somebody else might take my place.

28 Novembre 2018

Tu n’as pratiquement pas dormi de la nuit. Tu n’as plus réussi à fermer l’œil, à partir du moment où tu t’es réveillé en sursauts. Tu as vu ta peau partir en lambeaux. Tu t’es vu te fixer dans le miroir, et fondre comme neige au soleil. Comme un vulgaire morceau de chair plongé dans l’acide. Tu n’arrives pas à savoir si ton cerveau est bloqué, alors que tu fixes le mur d’en face, ou si tu penses tout simplement beaucoup trop pour réussir à bien aller.  
Tu étais là, comme ça, depuis combien de temps ?
Tu avais entendu Douglas se lever puis partir. Wall-e était venu gratter à ta porte pour demander à sortir. Tu avais enfilé un survet’ le temps de le promener, un peu vide, et tu étais retourné te planquer sous la couette à peine rentré.
T’as même pas faim. Tu n’as même pas envie de te lever pour grignoter quoi que ce soit.
Tu n’as pas envie.
Tu n’as pas envie que le temps continue. Tu aimerais bien que ça s’arrête. Là, maintenant.
Tu ne pensais pas que ça t’angoisserait autant. Tu ne pensais pas que tu paniquerais autant. Ce n’était rien, pourtant. Rien ne changerait par rapport au jour d’avant.
C’était juste trente ans.
Trente ans, sans Neptune, avec un job de merde et ta solitude.
Tu as l’impression que c’est l’heure de faire les comptes.
Tu as l’impression que c’est presque le moment de regarder où tu en es, et putain, ça t’effraie.
Comment est-ce que ce sera dans dix ans ?
Tu te sens con. Tu te sens con d’angoisser comme ça.
Va falloir que tu ailles chez tes parents. Va falloir que tu ailles manger pendant dix ans, que tu regardes les succès de ta fratrie. Tu vas te prendre quelques remarques dans la gueule. Des vieux sous-entendus sur le possible quelqu’un qu’il serait temps que tu ramènes. Des gosses qu’il serait temps que tu fasses. Un appart en solo (ou en duo, mais pas en coloc), qu’il serait temps que tu prennes.
Tu te sens pas prêt pour ça.
Tu ne te sens absolument pas prêt pour toutes ces conneries, et encore moins pour affronter ta famille.
Tu sens que tu vas te foutre minable la veille.
Tu sens que tu vas te foutre minable pour ton anniversaire. Vu ton état aujourd’hui, tu seras plutôt le déchet que le roi de la fête.

Et puis il y a ce bruit de porte. Celui de Douglas qui rentre. Le bruit des griffes du chien sur le sol. Joyeux ? Probablement un peu. Peut-être qu’il vient lui faire la fête. Peut-être qu’il est tout content d’avoir un second brun. Un brun un peu plus enclin, au moins aujourd’hui, pour les câlins.
Est-ce que ça t’atteint vraiment ?
Est-ce que tu l’entends vraiment ?
Probablement pas.
Ou peut-être un peu. Juste assez pour tirer un peu plus la couverture à toi. Te blottir en dessous, dans ton royaume déchu. Juste au cas-où. Juste au cas où cela suffise à te protéger.

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Il y a quelques coups qui sont frappés à ta porte. « Archie.. ? » entends-tu, presque au même moment. Tu souffles. Tu grognes, un peu, alors que tu te recroquevilles encore.
C’était la première fois depuis un moment qu’il tentait de t’adresser la parole.
C’était la première fois depuis un temps qu’il n’essayait pas de simplement de t’éviter.
Pourquoi ? Pourquoi, d’ailleurs, est-ce qu’il était comme ça ? Est-ce que quelque chose le tracassait aussi ? Est-ce que l’aura négative que tu trainais ces derniers temps suffisaient à le dissuader de s’approcher ?
Visiblement, ce soir, ce n’était pas suffisant. Visiblement, ce soir, ce n’était plus suffisant. « Quoi … ? » lances-tu, la voix presque éraillée. Eraillée de ne pas avoir parlé de la journée. Eraillée d’être victime de ton mutisme.
Tu ne sais pas trop de quoi tu as envie. Tu espères, quelque part, qu’il s’en aille. Tu espères, quelque part, qu’il ne fasse que de te transmettre une information, avant de repartir de son côté. Tu aimerais. Tu voudrais bien. Est-ce que tu dois aller ouvrir la porte ? Est-ce que tu dois aller l’accueillir ? Tu en es strictement incapable. Tu es incapable de bouger. De sortir de sous les draps.
Ce n’est même pas un problème d’envie, un manque de volonté.
Juste une impossibilité.
« J’suis pas au taquet, là … » Tu ne sais même pas pourquoi tu parles autant. Tu ne sais même pas pourquoi tu essaies autant.
A croire qu’articuler deux phrases constitue ton deuxième plus gros effort de la journée. A tes yeux, ça l’est. A tes yeux, c’est déjà énorme.

