« Nous vivons un bouillonnement de la recherche en oncologie digestive après une traversée du désert »

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

30 mars 2023

Paris, France – En oncologie digestive, après l’arrivée des thérapies ciblées de 1ère ligne comme le bevacizumab et les anti-EGFR ou encore les traitements de recours (trifluridine/tipiracil, régorafénib) au début des années 2010, ce furent dix ans de morne plaine concernant les thérapeutiques anticancéreuses, estime le Pr Michel Ducreux, chef du comité de pathologie digestive de l’Institut Gustave Roussy (Villejuif) interrogé aux Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive 2023 (JFHOD, 16-19 mars, Paris) [1].

Pr Michel Ducreux

Si les cancers digestifs restent le parent pauvre de l’oncologie, les temps changent. La recherche est prolifique avec, par exemple, l’immunothérapie dans les cancers du côlon MSI ou les promesses des anti-KRAS, dans certaines tumeurs confidentielles comme chez le plus grand nombre.

Tous stades confondus, la survie à 5 ans du cancer du côlon atteint près de 65 % [2]. Quelle est votre vue d’ensemble aujourd’hui sur le traitement du cancer colorectal ?

Pr Ducreux : Un peu moins des deux tiers des patients ont un cancer colorectal (CCR) accessible aux divers traitements, que la tumeur soit strictement localisée, ou qu’il existe des métastases potentiellement accessibles à un traitement à visée curative.

Précisément, dans le cancer du rectum, des tentatives de désescalade thérapeutique sont menées. La séquence classique (radio-chimiothérapie – chirurgie – chimiothérapie adjuvante) pourrait être allégée.

Deux études, l’une française [3] et l’autre néerlandaise [4], suggèrent que le traitement total néoadjuvant (chimiothérapie plus intensive et radiothérapie avant la chirurgie) permet d’améliorer les résultats.

Chez des patients bien sélectionnés, le même type de protocole intensif éviterait parfois la résection rectale, même si 20 % des malades verront ensuite la maladie progresser.

Tout cela participe d’un mouvement de fond en oncologie digestive de préservation de l’organe, même si les critères ne sont pas encore parfaitement circonscrits.

D’autres essais sont en cours évaluant la possibilité de se passer d’une radio-chimiothérapie après la séquence chimiothérapie et avant la chirurgie. On se demande même si, pour les tumeurs du rectum localisées où une instabilité micro satellitaire a été identifiée (2 % des tumeurs du rectum), l’immunothérapie ne serait pas suffisante, selon une publication convaincante [5].

 

Tout cela participe d’un mouvement de fond en oncologie digestive de préservation de l’organe

Les tentatives de désescalade thérapeutique concernent également le cancer du côlon ?

Pr Ducreux : En effet, de larges essais internationaux auxquels la France a participé ont récemment démontré que 3 mois de chimiothérapie postopératoire dans les stades 3 à faible risque, c’est-à-dire avec un envahissement limité des ganglions autour de la tumeur, équivaut à 6 mois, limitant ainsi la durée de délivrance de l’oxaliplatine au fort risque de neuropathie.

Il a également été montré qu’il était possible de remplacer le 5-fluorouracile (5-FU) par de la capécitabine. On décèle, là aussi, un mouvement de fond.

Mais les tumeurs coliques de stade 4 ne sont pas en reste, avec la destruction de métastases localisées par la radiothérapie interventionnelle (radiofréquence, micro-ondes) et la chirurgie, ce qui permet d’envisager des interventions à but curatif dans un plus grand nombre de cas.

Mais la grande nouveauté est l’arrivée de l’immunothérapie avec le pembrolizumab, anticorps monoclonal humanisé qui se lie au récepteur PD-1, disponible en accès compassionnel dans l’indication restreinte des 5 % des tumeurs de stade 4 avec instabilité des microsatellites (MSI).

Dans les formes localisées, 20 % des patients ont un cancer MSI. Ces tumeurs ayant un meilleur pronostic, elles récidivent moins fréquemment, d’où un faible pourcentage de l’ordre de 5 % qui pourront être traités par pembrolizumab lorsqu’elles récidivent.

Par ailleurs, si les cancers digestifs n’ont pas autant bénéficié des avancées thérapeutiques que sont l’immunothérapie et la médecine de précision, la situation est néanmoins en train de changer ?

