Une chronique de François Houdecek : de la communication politique

Auteur(s) : HOUDECEK François
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La « communication politique », expression peu utilisée il y a encore quelques années, a désormais envahi les médias eux-mêmes experts dans la discipline.
Sans plan préconçu ni théorie, Napoléon est, on le sait, précurseur en cette matière. Dès la première campagne d’Italie, il se révèle être un stratège en communication. Dans sa correspondance au Directoire, par exemple, chaque phrase est dictée, écrite et réécrite pour transmettre le message qu’il souhaite faire passer. Il s’agit pour lui de ne jamais froisser les politiciens de Paris, ni dévoiler son jeu.

Une chronique de François Houdecek : de la communication politique
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

Le brouillon de la lettre du 16 novembre 1797 (Correspondance générale, vol. 1, n° 2267), qui annonce l’envoi à Paris de drapeaux portés par deux généraux, montre tout le travail d’équilibriste qui se joue sur la table d’écriture de Bonaparte. Découvert dans les fonds de la Bibliothèque nationale de France (NAF 22816), il comporte de nombreux repentirs autographes et réaménagements de texte, qui pour certains, dépassent la simple correction stylistique. Dans son premier jet, il commence sa missive par « Je pars demain pour Rastadt en qualité d’homme d’État » qu’il biffe d’un mince trait de plume. Dans son esprit, il n’est déjà plus un général parmi les autres, l’écrire au Directoire est cependant se démasquer trop tôt ! Dans tous les cas, le voyage est finalement repoussé de 10 jours.

Dans la première version, une phrase vante les mérites de Joubert : « Sa conduite dans le Tyrol est trop peu connue comme tous les événements de la dernière campagne d’Allemagne, lui assure une place honorable dans nos annales militaires. ». Napoléon pouvait-il ainsi opposer sa campagne italienne à celle de l’armée d’Allemagne commandée par Moreau ? Si, vu d’Italie au printemps 1797, l’armée d’Allemagne a agi avec bien des lenteurs, à cette date il n’y a pas encore de rivalité affirmée entre les deux commandants en chef. Opposer les deux campagnes de la sorte aurait pu en froisser plus d’un. Finalement, dans la version finale de la missive, Napoléon remplace cette phrase par : « C’est de lui qu’on a dit avant le 18 fructidor : cet homme vit encore. » Malgré plusieurs blessures et mille dangers, il a échappé aux périls de la guerre, il vivra longtemps, j’espère, pour la gloire de nos armes, le triomphe de la Constitution de l’an III et le bonheur de ses amis. » Ce faisant, Napoléon rappelle l’envoi d’Augereau au 18 Fructidor, son allégeance au Directoire ainsi qu’au pouvoir politique. Sous le général victorieux pointe déjà « l’animal politique » suffisamment habile pour savoir quand il faut faire profil bas ou quand il peut s’avancer sur l’échiquier.

Dans sa communication vers le public, qu’il sait également lue par le Directoire, Napoléon use des mêmes artifices. Dans le secret de son cabinet, pour galvaniser ses troupes, il travaille de longues heures à ses proclamations à l’armée. Pour que les exploits collectifs et individuels soient connus de tous, il rédige et fait imprimer le Courrier de l’armée d’Italie. Il perfectionne cette recette, mise en place dès 1796, en Égypte. Il l’applique ensuite à grande échelle après l’établissement de l’Empire. Le Moniteur devient le journal officiel et reçoit des articles que l’Empereur rédige parfois lui-même, tandis que les Bulletins de la Grande Armée se répandent sur le territoire pour véhiculer les exploits des campagnes. Dans ces récits officiels, Napoléon revisite les événements, amplifie les hauts faits et minimise les échecs ou les pertes. En déformant la réalité de la sorte, il devient le précurseur de la langue de bois. En ces domaines, s’il n’innove pas vraiment, il ouvre la voie à nos politiciens modernes et à leur désormais indispensables conseillers en communication (dont lui, soit-dit en passant, n’eut jamais besoin).

Dès qu’une campagne est lancée, qu’un personnage politique ou sa formation se trouve en position délicate, une armée de conseillers passe à l’action. Ces experts en image et en linguistique décortiquent les discours, préparent les interventions médiatiques et imaginent les éléments de langage. Sur les plateaux de télé ou aux micros des radios, les politiques n’ont alors plus qu’à broder en piochant dans cette boîte à outils verbale mise à dispositions par ces as de la xyloglossie (du grec xylo bois, et glossa langue). Par de savants jeux de montages, certains show télé se sont fait une spécialité de juxtaposer les interventions des responsables publics. L’on y voit un homme politique faire le tour des plateaux télé répétant avec les mêmes intonations de voix les mêmes mots. Ou encore plusieurs représentants de formations politiques reprendre les mêmes expressions ou les mêmes périphrases. Apparaît alors au grand jour cette langue de bois mise en place pour tenter d’esquiver les questions ou clore une polémique.

Le public de l’Empire ne s’y trompait pas plus que la plupart d’entre nous aujourd’hui. Il avait appris à lire entre les lignes des Bulletins et du Moniteur. « Menteur comme un bulletin » pouvait-on entendre dans les estaminets et les rues. Aujourd’hui, à l’heure de l’ultra-communication, on pourrait dire « menteur comme un conseiller en communication » !

François Houdecek
Octobre 2019

François Houdecek est responsable des projets spéciaux à la Fondation Napoléon

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