ou non, il n’y a aucune répercussion sur le prix de son abonnement.

 
Une décision très politique

Pendant près de 1h45, les cinq commissaires ont développé leurs argumentaires. Mignon Clyburn, l’une des deux commissaires démocrates à défendre la neutralité du Net a estimé que la déréglementation allait "détruire Internet". "Nous avons juré de tout faire pour que soient disponibles au peuple américain, sans discrimination et sur tout le territoire, des services de communication rapides, efficaces et bien connectés au reste du monde. Aujourd'hui, la FCC s'apprête à renoncer à cette promesse", a-t-elle dénoncé en arguant que les premiers affectés seraient "les consommateurs et les petites entreprises".

Pour Jessica Rosenworcel, l’autre Démocrate de la commission, la fin de la neutralité du Net donne les pleins pouvoirs aux FAI. "Nos fournisseurs d'accès à Internet vont acquérir un pouvoir extraordinaire : bloquer des sites Internet, ralentir certains services, censurer des contenus en ligne. Ils vont avoir le droit de discriminer et de favoriser le trafic Internet des entreprises avec lesquelles elles auront des arrangements et de cantonner tous les autres à une route lente et saccadée."

Michael O'Rielly, l’un des trois commissaires opposés à la neutralité du Net, s’est voulu rassurant, avec une touche de sarcasme, sur les effets de cette dérégulation : "La légende d'un opérateur télécom essayant de casser Internet est une histoire d'horreur qu'on raconte aux enfants des geeks, mais ce n'est pas la réalité." Pour lui, la priorisation de certains flux de données est nécessaire afin de permettre aux "gigaoctets de données supplémentaires" générées par l’arrivée des voitures autonomes, de passer avant "les vidéos de chat".

Une vague de contestations
 
Mercredi 13 décembre 2017, la veille du vote, les procureurs généraux de 18 États américains avaient demandé, en vain, le report du vote dans une lettre envoyée à la FCC. Des défenseurs de la neutralité du Net ont passé la nuit de mercredi à jeudi devant le siège de la FCC. Le lendemain matin, la salle de la commission a été évacuée pendant une quinzaine de minutes pour "des raisons de sécurité", a indiqué le président Ajit Pai. À l’extérieur, des manifestations ont eu lieu toute la journée de jeudi.
 



La Toile s’est elle aussi largement mobilisée. La plateforme Battle for the Net a de nouveau invité les internautes à faire pression sur le Congrès afin qu’il invalide la décision de la FCC. Plusieurs États américains n’ont pas tardé à monter au créneau pour s’opposer à la décision de la FCC. Dans un communiqué, Bob Ferguson, procureur général de l’État de Washington, a exprimé son intention de "contester devant la justice, la décision de la FCC d'abroger la neutralité de l'Internet, avec les procureurs généraux du pays". Le procureur général de l'Etat de New York, Eric Schneiderman, a annoncé qu'il allait, lui aussi, déposer une action en justice.
 



De son côté, le sénateur californien Scott Wiener prévoit de présenter un projet de loi visant à rendre la neutralité du Net obligatoire en Californie, ce qui pourrait directement concerner les entreprises de la Silicon Valley. Suite à l’annonce de la mort de la neutralité du Net, le silence assourdissant des géants de la tech, tels que Google et Facebook, a d’ailleurs été critiqué.

Le 12 décembre 2017, Harold Feld, le vice-président de Public Knowledge, une association de défense des droits numériques tentait de comprendre ce silence dans une interview au New York Times : "Les géants de la tech sont conscients que Washington leur est désormais hostile. Dans ce contexte, les grandes entreprises tech font profil bas et préfèrent jouer la défense plutôt qu'attirer l'attention sur eux."
 

 

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