« La porte est ouverte si .. s’tu veux. » marmonnes-tu encore, alors que tu t’apprêtes à affronter la source de lumière qu’il apporterait avec lui.
Peut-être que c’est une forme d’appel à l’aide.
Peut-être que c’est une manière pour toi de dire que tu ne peux pas rester là. D’admettre que tu ne peux pas rester comme ça.
Dans le noir.
Sous les draps.
Avec ta chambre en bordel et tes affaires qui jonchent le sol.
Pourtant, tu sens que tu n’as pas envie de parler. Tu sens que tu n’as pas envie d’élever encore la voix. Tu n’as pas non plus envie d’affronter quoi que ce soit. D’affronter qui que ce soit.
Est-ce qu’il s’attendait à autre chose ? Est-ce qu’il s’attendait à ce que tu viennes faire quelque chose ?
Tu ne sais pas.
Tu ne sais pas, mais tu sens que ton cerveau s’emballe. Tu sens qu’il a envie de commencer à penser. De recommencer à trop songer.
Tu as un gémissement étouffé.
Tu as un gémissement paniqué.

Et là, tout de suite, il n’y a rien pour te faire sourire.
Il n’y a rien pour t’aider. Ni Douglas qui essaie de t’appeler par ton prénom, ni la chaleur et la lumière de l’extérieur. Tu ne parles même pas de Wall-e et de ses bruits de pattes sur le sol de la maison. Wall-e, il ne doit pas très bien piger ce qu’il se passe. Wall-e, il a probablement juste envie que tu te lèves enfin pour aller jouer avec lui.
Tu n’as pas la force pour ça, aujourd’hui.
Tu n’as ni la force ni l’envie d’affronter la réalité.
Tu as juste envie d’abandonner.

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« En fait je.. Comme ton anniversaire approche je.. J'avais organisé un petit truc pour toi. Je me suis dit que ça te ferait plaisir.. » Tu ne bouges pas. C’est gentil de sa part, mais là, c’est clairement pas le moment. Non ? « Mais bon si tu n'as pas envie, ce n'est pas grave.. Je pensais peut-être que ça te ferait plaisir de fêter ça avec tes amis.. » Tu grimaces. Tes potes ? Neptune est partie. Les autres ? Ça fait un moment déjà que t’as laissé ton téléphone se vider de sa batterie. Tu restes sous les draps. Pour le coup, tu ne sais pas trop si tu as vraiment envie de fêter ça. Pas maintenant, pas cette fois, pas dans cet état.
« Je sais que je suis mal placé pour dire quoique ce soit mais.. Ce n'est pas en restant enfermé ici que tu iras mieux.. Et puis Wall-e t'attend avec impatience. Il ne comprend pas pourquoi tu l'évites. Il a besoin de toi autant que tu as besoin de lui pour remonter la pente.. » Tu l’entends se déplacer, mais tu ne t’agites pas plus qu’avant.
Tu sais qu’il a raison, au fond.
Tu sais qu’il faudrait que tu te lèves, que tu te rases, que tu te bouges.
Que t’ailles vraiment prendre l’air.
Tu as un peu envie, mais t’es pas certain d’avoir ce courage-là.
Mais y’a le border-collie. Wall-e qui profite du mouvement de la poignée de porte pour se faufiler dans ta chambre. Tu le sens s’appuyer sur côté du lit, et foutre son museau entre les draps.
En voilà un qui ne veut pas que tu restes là.
Il continue de se glisser sous ta couette, jusqu’à pouvoir te couvrir la figure de grands coups de langue. « Nooooon … Wall-eeee ! » as-tu râlé, alors que tu commençais à pouffer. Tu essaies, au moins un peu, de le repousser. Tu essaies, et rien que pour ça, t’es obligé de te déplier. T’es obligé de sortir ta tête de sous les draps. « Pas dans le lit, Wall-e. » marmonnes-tu, alors que tu lui gratouilles la tête. « A la limite sur le lit. Mais pas dans le lit. » ajoutes-tu, alors que tu lui attrapes la tête pour le fixer. Tu fais la moue. Tu fais une grimace, juste pour essayer de te faire comprendre.

