Varsovie (Pologne)

De notre correspondante

Béatification du cardinal Wyszynski, le primat qui façonna le catholicisme polonais

« Primat du millénaire », comme l’a appelé Jean-Paul II, « roi sans couronne » qui, tel Moïse, a mené l’Église de Pologne à travers la mer Rouge du communisme… Le cardinal Stefan Wyszynski (1901-1981), dont la béatification a lieu ce dimanche 12 septembre à Varsovie, a façonné en très grande partie le visage du catholicisme polonais au XXe siècle. Il a également joué un rôle politique majeur en ménageant à ses compatriotes un espace de liberté sous le régime communiste.

« Difficile de trouver un domaine où le cardinal n’aurait pas laissé son empreinte, depuis l’organisation administrative, comme le découpage en diocèses, jusqu’au plan spirituel », affirme l’historien Pawel Skibinski, ancien directeur du Musée de Jean-Paul II et du Primat Wyszynski, à Varsovie.

Fin 1948, quand il est nommé, à son corps défendant, archevêque de Varsovie et de Gniezno et primat de Pologne par le pape Pie XII, l’évêque de Lublin n’a que 47 ans et sa candidature est loin de faire l’unanimité au sein de l’épiscopat polonais. De plus, les communistes, installés au pouvoir sous la tutelle soviétique, cherchent déjà à mettre les catholiques au pas, comme dans tous les autres pays est-européens.

Pendant trente-trois années, dont trois passées en détention (1953-1956), le cardinal Wyszynski saura déjouer ces tentatives. Il mène d’une main de maître, et souvent de fer, les relations entre l’État et l’Église, confrontation dont cette dernière est sortie plus puissante que jamais.

Dans sa partie d’échecs contre le régime communiste, le cardinal a beaucoup misé sur le lien entre l’Église et la nation, souligne Ewa Czaczkowska, sa biographe. « Il considérait que, faute d’un État souverain, c’était à l’Église d’assurer la transmission non seulement de la foi, mais aussi de la culture, de la tradition, de l’histoire. » La proximité entre l’identité nationale et l’Église est toujours d’actualité pour une partie au moins des catholiques en Pologne.

Pour Marcin Przeciszewski, chef de l’agence d’information de l’épiscopat KAI, « Wyszynski n’a pas seulement sauvé l’Église ». Grâce à son élan pastoral, et notamment à la préparation spirituelle qu’il a lancée plusieurs années avant les célébrations du millénaire du baptême de la Pologne en 1966, avec une grande neuvaine nationale, il a entraîné les masses et « renouvelé la foi des Polonais. À sa mort en 1981, il laissait une société – et particulièrement une intelligentsia – beaucoup plus croyante qu’avant ».

Dans son action pastorale, le cardinal a fait aussi la part belle à la piété populaire. « À son initiative, le panthéon des saints polonais s’est considérablement étoffé », remarque le professeur Skibinski, citant Maximilien Kolbe, béatifié en 1971 et canonisé un an après la mort de Wyszynski.

Dans la même veine, le primat a « indéniablement renforcé » la ferveur mariale polonaise, assure Ewa Czaczkowska. Tout son programme du millénaire du baptême de la Pologne était construit autour du sanctuaire de Czestochowa, promu au rang de « cœur spirituel de la nation », avec les « serments de la nation à la Vierge » en 1956, les pérégrinations d’une copie de l’icône mariale à travers la Pologne à partir de 1957 – tradition qui continue jusqu’à nos jours –, ou encore l’essor des pèlerinages populaires à Czestochowa en août.

Certains fidèles établissent d’ailleurs un lien entre la dévotion à Marie qu’il a encouragée et le succès de l’empire médiatique bâti, depuis 1991, par le rédemptoriste Tadeusz Rydzyk autour de la station Radio Maryja, symbole de l’engagement politique d’une partie de l’Église polonaise aux côtés de la droite conservatrice au pouvoir actuellement.

« D’une certaine manière, c’est peut-être vrai, reconnaît PaweL SkibiNski, mais les combats de Radio Maryja ne sont pas ceux de WyszyNski, ce n’est pas du tout la même époque. »

Selon l’historien, la spécificité de l’Église polonaise actuelle, « post-millénaire », consiste en une coexistence, plus ou moins harmonieuse, des éléments de la piété populaire avec l’héritage du concile Vatican II, que le cardinal introduisait trop frileusement au goût des laïcs progressistes. « On lui reproche souvent d’avoir été sceptique à l’égard des réformes du Concile ; ce n’est pas aussi simple. Il cherchait à les mettre en pratique d’une manière progressive qui ne mettrait pas en danger la stabilité de l’Église en Pologne », ce qui aurait pu être fatal dans le contexte politique de l’époque.

sur la-croix.com 

Mère Roza Czacka (1876-1961) sera béatifiée elle aussi le 12 septembre