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Au Maroc, le long chemin vers la reconnaissance de l’identité amazighe

La loi d’officialisation de la langue, constitutionnelle depuis 2011, n’a été adoptée qu’en 2019. Mais le budget 2023 consacre 300 millions de dirhams pour la rendre visible dans l’espace public du royaume chérifien.

Par  (Casablanca, correspondance)

Publié le 09 février 2023 à 19h00

Temps de Lecture 4 min.

Les drapeaux amazighs sont de sortie un jour de manifestation, à Rabat, le 15 juillet 2018.

Le drapeau bleu, vert, jaune, frappé en rouge de la lettre Z de l’alphabet tifinagh – emblème des populations berbères (ou amazighs) d’Afrique du Nord –, a été fièrement brandi dans les stades lors du Mondial de football au Qatar fin 2022, quand la sélection marocaine a réalisé l’exploit historique d’atteindre les demi-finales. Un mois plus tard, le 13 janvier, le Nouvel An 2973 amazigh – ou Yennayer – était célébré dans tout le Maroc, mettant à l’honneur cette culture longtemps mise à l’écart, mais dont l’origine remonte à plusieurs millénaires.

Bien que ce jour ne soit pas une fête nationale chômée au Maroc – comme c’est le cas en Algérie depuis 2018 –, Yennayer, tout comme la Coupe du Monde, ont été des moments d’affirmation et de réappropriation de l’identité amazighe, après des décennies de lutte pour sa reconnaissance.

Signe que cette cause avance sur le plan institutionnel, la langue amazighe devient une condition d’octroi de la nationalité marocaine. Une loi, votée par le Parlement en janvier, prévoit qu’« une connaissance suffisante des langues arabe et amazighe, ou de l’une d’entre elles », est nécessaire pour la naturalisation. Jusqu’à présent, seule la maîtrise de l’arabe était exigée. Il s’agit de mettre en conformité le droit à la nationalité avec la Constitution de 2011, qui a fait de l’amazigh une langue officielle, au côté de l’arabe, « en tant que patrimoine commun à tous les Marocains ».

« Résistance aux dominations successives »

Le gouvernement marocain s’est par ailleurs engagé à en promouvoir l’usage dans les administrations. Plusieurs projets ont été annoncés le 10 janvier par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, d’origine berbère, pour mettre un coup d’accélérateur au chantier de l’officialisation de la langue amazighe qui piétine depuis dix ans. Agents d’accueil amazighophones, traduction dans les tribunaux, communications en amazigh… Un budget de 300 millions de dirhams (27,2 millions d’euros) y est dédié en 2023.

« Les promesses se concrétisent enfin », veut croire Rachid Raha, président de l’Assemblée mondiale amazighe, une ONG représentant des associations du Maghreb et de la diaspora. Selon lui, les précédents gouvernements dirigés par le parti islamiste PJD (Parti de la justice et du développement), au pouvoir de 2011 à 2021, « avaient tout fait pour bloquer l’officialisation de la langue amazighe, au nom d’une histoire officielle construite autour de l’identité arabo-islamique et le refus de toute référence à une civilisation antérieure à l’islamisation. S’il existe encore des résistances, les conditions semblent aujourd’hui réunies pour promouvoir l’amazigh et réécrire l’histoire ».

Ces premiers habitants du Maroc se nomment eux-mêmes les Imazighen, pluriel d’Amazigh – qui signifie « homme libre » – plutôt que « Berbères », un mot d’origine gréco-romaine qui désigne les « Barbares ». Les Imazighen constituent une importante minorité dans le royaume : selon le dernier recensement de 2014, un quart (27 %) de la population marocaine parle l’amazigh, un chiffre contesté par les militants. Celui-ci vit souvent dans les campagnes ou les montagnes et utilise l’un des trois principaux dialectes : le tarifit dans le Rif (nord), le tamazight dans le Moyen et Haut-Atlas, et le tachelhit dans le sud.