Et puis, tu finis par tourner la tête vers Douglas. « Désolé … » souffles-tu, alors que tes bras retombent le long de ton corps. Tu souffles. Tu souffles, alors que tu pousses un peu le chien pour te redresser – c’est déjà un progrès. Tu t’es frotté le visage, comme si ça allait t’aider. « C’est gentil d’organiser … des trucs. J’te .. j’te remercie pas comme il faudrait. » Tu te sens pas à la hauteur. Tu ne te sens pas suffisamment bien pour correctement le remercier.
Est-ce que tu n’aurais pas un peu peur ? Peur de le décevoir ? Peur de grandir, encore ? « Ça m’angoisse. Trente ans, putain. » Tu finis ta phrase dans un marmonnement. Tu grimaces un peu, alors que tu reviens cajoler le chien. Sa présence te rassure, un peu. « Tu voulais … T’avais préparé quoi ? » demandes-tu. Peut-être que tu pouvais te lever. Peut-être que tu pouvais te préparer pour quelque chose.

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« Qu'est-ce que ça change d'avoir trente ans ou d'en voir vingt ? Ça ne change rien, c'est juste un chiffre qui te donne plus ou moins de responsabilités, mais il ne définit pas ce que tu es au fond de toi. » Tu as serré les dents. Tu dois lutter pour ne pas remonter la couverture sur toi. Qu’est-ce que ça changeait ? Tout. « Le problème est dans les responsabilités, justement. Genre … Quand on t’dit qu’il faudrait que tu t’décides à avoir un gosse, que tu t’trouves une meuf, ou qu’enfin, tu sortes du placard. Quand tes potes, tes frères et tes sœurs se marient les uns après les autres, t’vois l’truc ? C’est pas contre toi, mais l’idée que je sois encore avec un colocataire à trente balais, mes parents, ça les fait pas rêver. » lâches-tu, alors que tu viens te ronger l’index. Tu as peut-être été un peu sec. Tu as peut-être été un peu trop direct. Tu t’en veux déjà.
Franchement, tu sers à rien, parfois.
Tu ne sers à rien d’autre que de blesser les autres – et t’es vraiment pitoyable et lassant rien qu’en pensant à ça.

« Je.. En fait j'avais prévu de t'emmener dans un restaurant puis après aller au bar qui est juste à côté. Ils font une soirée un peu spéciale, je me suis dit que ça devrait peut-être te changer les idées. » Une soirée un peu spéciale. Ça te fait sourire. « Tant que ta soirée spéciale n’est pas une soirée BDSM échangiste … j’peux essayer de faire quelque chose … » La plaisanterie sur le cul, c’était peut-être pas la meilleure idée que tu aies pu avoir avec Douglas. Mais peut-être aussi que tu as besoin d’étaler un peu ta connerie pour essayer de t’en tirer.
Il a fait des efforts pour toi.
Neptune te buterait si tu n’en faisais pas.
« Il est quel heure ? ‘fin … c’est dans combien de temps ? » demandes-tu, alors que tu te lèves enfin.
Pas longtemps.
Juste le temps de réaliser que tu avais la tête qui tournait un peu trop.
Tes fesses se sont reposées presque aussi vite sur le matelas, alors que tu lâchais un léger gémissement. « Putain, ça tourne. » marmonnes-tu. A croire que ton corps s’était un peu trop habitué à la position allongée. A croire qu’il refusait ton élan de détermination soudaine.
Mais tu ne pouvais pas laisser tomber maintenant, non ?
C’est juste que t’as rien bouffé de la journée. C’est juste que tu as passé trop de temps allongé. Tu te prends le visage entre les mains, un instant. Tu sens ta barbe de trois jours. Tes doigts glissent dans tes cheveux. Trop épais. Tu as besoin de faire quelque chose. Tu dois faire quelque chose à ce sujet. Maintenant ? Pourquoi pas. « Est-ce que … Est-ce que tu peux m’aider à me couper les cheveux ? » laisses-tu échapper. « C’est pas un truc très compliqué, hein. C’est juste un coup de tondeuse … » Rien de très compliqué. Rien qui ne demandait trop d’efforts de sa part. Tu souffles, un peu, avant de retenter de te lever, cette fois-ci avec un peu plus de succès. « Puis .. j’irai me doucher après … » Tu ne savais même pas comment tu allais y arriver. Tu ne savais même pas par quelle force tu avais réussi à faire autant de trucs en si peu de temps vu ton état. Tu souffles, doucement. Il suffisait juste de réussir à ne pas flancher.

