Les batteries usagées bloquées sur l’île de La Réunion
Les compagnies maritimes refusent d’exporter les batteries lithium-ion en fin de vie. Le nombre de ces déchets dangereux explose avec le succès du véhicule électrique sur l’île.
Sur l'île de La Réunion, les ventes de voitures électriques et hybrides ont bondi de 43% entre 2019 et 2020. Désormais, 13 000 véhicules électrifiés sont en circulation, d’après l’Observatoire des énergies de La Réunion. «Le marché mute à vitesse grand V», constate Philippe-Alexandre Rebboah, le président du Syndicat de l’importation et du commerce de La Réunion et le directeur de la concession automobile Leal Réunion. Revers de la médaille : aux quatre coins de l’île, des batteries lithium-ion détériorées commencent à s’accumuler chez des concessionnaires et même chez des particuliers.
Les trois compagnies de fret maritime implantées sur l’île - Maersk, CMA CGM et MSC - refusent en effet d’exporter les batteries lithium-ion usagées vers l’Hexagone, en raison du risque d’incendie que présentent ces déchets dangereux. «C’est un risque réel, commente Philippe-Alexandre Rebboah. L’année dernière, une voiture électrique a pris feu sur le cargo porte-conteneurs Felicity Ace au large des Açores et 4 000 voitures ont sombré [plus récemment, en juillet, un énorme incendie a ravagé un cargo transportant plusieurs centaines de véhicules électriques au large des Pays-Bas, ndlr]. Il y a déjà plusieurs tonnes de batteries en fin de vie en souffrance sur l’île. Leur longévité étant d’environ huit ans, nous attendons un flux important de batteries usagées d’ici trois à quatre ans».
Collecte et démantèlement
L’élaboration d’un protocole de sécurisation n’a pas suffi à convaincre les compagnies maritimes de transporter ces déchets inflammables. «Notre protocole consiste à placer les batteries usagées sous emballage unique, avec un isolant à base de vermiculite, et à doter les conteneurs réfrigérés de tracking de température», décrit David Pincepoche, le directeur de l’Association de traitement des batteries de La Réunion (ATBR), qui gère depuis plus de vingt ans la fin de vie des batteries automobiles au plomb, dont les risques sont aujourd’hui maîtrisés. «Nous sommes toujours en discussion avec MSC et CMA CGM, mais avons reçu une fin de non-recevoir de Maersk», affirme Philippe-Alexandre Rebboah. «La seule compagnie qui transporte certains déchets dangereux en dehors de l’île, MSC Réunion, avait pourtant validé notre mode opératoire en avril 2019... avant de revenir sur sa décision au début de 2020», raconte David Pincepoche. Contactées, les compagnies n’ont pas voulu répondre à nos sollicitations.
Comment sortir de cette impasse ? Pour ATBR, le plus urgent serait de pouvoir collecter et centraliser sur une plateforme unique les batteries lithium-ion usagées, y compris celles des téléphones et vélos électriques, pour éviter un risque diffus. «Pour cela, nous voudrions que l’État nous en donne l’autorisation», lance David Pincepoche. Sur le plus long terme, une usine de prétraitement et de démantèlement pourrait voir le jour à La Réunion. «Le but est de rendre inerte la batterie et de recycler localement le maximum d’éléments qui la composent», complète le directeur d’ATBR. «Plusieurs projets sont à l’étude, mais une telle usine ne verra pas le jour avant cinq ou dix ans», estime toutefois Philippe-Alexandre Rebboah.
Vous lisez un article de L'Usine Nouvelle 3720-3721 - Juillet/août 2023
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