Enigmes de l'Histoire

La mort du prince de Condé : meurtre ou suicide ?

Le 27 août 1830, à 8h du matin, Lecomte, valet de chambre du duc de Bourbon, frappe à la porte de la chambre de son maître pour le réveiller. Pas de réponse. Lecomte remarque que le verrou intérieur a été mis, chose inhabituelle. Inquiet, le valet prévient la maîtresse du duc de Bourbon, la baronne de Feuchères. Celle-ci donne l’ordre d’enfoncer la porte. Les valets, ainsi que le médecin du prince, trouvent ce dernier pendu à l’espagnolette d’une fenêtre, au moyen de deux mouchoirs attachés ensemble. Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon et dernier prince de Condé, s’est suicidé durant la nuit, à l’âge de 74 ans.

La mort du prince de Condé (gravure, 1847)
La mort du prince de Condé (gravure, 1847)

Arrivé sur les lieux du drame dans l’après-midi, le baron Pasquier, président de la Chambre des pairs, vient vérifier, sur demande du roi Louis-Philippe Ier, qu’il n’y a pas de « mauvaise surprise » : ce que cherche à savoir Pasquier, c’est si le défunt a modifié son testament avant de se donner la mort. Sans enfant légitime (son fils unique, le duc d’Enghien a été fusillé sur ordre de Napoléon en 1804), le duc de Bourbon a désigné son filleul,  le duc d’Aumale – fils de Louis-Philippe d’Orléans – comme son héritier, en août 1829. Mais depuis que Louis-Philippe a accédé au trône, son entourage craignait que le duc de Bourbon ne modifie son testament en faveur du duc de Bordeaux, petit-fils de Charles X. En effet, le dernier prince de Condé était très attaché à l’Ancien Régime et comptait parmi les amis de Charles X, qui a été renversé le 2 août 1830. Bien qu’il ait fait allégeance au nouveau roi des français, rien ne permettait de dire si le duc de Bourbon n’était pas contre un monarque qui devait sa couronne à un soulèvement populaire. Pasquier ne trouve nulle trace d’un nouveau testament ou d’un codicille. A son arrivée, les procès-verbaux du maire et du médecin du prince sont déjà dressés et le corps du duc de Bourbon est allongé sur le lit. Mais certains détails des procès-verbaux attirent l’attention de Pasquier : on parle d’une mort par pendaison et pourtant, il est signalé que les pieds du duc touchaient le sol et que ses genoux étaient à demi fléchis.  

Le président de la Chambre des pairs informe Louis-Philippe Ier des circonstances étranges de la mort du duc de Bourbon et lui demande de dépêcher deux médecins sur place. Pasquier a déjà compris que, s’il s’agit d’un assassinat, les soupçons se porteront sur le roi ainsi que sur la baronne de Feuchères.  Née de parents anglais en 1790, Sophie Dawes était la maîtresse du duc de Bourbon depuis 1811. Mariée en 1818 au baron de Feuchères, elle vit séparée de lui depuis 1824. Méprisée par la famille royale, Sophie passe pour une intriguant que Louis-Henri-Joseph a tiré des bas-fonds de Londres. Afin de pouvoir paraître à la cour, la baronne propose à Louis-Philippe (alors duc d’Orléans) d’appuyer sa demande auprès de son amant pour qu’il fasse du duc d’Aumale son héritier. En échange de quoi, le duc d’Orléans fait en sorte que son cousin Charles X accepte la présence de Sophie  à la cour. Ce sera chose faite en janvier 1830. Quant au duc de Bourbon, sur l’insistance de sa maîtresse, il a rédigé son testament en faveur du duc d’Aumale, Henri d’Orléans (1822-1897). S’il on conclue à un assassinat, les rumeurs ne manqueront pas de dire que, craignant que le vieux prince ne change d’avis sur son testament, le nouveau roi l’a fait assassiner avec la complicité de la baronne de Feuchères… d’autant que durant les jours qui ont précédé sa mort, le duc n’était plus aussi proche de sa maîtresse.