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« Je comprends ce que tu veux dire, les parents veulent nous voir heureux, avoir quelqu'un à notre bras, puis ensuite les petits enfants et tout ce qui s'en suit. Mais c'est ta vie Archie, c'est à toi de décider ce que tu veux. Dans le pire des cas, tu vas faire quoi ? Te forcer à trouver quelqu'un juste pour pouvoir présenter cette personne à tes parents et après ? Les faux-semblants, ça ne dure qu'un temps.. » Tu hausses les épaules. Tu ne savais pas ce que tu voulais faire. Tu n’avais aucune idée de ce qu’il fallait faire. Tu savais que, quelque part, il avait raison. Faire semblant ne servirait à rien. Ce n’était pas le premier à te le dire. Ce ne serait probablement pas le dernier. Il fallait juste que tu trouves comment faire. Il fallait juste que tu trouves comment te poser. Comme t’assurer un peu plus, avant de te lancer.

« Une soirée quoi.. ? » Dans d’autres circonstances, son innocence t’aurait fait rigoler. « Bondage, discipline, sado-maso … et échangiste, quoi … » lâches-tu quand même avec un léger sourire. « T’as jamais vu 50 Shades of Grey ou quoi ? Au moins pour avoir une petite idée. » ajoutes-tu, toujours sur le ton léger de la plaisanterie – tu tentais de faire de ton mieux – avant de t’inquiéter du temps qu’il te restait pour te préparer. « C'est dans 3 heures, tu as le temps de te préparer sans courir. » Tu hoches la tête. Tant mieux, car tu t’en sentais incapable. Incapable de te presser, incapable de courir partout. Incapable de suivre le rythme de la musique.
Il faut que tu te fasses violence.
Il faut que tu te secoues un peu, et que tu évites de retomber dans ton lit. Il faut que tu tentes de ne pas te rouler en boule à nouveau. C’est compliqué, d’ailleurs. Tellement que tu sens l’univers tourner autour de toi lorsque tu tentes de te lever. « Ne force pas, prend ton temps pour te lever doucement. Et puis.. Mange un petit truc je pense que ça ferait du bien à ton organisme. » Tu hoches péniblement la tête. Tu souffles, alors que tu essaies de rassembler tes forces. Tu essaies de trouver tes forces.
Tu voudrais avoir l’air plus propre. Tu voudrais avoir l’air un peu plus frais, un peu plus neuf. « Je.. Euh.. Oui bien sûr.. » répond-t-il, hésitant, alors que tu lui demandes de te couper les cheveux. « Il faudra juste que tu.. Que tu me guides.. » Tu hoches la tête. « C’est pas … très compliqué. » essaies-tu de le rassurer. Tu n’allais pas lui demander de te dessiner des étoiles sur les bords du crâne non plus. « Je te laisse te lever doucement, quand tu seras prêt pour que je te coupe les cheveux, appelle moi, je serai dans ma chambre. » Tu acquiesces, encore. Ok. Tu captais les informations. Il suffisait juste d’arriver à faire tout pour qu’il puisse te couper correctement les cheveux. Pour que tu puisses finir de te préparer.