« On peut se demander par quel miracle cette langue se parle encore, tant elle a résisté aux dominations successives, de l’Empire romain à la conquête arabe au VIIe siècle jusqu’aux colonisations française et espagnole », souligne l’historien Mohamed Handaine, président de la Confédération des associations amazighes du Sud marocain.

L’indépendance du Maroc, en 1956, n’a pas favorisé l’émergence de la composante berbère. Au contraire : « Toute une politique avait été mise en place dans les années 1970 pour arabiser le pays et éradiquer l’amazigh, rappelle-t-il, dans un contexte de prédominance des mouvements nationalistes et panarabes qui considéraient l’arabe comme seul garant de l’unité de la nation, et l’amazigh comme facteur de division. »

Institutions et panneaux routiers

Le berbère a repris peu à peu droit de cité à partir des années 1990. En 2001, le roi Mohammed VI reconnaissait, dans son discours d’Ajdir, l’existence de l’amazighité et créait l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM).

En 2003, l’enseignement de l’amazigh était introduit à l’école, avec le choix de l’alphabet tifinagh pour le transcrire. Une première chaîne de télévision berbère a vu le jour en 2010, tandis que le tifinagh s’est fait une place dans l’espace public, où il apparaît sur les devantures des institutions étatiques ou les panneaux routiers.

Autant de succès remportés par le mouvement amazigh, porteur de revendications culturelles et identitaires, mais aussi actif dans différentes luttes sociales et démocratiques au Maroc, comme l’a illustré la présence du drapeau tricolore lors du Mouvement du 20 février qui accompagnait le printemps arabe, ou dans les marches de protestation dans le Rif en 2016.

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Reste que l’officialisation de la langue amazighe a pris beaucoup de retard. La loi transposant les dispositions constitutionnelles de 2011 n’a été adoptée qu’en 2019. Outre l’intégration de l’amazigh dans « la vie publique », celle-ci prévoyait la « généralisation » de l’enseignement de l’amazigh du préscolaire au secondaire. Mais « il n’y a jamais eu de généralisation, rapporte Bouchra El Barkani, chercheuse en didactique à l’IRCAM. L’enseignement de l’amazigh n’existe pas dans le secondaire. Au primaire, il n’est pas présent dans toutes les écoles et tend plutôt à décliner. » Au final, moins de 10 % des élèves, selon les associations amazighes, apprennent cette langue.

« Deux pieds »

Parmi les raisons, un déficit d’enseignants, un manque de suivi sur le terrain et des obstacles liés aux mentalités, selon Mme El Barkani : « L’élève marocain est supposé être en contact au primaire avec trois graphies : arabe, latine et tifinaghe. Certains directeurs d’école, mais aussi certains parents, ne sont pas convaincus de la nécessité d’enseigner cette dernière, ou ne la jugent pas prioritaire. »

« Dans la hiérarchie des langues au Maroc, l’amazigh est en bas de l’échelle, après l’anglais, le français, l’arabe – vue comme sacrée puisque étant la langue du Coran –, et l’arabe dialectal, qui s’impose comme la langue du peuple », souligne Lahoucine Bouyaakoubi, professeur d’anthropologie à l’université d’Agadir.

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L’officialisation de la langue amazighe, observe-t-il, « avance lentement, dans un contexte où celle-ci se perd chaque jour. L’exode rural l’a fragilisée, ainsi que sa présence minime à l’école et dans les médias. Et les familles, qui en sont les gardiennes, ne jouent plus pleinement leur rôle de transmission. Elles font parfois le choix de parler arabe à la maison parce que leur langue maternelle n’est pas celle du travail ni de l’ascenseur social. »

« Le chantier prioritaire doit être celui de l’enseignement, estime pour sa part l’écrivain et militant Ahmed Assid. Seule l’école peut sauver cette langue en danger. Elle peut aussi permettre de véhiculer la culture et les valeurs amazighes, transmettre une histoire équilibrée, former un citoyen qui appartient à un Maroc pluriel et tient debout sur ses deux pieds, arabe et amazigh. »

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