Pr Ducreux : L’immunothérapie, qui a révolutionné le pronostic du cancer du poumon, commence seulement à arriver dans le traitement du CCR, où l’on dispose déjà de thérapies ciblées actives comme le bévacizumab et les anti-EGFR. On dispose depuis peu du pembrolizumab dans le cancer de l’œsophage, du nivolumab dans le cancer de l’estomac et du durvalumab (des anti-PD-1) dans les cancers de voies biliaires avancés et de l’atezolizumab, anticorps monoclonal dirigé contre le PD-L1 dans le carcinome hépatocellulaire.

 

L’immunothérapie, qui a révolutionné le pronostic du cancer du poumon, commence seulement à arriver dans le traitement du CCR

Au-delà des biothérapies, on affine aussi les protocoles de chimiothérapies ?

Pr Ducreux : Par exemple, alors que dans les cancers du côlon gauche, hors mutations RAS ou RAF, le traitement par bi-chimiothérapies-anti-EGFR est maintenant bien codifié, il semble que dans les cancers du côlon droit, les anti-angiogéniques seraient plus bénéfiques.

De plus, si le patient est en bonne santé, on a tendance à privilégier les tri-chimiothérapies associées à du bevacizumab. En résumé, nous modulons aujourd’hui les indications des traitements classiques grâce aux études profilant les groupes de patients.

On voit aussi poindre également la médecine personnalisée dans le CCR avec métastases, avec une caractérisation plus fine des patients, avec la recherche des MSI ou de la mutation BRAF, afin d’ajuster les traitements. Pour les patients ayant une tumeur mutée BRAF qui est de mauvais pronostic, le traitement de première ligne comporte une chimiothérapie+ bevacizumab et, en seconde ligne, des thérapies ciblées avec la combinaison encorafénib-cétuximab comme démontré dans l’essai BEACON [6] en 2022, c’est-à-dire un traitement constitué uniquement de biothérapies, sans chimiothérapie. La médecine de précision, on y arrive, avec des perspectives intéressantes.

Dans les autres cancers du côlon, on voit apparaître les prometteurs anti-RAS et en particulier les anti-KRAS G12C (adagrasib, sotorasib...) ; la mutation KRAS G12C étant retrouvée dans 3 à 4 % des cancers du côlon. C’est peu, mais nous disposons depuis quelques mois de ces médicaments spécifiques et nous espérons avoir accès dans un futur relativement proche aux anti-KRAS G12D et G12 V, qui correspondent pour leur part à des mutations identifiées dans 40 % des cancers colorectaux.

 

La médecine de précision, on y arrive, avec des perspectives intéressantes

Les traitements de recours dans les cancers colorectaux métastatiques réfractaires s’étoffent également ?

Pr Ducreux : Oui et les essais sont très récents, comme celui de phase 3 SUNLIGHT présenté à l’ASCO GI en janvier 2023 où, par rapport à l’utilisation en monothérapie du regorafenib ou du trifluridine/tipiracil qui permettait d’espérer des médianes de survie d’à peine 6 à 7 mois, l’ajout du bevacizumab (anti-angiogénique de 1ère ligne) permet un gain de 3 mois. Pour sa part, le fruquintinib, un inhibiteur oral de la tyrosine kinase hautement sélectif des VEGFR-1,2,3, est prometteur.

À l’ESMO à Paris en septembre 2022, dans FRESCO[7], ce médicament a amélioré la survie versus placebo. On pourra donc le considérer comme une nouvelle option thérapeutique, en particulier après échec ou intolérance du regorafenib, notamment, quand il sera disponible.

C’est enthousiasmant : dans le cancer du côlon, nous sommes passés d’une médiane de survie globale de 1 an il y a 30 ans, à 3 ans et demi aujourd’hui, y compris chez des patients non opérables. Une progression à petits pas ou à marche forcée, c’est selon ; la cellule tumorale ayant toujours une capacité adaptative. Il s’agit de gagner des mois de survie au prix d’une toxicité acceptable.

 

Dans le cancer du côlon, nous sommes passés d’une médiane de survie globale de 1 an il y a 30 ans, à 3 ans et demi aujourd’hui, y compris chez des patients non opérables

 

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LIENS : 

Cancer colorectal métastatique MSI: l’immunothérapie bien supérieure au traitement standard

Cancer colorectal métastatique: survie globale améliorée avec une thérapie ciblée anti-EGFR

Instabilité des microsatellites : rechercher un syndrome de Lynch quel que soit le cancer

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