Wall-e tourne un peu autour de toi, alors que tu te remets debout. « Tu m’fais pas tomber, hein … » murmures-tu à l’attention du chien, alors que Douglas retourne vers sa chambre. Tu as enfilé un pantalon de survêtement, juste pour ne pas te trimballer en caleçon dans toute la maison. Tu t’es dirigé vers la cuisine, pour aller grignoter quelques biscuits, sans réel appétit – plus pour faire plaisir à Douglas qu’autre chose. La tête du chien vient se glisser sous ta main libre, tandis que tu le flattes doucement.
Tu finis par te diriger vers la salle de bain, une chaise à la main. Tu t’offres un rasage rapide, histoire de chasser ta barbe d’une semaine un peu merdique. Déjà, tu te sentais mieux. Tu t’es brossé les dents, pour ne plus avoir l’impression de vivre avec une bouche pâteuse. Tu as ouvert le placard pour chopper la tondeuse à cheveux. Tu l’as déposée sur le rebord du lavabo, avant d’aller chercher Douglas. « … J’suis prêt. » que tu souffles, doucement, alors que tu glisses ta tête par l’embrassure de la porte. « On fait ça dans la salle de bain ? J’ai .. préparé. » expliques-tu, alors que tu retournes l’attendre là-bas. Tu lui as tendu la tondeuse, alors que tu t’asseyais sur la chaise. « T’as juste à raser, t’embête pas avec les sabots. » ajoutes-tu, alors que tu essaies de te tenir bien droit pour lui faciliter la tâche.

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« Non jamais.. » te répond-t-il, lorsque tu lui demandes s’il a déjà regardé 50 Shades of Grey. La situation t’arrache un léger sourire. Il avait l’air de se sentir coupable, alors qu’au fond, ce n’était pas grand-chose. Non ? Peut-être que tu l’avais blessé. Il devait bien y avoir un truc, vu la tête qu’il tirait. « C’pas grave, va. J’suis pas pour le principe de mater des films de cul avec des potes, mais pour toi, j’pourrais faire une exception, si tu veux. » Tu sentais que ça risquait d’être terriblement awkward - et qu’il ne rirait probablement pas comme Neptune à chacune de tes petites remarques – mais si ça pouvait l’aider dans la vie, tu voulais bien te sacrifier.
Putain, tu aurais presque envie de te remuer.
Tu le fais, d’ailleurs. Tu commences à t’agiter un peu, au moins pour faire plaisir à ton colocataire. Au moins pour faire plaisir à ton chien, plutôt heureux de te revoir, littéralement, sur tes deux pieds plutôt qu’allongé.

Tu voulais qu’il te coupe les cheveux. Tu voulais qu’il te rase la tête, juste pour avoir l’impression d’être neuf. Juste pour avoir l’impression d’avoir été remis à neuf. Tu prépares ta petite installation dans la salle de bain, avant de venir le chercher.
Il semblait s’être remis à bosser.
Tu le respectais sur ce point-là. Tu le respectais, parce que tu ne savais pas comment son cerveau faisait pour encaisser encore tout un tas d’informations. Et toi ? Toi, tu t’en sentais clairement incapable. Incapable d’étudier jusqu’à vingt-sept ans – et on ne parle même pas de tes trente ans. Tu étais presque persuadé que les mots auraient fini par te couler par les oreilles, incapables d’être absorbés par ton cerveau qui devait ressembler à une – petite – éponge gorgée d’eau (aka ces putains de leçons).  
Tu pouvais probablement apprendre plein de choses encore, c’est vrai. Mais tu restais dubitatif quant à ta capacité à apprendre quelque chose par cœur, autre qu’un code de carte bleue (cela dit, tu n’as jamais prétendu être le mec le moins con de la Terre non plus).

Le bruit de la tondeuse est rassurant. Son ronronnement t’apaise presque instantanément, alors que tu essaies de ne pas trop faire attention à la main tremblante de Douglas – au pire, tu perdais une oreille. « Est-ce que.. Est-ce que ça va ? Je ne te fais pas mal ? » Tu ris, doucement. Tu ris, en essayant de ne pas trop bouger. Okay, d’un point de vue extérieur, toute cette histoire pouvait sembler un peu tendancieuse. Carrément, même, mais tu sentais que ça aurait peut-être été la blague de cul de trop pour le brun. « Tu n’entends pas mes cheveux hurler de douleur ? » demandes-tu, le taquinant doucement – et plus légèrement –, alors que tes mèches brunes tombent une à une sur le sol. « Non, mais c’est parfait, en vrai. Tant que tu ne m’entailles pas une oreille, ça ira. » le rassures-tu, avec un léger sourire.
Tu t’es relevé lorsque la tondeuse s’est arrêtée. Tes doigts se sont glissés sur ton crâne, avant que tu ne glisses un regard vers le sol. Tu as lâché un léger soupir de soulagement. « Merci, Douglas. » ajoutes-tu, alors que tu viens prendre le garçon dans tes bras. Tu étais sincère. Tu t’es reculé doucement, avec un léger sourire – probablement plus assuré que tous les autres pour cette journée. « J’dois avoir une odeur de rat mort, j’suis désolé. » ajoutes-tu, en te massant une épaule. « J’passe l’aspi, j’me douche, et … j’pense que je serais prêt. » expliques-tu, sans tarder à t’exécuter.

