Rebecca Mead est une journaliste américano-britannique et a déménagé à Londres en 2018 après trois décennies passées à New York. Son fils, âgé de 13 ans et scolarisé dans une école locale, commence à parler une nouvelle langue ou plutôt un nouveau dialecte issu de l’anglais : l’“anglais multiculturel de Londres”. Elle le raconte dans un récit autobiographique Home/Land : A Memoir of Departure and Return [“Patrie : mémoires sur le départ et le retour”, 2022, inédit en français], dont le New Yorker publie un extrait.

Elle explique qu’elle a voulu déraciner son fils, un vrai petit Américain qui a passé toute son enfance dans la Grosse Pomme, pour ouvrir ses horizons, partager une expérience de l’Angleterre et aussi lui donner le sentiment d’avoir toujours un autre ailleurs. Et dans le processus, son fils est en train d’acquérir un nouveau parler, qui n’est pas juste un argot adolescent mais bien une “variante inédite de l’anglais que l’on observe chez les plus jeunes”. Les linguistes se sont penchés sur ce phénomène, surnommé “anglais multiculturel de Londres”, depuis plusieurs années et ont observé qu’il naissait dans les cours de récréation chez des enfants. Le phénomène a notamment été étudié de 2004 à 2010 dans le quartier très cosmopolite de Hackney, bastion de l’accent cockney, chez “des enfants qui parlaient une autre langue que l’anglais chez eux ou des enfants qui parlaient une variété postcoloniale de l’anglais, comme l’anglais du Ghana ou d’Inde. Dans ce milieu diversifié, les enfants s’inventaient une nouvelle langue commune.”

Ce nouvel anglais se caractérise par des prononciations inédites, des emprunts lexicaux étrangers (à la Jamaïque, par exemple) mais aussi par des changements syntactiques. Les enfants cessent de parler comme leurs parents pour parler comme leurs pairs avec un effet d’imitation et d’entraînement. Pour David Hall, linguiste à l’université Queen Mary de Londres, “ce n’est pas de l’appropriation culturelle, ce n’est pas déplacé, c’est juste ce que font les gens. Nous nous accommodons et nous nous adaptons au langage des autres parce qu’on veut s’entendre avec eux, nous voulons comprendre et être compris.”

Pour Rebecca Mead, l’expérience est aussi troublante que réjouissante. Son fils a appris une autre langue. Certes, il ne s’agit pas, au sens strict du terme, d’une langue étrangère pour lui, mais celle-ci dit un ailleurs, riche de voyages, de rencontres et donc de possibilités nouvelles.