Construire la coopération – Sa mise en place

Avant-propos

Cette série d’articles n’a pas pour vocation de se substituer à l’aide d’un professionnel de santé mental. C’est un condensé de divers conseils, qui peut être vu comme de « grandes lignes » ; certains éléments peuvent ne pas s’appliquer à vous. Certains points abordés pourraient être source d’angoisse. Soyez précautionneux et critique dans votre lecture.

En cas de doute, parlez-en avec votre thérapeute. Il ou elle connaît les spécificités de votre situation et sera la personne la mieux placée pour vous conseiller.

Dans une volonté d’utiliser le vocabulaire le plus neutre possible, nous utiliserons ici le terme « identité » pour parler des différents états d’identité/parts/identités alternantes/alters/etc.

La bibliographie est disponible à la fin de l’article d’introduction.

Introduction

À travers les articles précédents, nous avons pu voir que la coopération n’est pas qu’un but, c’est aussi une manière d’interagir et de vivre. Ce sont des habitudes à prendre, des réflexes à travailler. Elle repose sur une base de confiance et de communication, mais elle ne peut vraiment se développer que si chacune des identités arrive à croire que :

  • toutes œuvrent pour la sécurité du système
  • chacune fait de son mieux quoi qu’il arrive.

Elle ne peut se mettre en place que si le système :

  • avance à un rythme qui convient au plus grand nombre
  • dispose d’un cadre clair
  • se sent en sécurité et respecté à l’intérieur
  • se sent en sécurité et respecté à l’extérieur.

Elle ne peut se maintenir que si le système :

  • apprend à réfléchir à son comportement de manière générale, plutôt que strictement individuelle
  • ré-évalue régulièrement les limites et les besoins de chacun.

Un travail progressif

C’est un travail conséquent, souvent long. En général, une ou deux identités doivent commencer par montrer l’exemple, en accordant bienveillance et confiance aux autres, quels que soient leurs comportements et leur niveau de méfiance – sans pour autant accepter tout et n’importe quoi ! Il ne faut pas oublier les limites.

Une fois que cet exemple est mis en place, une fois que les autres identités peuvent constater les petites améliorations qui se produisent, une fois qu’elles commencent à être à l’aise avec ces changements, même celles qui sont récalcitrantes finiront par suivre le mouvement.

Toutes les identités ont envie d’être acceptées, de faire partie du groupe et de guérir, même si elles peuvent être têtues, irritables, voire hostiles au premier abord ; même si leurs peurs et croyances issues des traumas passés peuvent se mettre en travers du chemin et compliquer la route.

La coopération est donc un travail d’entraide et de compromis, qui se construit et se renforce un peu plus chaque jour. Au fil du temps, cela deviendra de plus en plus naturel et vous demandera de moins en moins d’effort.

Le temps nécessaire au développement de la coopération est très variable selon les gens. Certains ont le déclic et y arrivent en quelques mois – ce cas de figure n’est cependant pas le plus commun. En général, il faut compter deux ou trois ans pour que le système en entier participe activement à la coopération.

Ceci dit, les premiers petits progrès peuvent être constatés rapidement, parfois au bout d’à peine un mois ou deux. Il suffit que deux identités s’y mettent. Même s’ils peuvent sembler dérisoires au vu du travail qu’il reste à accomplir, ces premiers progrès sont parmi les plus importants. Ce sont eux qui donneront envie de participer au reste de votre système. Alors ouvrez l’œil et prenez le temps de remarquer même les plus petits d’entre eux. Prenez le temps d’en parler avec votre système, de les célébrer et de les apprécier. Prenez le temps d’être fier de vous et du chemin que vous avez parcouru. Chaque centimètre est une victoire !

Après tout, la guérison est un processus qui s’appuie sur ces petits progrès pour lever les plus gros blocages. Sans ces petits progrès, les grosses avancées seraient impossibles.

La confiance comme moteur

Dans la construction de la coopération, les compromis et les promesses sont des choses particulièrement importantes. Beaucoup d’identités ont l’habitude d’être réduites au silence, de voir leurs besoins être ignorés, minimisés, réprimés ; de voir les autres les trahir, ne pas tenir leur parole, les abandonner. Si vous montrez que vous êtes prêt à faire des compromis et que vous faites tout ce que vous pouvez pour tenir vos engagements, que vous êtes digne de confiance et que vous voulez également pouvoir leur faire confiance, alors même les identités les plus agressives finiront par se calmer.