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Il n’avait pas l’air ultra-motivé à l’idée de regarder 50 Shades of Grey avec toi. Tu hausses les épaules. C’était comme il voulait. Au fond, tu étais plutôt ok pour passer ton temps à regarder un autre film. Quelque chose d’un peu mieux.
Même avec Douglas.
Surtout avec lui, peut-être, même.

Tu as essayé de bien de comporter. Tu as tenté de le rassurer, un peu, alors qu’il tremble en te tondant les cheveux. Tu oses une blague. Une blague qui échoue lamentablement. Tu te sens nul. Tu te sens nul quand tu l’entends s’arrêter – ça n’arrange pas grand-chose à ton sujet. Pourtant, tu prends sur toi. Tu te forces, un peu, pour essayer de faire en sorte qu’il ne se sente pas trop mal.
Lequel des deux s’occupe de l’autre ?
Lequel des deux est en train de tirer l’autre par le haut, lorsque vous sembliez à deux doigts de vous effondrer ?

Tu le serres dans tes bras. Tu le serres contre toi, comme si c’était là la seule solution que vous aviez pour vous sauver. Pour tenir encore un peu debout.
« Dis.. Comment tu fais pour me supporter ? » Tu as senti tes épaules s’affaisser alors que tu t’entendais soupirer. Tu n’étais pas vraiment certain d’avoir, dans ton état semi-dépressif, la patience pour ce genre de questions.
Est-ce qu’il était vraiment certain d’avoir envie d’entendre la réponse ?
« J’sais pas. » que tu lâches, après avoir pris une profonde inspiration. Qu’est-ce que tu pouvais ajouter ? Qu’est-ce que tu devais ajouter ? « Je te cache pas que … notre duo est un peu … surprenant. Pour les autres comme pour moi. » Tu t’appuies sur l’embrasure de la porte. Tu réfléchis, encore. « Genre … J’ai l’impression que je pourrais te briser en soixante morceaux dès que je dis un truc. Y’a des jours où j’me demande quels mauvais souvenirs j’vais te faire remonter quand je te propose un plat de pâtes au fromage. » C’était triste, mais tu étais sincère. Chaque discussion avec Douglas te donnait l’impression de marcher sur des œufs. Avec le temps, cependant, tu avais commencé à déceler les sujets qu’il fallait éviter d’aborder – ou plutôt, ceux que tu pouvais aborder sans trop de dangers. « Même là, tout de suite, j’sens que tu vas en prendre un coup. Genre, tu vas avoir ce regard de bête blessée dans environ deux secondes, celui du gars absent, paumé dans ses pensées, et j’vais encore avoir un pincement au cœur. J’vais encore avoir l’impression d’être un con fini, et m’en vouloir parce qu’au fond, j’te connais pas vraiment. J’risque de dire des trucs méchants mais que je pense, d’être incapable de m’en vouloir, et de juste essayer de corriger ça comme je peux. Mais … J’sais pas. J’sais pas vraiment comment on fait pour coller, toi et moi. J’sais pas comment ça se fait que tu n’aies jamais gueulé plus que ça contre moi, pourquoi t’as jamais claqué la porte, pourquoi j’suis jamais parti pour ne pas revenir. » Tu viens te ronger l’ongle du pouce, doucement.
On pourrait presque croire que ça va mieux, pourtant, vu la longueur de tes discours.
« Mais j’imagine que y’a un truc, au fond. J’t’admire, un peu. J’t’admire, quand tu restes là, à supporter mes coups de mou, ou mes phrases merdiques. Alors … J’sais pas comment ce sera quand on … vivra plus ensemble, ni pourquoi, mais j’ai pas trop peur de m’avancer en disant que j’ai appris, au moins un peu, de tout ça. » De vous deux et de votre étrange cohabitation.