Louis Henri Joseph de Bourbon, prince de Condé, par Vittore Pedretti (XIXe siècle)
Louis Henri Joseph de Bourbon, prince de Condé, par Vittore Pedretti (XIXe siècle)

Pasquier n’est pas le seul à douter du suicide du prince de Condé. L’ont accompagné au château de Saint-Leu le marquis de Sémouville, M. Guillaume – secrétaire du cabinet du roi – et le colonel de Rumigny. Celui-ci écrit à Louis-Philippe : «  Les soupçons ne se portent sur personne encore, mais Dieu sait ce qu’on apprendra car je dois dire que la mort n’a pas l’air d’avoir été un suicide ». Cependant, les médecins envoyés sur les lieux par le roi concluent à un suicide. On interroge ensuite les proches du duc de Bourbon. La baronne de Feuchères déclare alors que, depuis quelques temps, le prince était mélancolique et qu’il disait ne pas survivre longtemps aux événements de juillet 1830. Elle évoque aussi une lettre que son amant avait refusé de lui montrer car son contenu lui  « ferait trop de peine ». Une lettre d’adieux avant son suicide ? Rien de tel ne fut retrouvé. En revanche, dans la cheminée de la chambre du défunt, M. Guillaume trouve des morceaux de papier déchirés mais non brûlés. Il les remet  au procureur Bernard, chargé de l’enquête. Celui-ci parvient à reconstituer un texte qui évoquerait un suicide : on peut notamment lire « Je n’ai qu’à mourir en souhaitant bonheur et prospérité au peuple français et à ma patrie. Adieu pour toujours ». Curieusement, aucun des témoins présents sur les lieux du drame au matin du 27 août n’a remarqué ces morceaux de papier. Et s’il s’agit là d’un dernier message du duc de Bourbon, pourquoi l’a-t-il déchiré et jeté dans sa cheminé ? Si le procureur y voit l’aveu d’un suicide, les partisans de l’assassinat diront plus tard que le duc de Bourbon ne faisait là que des recommandations avant d’émigrer, comme il avait déjà dû le faire lors de la Révolution de 1789. Cela reviendrait à dire que Louis-Henri-Joseph désapprouvait la montée sur le trône de Louis-Philippe et était resté fidèle à Charles X.  Voilà pourquoi il aurait été assassiné.

Lorsque l’on ouvre le testament du prince de Condé, on constate que le duc a bien désigné comme héritier le jeune duc d’Aumale, au grand soulagement de Louis-Philippe Ier. Quant à Sophie Dawes, elle obtient 2 millions de francs ainsi que plusieurs châteaux dont celui de Saint-Leu.  Lors des funérailles du prince de Condé, le 4 septembre, l’abbé Pélier de Lacroix, confesseur du défunt, déclare que « le prince est innocent de sa mort devant Dieu », persuadé que le duc de Bourbon a été assassiné. L’opinion publique s’empare de l’affaire et on déclare bientôt qu’un « Condé ne se suicide pas ». Il a été constaté que le verrou de la porte de la chambre du duc avait été tiré de l’intérieur. Par conséquent, personne n’aurait pu s’introduire dans la chambre du prince au cours de la nuit du drame. Pourtant, un employé du duc de Bourbon fait remarquer qu’il est possible d’actionner le verrou intérieur de la chambre alors qu’on se trouve à l’extérieur. Dès lors, l’entourage du prince commence à remettre en doute l’idée d’un suicide.

Bien que le procureur ait classé l’affaire, le prince Louis de Rohan, cousin du duc de Bourbon et héritier potentiel, dépose une plainte pour assassinat.  La plupart des témoins qui vont se succéder sont des proches du duc du Bourbon et accusent sa maîtresse, la baronne de Feuchères, d’être à l’origine de l’assassinat. Ce sont, pour la plupart, d’anciens serviteurs du prince de Condé. Certains vont avancer que, s’ils pensent que Mme de Feuchères est l’assassin, c’est qu’ils ont constaté à plusieurs reprises que le duc de Bourbon présentait des blessures dont il évitait de parler et d’en signifier la cause. Il aurait confié à quelques personnes de son entourage que sa maîtresse le battait parfois.  Les anciens domestiques ne sont pas totalement désintéressés dans cette affaire : à l’ouverture du testament, ils avaient constaté qu’aucune disposition n’était prise pour eux, contrairement à une rumeur datant de l’époque de la rédaction du testament. Tous sont convaincus  que Sophie a persuadé le vieux prince de ne rien léguer à ses domestiques, afin de capter un maximum de l’héritage. Ainsi, de nombreux témoins attestent que le prince de Condé a toujours été contre le suicide. La veille de sa mort, le duc de Bourbon n’a rien changé à ses habitudes. Autres détails qui rendent le suicide difficile : en 1793, le duc de Bourbon avait perdu deux doigts à la main droite, suite à une blessure, à la bataille de Bertsheim. Quant à son bras gauche, il lui était impossible de le lever après une fracture de la clavicule datant de 1816, suite à une chute de cheval.