Mais, encore une fois, la confiance prend du temps à se développer. Ce n’est pas quelque chose qui arrivera en claquant des doigts.

Vos identités pourraient aussi avoir besoin de temps pour s’adapter à tous ces changements, pour voir et comprendre les bénéfices qu’ils peuvent leur apporter, pour accepter l’idée que vous êtes désormais tous en sécurité et qu’elles n’ont plus besoin d’être prêtes à réagir à la moindre menace qu’elles perçoivent. Elles pourraient avoir besoin de temps pour prendre confiance en elles, en vous et au système en tant qu’équipe.

Soyez indulgent envers vous-même

Vous allez avoir besoin de temps pour construire et développer les compétences qui vous serviront ensuite. Toutes ces choses que nous avons citées dans cette série, elles sont censées être apprises durant l’enfance : la bienveillance envers soi-même, le sentiment de sécurité interne, l’empathie, etc. Tout cela s’apprend durant les premières années de vie. Chez vous, ces apprentissages sont incomplets, voire n’ont jamais été faits. Vous allez devoir défaire des décennies d’apprentissages traumatiques et d’automatisation de ces apprentissages, jusqu’à ce que vos comportements passés ne soient plus des réflexes. Soyez indulgent envers vous-même – tous vos vous-mêmes. Laissez-vous le temps.

Pour chaque identité, il faut voir ça comme une balance, avec d’un côté, le poids de ses traumas et, de l’autre, le poids de ses expériences positives. La thérapie et le traitement des traumas permet d’alléger le poids du négatif, mais tant qu’il n’y aura pas suffisamment de poids du côté des expériences positives, ce sera difficile pour l’identité de se comporter de manière adaptée.

De fait, vous allez faire des erreurs et il y aura des moments où vous retomberez dans vos anciens comportements. Ça peut être à cause de la fatigue, du stress ou d’un trop-plein d’émotions – quand la balance s’alourdit momentanément du mauvais côté.

Que ce soit pour vous ou pour vos autres identités, souvenez-vous qu’un moment de régression n’est pas un retour en arrière. Il existe plusieurs raisons qui peuvent expliquer le retour temporaire à des comportements inadaptés. Les deux plus communes sont :

  • le cerveau est un organe qui adore faire des économies d’énergie, surtout en cas de stress, et ces anciens comportements sont encore suffisamment des réflexes pour être considérés comme moins énergivores
  • la peur est trop forte et, pour garantir votre survie, votre cerveau retourne aux techniques qui ont déjà fait leurs preuves par le passé.

Dans tous les cas, ça n’annule pas vos progrès. Ça signifie seulement que vous avez encore besoin de temps pour que tout votre être, que tout votre esprit, que votre cerveau arrive à faire confiance à vos nouveaux comportements. On en revient à l’idée de la balance : il faut que ces nouveaux comportements fassent leurs preuves, eux aussi, qu’ils prennent du poids. Dans la panique ou sous l’effet de la fatigue, le cerveau peut avoir l’impression qu’il ne maîtrise pas assez ces nouveaux comportements, qu’ils ne sont pas encore assez fiables, assez « lourds », et il préférera se tourner vers les anciens.

Enfin, ce n’est pas parce que ces anciens comportements ne sont plus adaptés à votre quotidien qu’il faut les rejeter complètement. Il peut arriver qu’ils soient ponctuellement adaptés à la situation présente. Tout est une affaire de contexte et certains d’entre eux pourront, parfois, encore vous être utiles.

Conclusion

Construire la capacité de coopération de votre système vous demandera beaucoup de patience et d’indulgence. C’est tout un processus, tout un apprentissage. Ça peut sembler énorme, voire infaisable, en début de parcours. Beaucoup de gens avec un trouble dissociatif complexe pensent qu’ils n’y arriveront jamais vraiment. Certains pensent qu’ils sont trop dissociés, qu’ils ont trop d’amnésie, des identités trop ingérables ou trop de comorbidités pour véritablement construire une vraie coopération.

Pourtant, au fil de ces dernières années, des expériences personnelles, des témoignages et des échanges que notre équipe a pu avoir, nous avons pu constater que le plus important n’est pas forcément d’où l’on part : ce sont les ressources que l’on arrive à acquérir, construire et rassembler tout au long de notre chemin vers la guérison qui pèsent le plus lourd.

Si vous persistez, les progrès finiront par venir et vous y arriverez.

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