Jeux vidéo

Bolloré empoche 2 milliards grâce à sa vraie fausse OPA sur Ubisoft

Canal et Vivendi à l'ère Bollorédossier
Après trois ans de siège, le milliardaire a accepté de céder les 27% qu'il avait acquis dans l'éditeur de jeux sans y être invité. Son groupe, Vivendi, empochera 1,2 milliard d'euros de plus-value. Le prix de l'indépendance pour les frères Guillemot.
par Jean-Christophe Féraud
publié le 20 mars 2018 à 19h57

Fin de partie gagnante pour Vivendi dans sa tentative d'OPA larvée sur l'éditeur de jeux Ubisoft : le groupe de Vincent Bolloré a annoncé ce mardi avoir conclu un accord avec la famille Guillemot «en vue de la cession de sa participation dans Ubisoft» pour la coquette de somme de 2 milliards d'euros. Grand joueur d'échec financier, le milliardaire faisait le siège d'Ubisoft depuis 2015, menaçant régulièrement d'enlever le contrôle du créateur d'Assassin's Creed et Far Cry aux frères Guillemot, fondateurs et dirigeants historiques de l'entreprise installée à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

De prises de participation occultes en rachats massifs sur le marché, Vivendi était ainsi parvenu à détenir jusqu'à 27,27% d'Ubisoft, devenant le premier actionnaire du premier éditeur de jeux français et européen, mais évitant soigneusement la barre des 30 % qui aurait obligé l'assaillant à lancer une offre publique d'achat sur la totalité du capital. Histoire de maintenir la pression, Bolloré avait même pris le contrôle de Gameloft début 2016 en mode hostile, une société sœur d'Ubisoft spécialisée dans les jeux sur mobile et dirigée par Michel Guillemot. Pour la forme, Vivendi demandait régulièrement à être représenté au conseil d'administration d'Ubisoft «à hauteur de sa participation au capital de l'entreprise». Ce qui aurait inévitablement abouti au débarquement des Guillemot. Une stratégie offensive qui avait contraint le PDG d'Ubisoft, Yves Guillemot, à bétonner les positions du clan familial en rachetant des actions et en sécurisant le tout par le jeu des droits de vote double.

«Petit prince de la finance»

Bolloré promettait de marier Ubisoft à Canal+ et Dailymotion au nom de la sacro-sainte «convergence» des tuyaux et contenus. Mais cette promesse de stratégie numérique cachait en fait un superbe coup de Bourse : en déboursant progressivement 794 millions d’euros pour ramasser 27% Ubisoft et en revendant le tout aujourd’hui pour 2 milliards, celui que l’on surnommait «le petit prince de la finance» dans les années 80 aura réalisé une plus-value de plus de 1,2 milliard d’euros ! Le tout en moins de trois ans.

«Bollo» a acheté du Ubisoft à un cours bien inférieur aux 66 euros retenus aujourd'hui pour revendre ses 30 millions d'actions Ubi. Une tactique maintes fois couronnée de succès lors de ses précédents raids sur Pathé, TF1, Havas… et Vivendi. Bravo l'artiste, diront les amateurs de "spiel" financier. Parasite, penseront très fort tous les autres. A charge donc pour les frères Guillemot de délier leur bourse pour racheter une partie des actions (3 millions de titres équivalent à un chèque de 200 millions d'euros) avec le renfort de la société Ubisoft elle-même (9 millions de titres pour 600 millions). Le solde de 18 millions d'actions sera repris par des fonds d'investissements et le géant de l'internet chinois Tencent, qui fait son entrée au capital de l'éditeur français à hauteur de 5 % en promettant de distribuer ses jeux dans l'empire du milieu. Un nouveau loup dans la bergerie ? L'avenir le dira.

La tactique du troll

Pour le clan Guillemot, c'est le prix de la paix des braves entre richissimes bretons. Mais c'est surtout un énorme soulagement de s'être débarrassés d'un «troll» comme Bolloré, qui torpillait systématiquement leur stratégie de jeu vidéo à grand spectacle en la présentant comme «destructrice de valeur» pour les actionnaires d'Ubisoft. Ou comment se rendre insupportable pour se faire racheter ses parts à bon prix. Les frères Guillemot avaient déjà repoussé il y a dix ans de la même manière farouche un assaut de l'américain Electronic Arts. Ils resteront donc maîtres chez eux, à la tête d'un groupe qu'ils ont fondé en 1986 et qui pèse aujourd'hui plus de 7,6 milliards d'euros en Bourse. En partie grâce à la spéculation qui a entouré le raid de Bolloré mais surtout grâce au succès mondial de ses jeux vidéo : le dernier épisode de la licence Tom Clancy's, The Division, qui met en scène New York dévasté par une pandémie destructrice, a par exemple déjà conquis 20 millions de joueurs.

Quant à Vincent Bolloré, qui s'est engagé à ne plus roder autour d'Ubisoft pendant cinq ans, il a la victoire taquine : le communiqué de Vivendi rappelle avec insistance la prise de guerre Gameloft et confirme «son intention de renforcer sa présence dans le secteur particulièrement dynamique des jeux vidéo». Troll un jour, troll toujours.

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