Tu te déplaces. Tu bouges, un peu, pour aller récupérer l’aspirateur. Comme si la discussion précédente n’avait aucune importance. « Laisse. Je vais m'occuper du ménage, profite en pour te préparer en attendant. » Tu as laissé échapper un gloussement soudain. Légère pensée déplacée qui te vient en tête, alors que tu lèves les yeux vers lui, un peu taquin. « Tu sais que tu vas me voir tout nu si tu fais ça ? » Pourquoi est-ce que ça t’amuse ? Pourquoi est-ce que tu dis ça ? Parce que typiquement, c’était le genre de phrases qui le faisaient partir en vrille. Tu le savais, pourquoi. Tu l’avais admis il y a même pas cinq minutes, mais tu continuais. « Genre … ‘fin j’me lave pas habillé, quoi. » Pas que ça te dérangeait d’être vu dans ton plus simple habit, mais tu te voyais mal prendre une douche en te planquant à moitié juste pour ne pas heurter sa sensibilité. Tu grimaces, un peu. Embarras soudain alors que tu considères le garçon en face de toi. « Non mais … J’vais l’faire, sinon, j’vais plus savoir comment il marche. » tentes-tu encore, en mettant précipitamment en route l’engin. Tu aspires tes cheveux – chose qui te semble toujours un peu étrange – avant de remettre l’aspirateur dans le placard. « Bon bah heu … J’vais me laver, du coup. Genre .. j’devais être opé d’ici .. vingt minutes. » souffles-tu, avant de t’enfermer dans la salle de bain.

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« Je.. Euh.. Oui d'accord.. » Remarque qui te fait sourire, alors que tu le menaces presque d’apparaitre tout nu sous ses yeux s’il voulait absolument passer l’aspirateur. Sa réaction est prévisible, au fond. Terriblement prévisible, mais parfois, c’est amusant. Apaisant.
Tu ne le disais pas pour le mettre mal à l’aise, en réalité. Mais bon. Peut-être que voir sa réaction offusquée te foutait un peu de baume au cœur. Peut-être que ça t’aidait à sourire, un peu, et oublier que tu avais presque trente putains d’années.
Tu lui dois probablement bien plus qu’il ne l’imagine. Tu lui dois certainement bien plus qu’il ne le pense, et l’instant présent en est une preuve relativement indéniable.
Un jour, il faudrait que tu lui montres. Un jour, il faudrait que tu marques le coup, ne serait-ce que pour convenablement le remercier.

Tu termines de passer l’aspirateur, juste avant de te perdre sous la douche. L’eau roule sur ta peau, alors que tu essaies, tant bien que mal, de détendre un peu tes muscles noués.
Tu souffles. Tu te perds, un peu. Tu essaies de juste savourer la chaleur sur ta peau, l’eau qui dégouline. L’odeur musqué du gel-douche qui t’attaque les narines.
Le contact étrange mais agréable de ton crâne.
Tu coupes l’eau, finalement. Tu finis par t’enrouler dans une serviette, pour quitter la pièce. Pour enfiler des fringues correctes, et revenir ensuite dans le salon, Wall-e dans ton sillon, à la recherche d’un peu d’attention.

Il tire une drôle de gueule, ton colocataire.

Il est livide, tremblant, et l’ombre du sourire qui s’était dessiné sur ton visage s’efface presque instantanément. « Doug … ? » demandes-tu, hésitant. Tu t’approches, doucement, pour venir te poser sur le canapé, à ses côtés. « T’es malade, ou y’a un truc que j’ai raté .. ? » Tu grimaces, un peu. Tu grimaces, légèrement paumé. Tu ne pigeais pas. Tu ne comprenais pas ce qu’il se passait.
Tu remarques le téléphone tout près de lui.
Tu pinces les lèvres, en essayant d’imaginer diverses possibilités. « T’as reçu une mauvaise nouvelle ? »
Peut-être que tu devrais te taire. Peut-être que tu ne devrais rien dire, et juste lui proposer de vous emmener à la soirée, histoire de vous changer les idées. « Tu veux … raconter ? » dis-tu encore, alors que la tête du border-collie vient se poser sur les genoux du brun. Prunelles sombres qui vous fixent, tentant désespérément de piger vos changements d’humeur, aussi imprévisibles que des montagnes russes. Grosse tête noire et blanche, qui cherche, autant qu’elle peut, à vous consoler tous les deux.