Au cœur de l'Ile Longue, l'un des sites les plus secrets de France, les sous-marins nucléaires sont à leur base. Ils sont les piliers de la défense militaire française : la dissuasion nucléaire. Un temps remise en question, elle apparaît aujourd'hui essentielle. Nous avons été autorisés à visiter Le Triomphant.
Tapis en permanence au fond des océans, patrouille au moins l'un des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins français, prêt à utiliser l'arme nucléaire sur ordre du Président de la République.
Lorsqu'ils ne sont pas en mer, les navires se trouvent à la base opérationnelle de l'Ile Longue. Comme son nom ne l'indique pas, l'Ile Longue est une péninsule en presqu'île de Crozon : deux kilomètres de long et un accès ultra sécurisé : prise d'empreintes, reconnaissance faciale... Un site hautement stratégique où tout est mis en œuvre pour assurer la force de dissuasion du pays, et en même temps, un site très ancré sur le territoire avec 10.000 visiteurs par an et une certaine fierté localement d'abriter le pilier de la Défense française.
En moyenne, 2 500 personnes travaillent sur la base, des militaires et des civils de la Défense. Le site compte 280 entreprises.
 
      "Les missiles nucléaires sont juste de l'autre côté de la cloison"
Ici, le maître-mot est le secret. Lorsqu'ils ne sont pas en patrouille, les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins se trouvent dans la zone portuaire de la base, hautement sensible. La France compte quatre sous-marins de ce type : Le Vigilant, Le Téméraire, Le Terrible et Le Triomphant. C'est ce dernier que nos journalistes ont été autorisés à visiter lors de son passage en cale sèche il y a quelque temps.
A chaque retour de patrouille, les sous-marins passent par une phase d'entretien de plusieurs semaines. Au départ, les navires ont été conçus pour servir une trentaine d'années, mais souvent plus car ils vieillissent très bien.
6 têtes nucléaires d'une portée de 10.000 km
A bord du Triomphant, le Premier maître Romain, sous-marinier depuis 15 ans, fait partie des 110 marins. Il est rattaché à l'équipage rouge qui navigue en alternance avec l'équipage bleu. Romain est atomicien, c'est lui qui gère la propulsion nucléaire du navire. Il guide nos journalistes Hélène Pédech et Régis Massini à travers ce dédale de coursives. "Nous sommes en zone milieu et c'est là que se trouvent les deux soutes avec les missiles nucléaires juste de l'autre côté de la cloison", leur indique-t-il. Hélène Pedech commente : "C'est impressionnant. Tu as sous les pieds la puissance nucléaire française quand même !".
Seize missiles armés chacun de six têtes nucléaires d'une portée de 10.000 kilomètres. Une telle puissance pourrait faire disparaître le quart de la population de l'Europe.
"Le gymnase" dans un recoin de coursive
Nos journalistes constatent qu'"il y a de quoi se perdre. C'est très exigu. Ça monte, ça descend, il y a des échelles partout. L'espace est optimisé. Le moindre petit recoin a son utilité. Par exemple, un petit bout de coursive est exploité pour faire du sport. Les sous-mariniers l'appellent le gymnase, ça nous a fait rire".
Faire du sport est très important quand on est 110 à bord et qu'on est confinés quasiment trois mois. Bien manger également. Le sous-marin a une équipe en cuisine, avec un boulanger-pâtissier. Il y a aussi un médecin capable de faire de la petite chirurgie et deux infirmiers, dont un anesthésiste.
Dans le sous-marin, quand la lumière bleue est allumée, c'est que c'est le jour en surface et quand c'est la lumière rouge, c'est que c'est la nuit.
Premier maître Romainsous-marinier depuis 15 ans
Totalement coupé du monde, totalement immergé, on peut perdre la notion de jour et de nuit. Hélène remarque une lumière de couleur. On lui explique que "dans le sous-marin, quand la lumière bleue est allumée, c'est que c'est le jour en surface et quand c'est la lumière rouge, c'est que c'est la nuit. Pour se repérer dans le temps, il y a aussi des soirées thématiques à jour fixe par exemple".
"Le pacha" doit exécuter l'ordre de déclencher le feu nucléaire
Ici, on est au poste de conduite navigation-opération du sous-marin. De là, on pilote le sous-marin et c'est aussi ici qu'on voit ce qui se passe à l'extérieur à partir de sonars. Seul maître à bord du sous-marin, le commandant Benjamin, "le pacha" comme on dit dans la Marine, prépare sa 18ème patrouille, soit un cumul de 3 années passées en plongée. Si le Président de la République décide de déclencher le feu nucléaire, c'est lui qui devra exécuter l'ordre. "C'est le commandant qui effectivement tourne le bouton et nécessairement, le commandant en second qui est à un autre endroit du sous-marin, qui valide cet ordre".
Autre responsabilité de taille pour "le pacha" : celle de décider seul dans quelle mer du globe le sous-marin nucléaire lanceur d'engins ira se cacher, "se diluer" dans le jargon des sous-mariniers : "C'est le commandant qui, sur la base de tout ce qu'il connaît de son environnement, fixe les manœuvres. A terre, personne ne peut faire pression sur quelqu'un qui connaîtrait la position du sous-marin pour savoir où il est et l'empêcher d'être invulnérable, d'être totalement dilué et donc de faire peser cette menace".
A 19 ans, il pilote ce monstre d'acier mais n'a pas le permis de conduire
Le matelot Alexandre se prépare, lui, à vivre sa première patrouille. Toute jeune recrue de 19 ans, c'est lui qui pilotera ce monstre d'acier de 138 mètres de long et 14.000 tonnes en plongée. Ironie du sort, il n'a pas son permis de conduire.
Dans les entrailles du Triomphant, le Premier maître Romain nous conduit jusqu'à la cabine qu'il partagera en mer avec trois autres marins. Pas de cigarettes, pas de réseaux sociaux, ici on s'occupe en parlant, en jouant. "On sent que ce qui leur plaît c'est cet esprit d'équipage, cette cohésion. Tout l'équilibre repose sur de l'humain. A contrario, le plus difficile, c'est d'être éloignés longtemps de leurs amis et familles", souligne Hélène.
Beaucoup vont compter le nombre de mots, certains vont faire des interprétation sur le sens d'un mot, donc c'est pour ça qu'il y a un énorme travail de relecture de fait par l'escadrille, qui demande à nos familles de bien choisir leurs mots.
Premier maître RomainSous-marinier depuis 15 ans
De leurs familles justement, ils ne recevront que 40 mots par semaine, pas un de plus, comme l'explique le Premier maître Romain : "Ces 40 mots que nous recevons par semaine, à des jours fixes, ils sont extrêmement importants. Beaucoup vont compter le nombre de mots, certains vont faire des interprétations sur le sens d'un mot, donc c'est pour ça qu'il y a un énorme travail de relecture de fait par l'escadrille, qui demande à nos familles de bien choisir les bons mots, de ne pas faire de bêtise parce que forcément, en mer, comme on ne sait pas du tout ce qui se passe à terre, c'est essentiel". L'actualité nationale et internationale est aussi filtrée par le commandant et le second. Ils décident de ce qu'ils transmettent à l'équipage.
Une patrouille dure en théorie 70 jours, parfois plus. Plus de deux mois donc, coupés du monde, aux commandes d'un sous-marin aussi sophistiqué que dangereux. Une fois que l'équipage est opérationnel, le sous-marin est remis à flot et il rejoint le quai de la base. Le fanion vert qui se trouve à l'avant signifie que le sous-marin est en posture, paré à reprendre la mer à tout moment.
(Avec Hélène Pedech)
 
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