Le duc d’Aumale à l'âge de 9 ans, héritier de la fortune du prince de Condé, par Joseph Nicolas Robert-Fleury
Le duc d’Aumale à l’âge de 9 ans, héritier de la fortune du prince de Condé, par Joseph Nicolas Robert-Fleury

En ce concerne les complices de Sophie (car il semble évident que, si elle a assassiné le duc de Bourbon, elle n’a pas pu le pendre et faire seule la mise en scène d’un suicide), on évoque l’abbé Briand, proche de la baronne de Feuchères, que le prince de Condé n’aimait guère. Le jour de la mort du duc, l’abbé Briand n’aurait cessé de répéter à qui voulait l’entendre  que le duc de Bourbon avait perdu la tête depuis peu et que son suicide ne le surprenait pas. Ce comportement et cette déclaration étaient en contradiction avec l’opinion que les proches du prince de Condé se faisaient du défunt. D’autant que, le 27 août, personne ne met encore en doute la thèse un suicide : l’attitude du l’abbé paraît donc bien suspecte après coup, comme s’il avait redouté qu’on ne pense pas à un suicide…

Autre complice potentiel de Mme de Feuchères : le valet Lecomte. Celui-ci a été imposé au duc de Bourbon par sa maîtresse, dont il est le coiffeur. En apprenant que Lecomte était de service la nuit du drame, certaines personnes ne doutent plus d’un assassinat. Proche de Sophie, Lecomte possédait les clefs de toutes les issues qui pouvaient donner dans l’antichambre du prince de Condé, dont un escalier dérobé qui permettait à la baronne de Feuchères de monter chez son amant. Lors de l’interrogatoire, Lecomte avoue ne plus se souvenir s’il a vérifié que cette issue était fermée la nuit du drame. Sophie aurait donc pu emprunter cet escalier pour venir chez son amant avec la complicité de Lecomte (qui lui aurait donc ouvert la porte) ou, profitant du fait que Lecomte ait oublié de vérifier si cette issue était fermée.

L’enquête ne parvient pas à déterminer si le duc de Bourbon s’est donné la mort ou s’il s’agit d’un assassinat. Il est vrai que dans cette affaire, les témoins, convaincus qu’il s’agit d’un assassinat, méprisent ceux qu’ils accusent du meurtre. De quoi mettre en doute la sincérité de leurs propos. Certains témoins, d’abord convaincus du suicide et présents le jour du drame pour les premières constatations, ont ensuite changé d’avis, et ont renié leur témoignage pour se déclarer convaincus d’un meurtre. Il était donc bien difficile pour la justice démêler le vrai et du faux entre les mensonges et des souvenirs flous, qui ont probablement été involontairement erronés.

Sophie Dawes, baronne de Feuchères, par Alexis Valbrun (1830)
Sophie Dawes, baronne de Feuchères, par Alexis Valbrun (1830)

Un dernier élément déterminant est apporté pour accréditer la thèse de la pendaison. Mais par décence, et sans soupçonner que c’était bien là la clef du mystère, les témoins se sont tus : en effet, les médecins qui ont autopsié le corps ont révélé que le sexe du prince « était dans un état de semi érection », phénomène qui peut survenir lors d’une strangulation. Aucun « liquide » n’ayant été retrouvé dans le lit du prince, celui-ci n’a pas pu être étranglé pendant son sommeil puis pendu. On ne pouvait donc affirmer que le prince Condé avait été assassiné. Sophie Dawes est innocentée d’un crime mais l’opinion publique verra toujours en elle la responsable de la mort du duc de Bourbon.   

Cependant, plusieurs éléments balaient vite les arguments en faveur d’un suicide : la moral du prince, une lettre qui semble indiquer qu’il comptait émigrer, son état physique qui l’empêchait de faire des nœuds. Une lettre du comte de La Villegontier, proche du prince de Condé, lève peut-être le voile sur la vérité. Selon lui, la mort du prince fut accidentelle, puis maquillée en suicide : physiquement diminué à cause de son âge, le duc de Bourbon, avec l’aide de sa maîtresse, aurait eu recours à la strangulation, poussée à une extrême limite, pour stimuler ses sens. Mais ce 27 août 1830, le prince de Condé  poussa probablement la strangulation trop loin, fut ensuite pris de spasmes et expira. Une question reste en suspend : la baronne de Feuchères, probablement unique témoin de la scène, fut-elle incapable de sauver son amant ou le laissa-t-elle succomber ? Dans les deux cas, elle quitta les lieux du drame plutôt que d’appeler les secours et n’en fit jamais mention. Sophie s’est toujours défendue d’avoir assassiné le duc de Bourbon. Elle décède dix ans plus tard, à Londres, le 15 décembre 1840.

Bibliographie

– Histoire des Sires et des Ducs de Bourbon (812-1831), par J.B Beraud 
– La Baronne de Feuchères : la mort mystérieuse du duc de Bourbon, par Pierre Cornut-Gentille
Le prince de Condé: Histoire d’un crime, par Dominique Paladilhe

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