Gérer les triggers – Partie 2 – Calmer le détecteur de fumée

Source : PODS – Managing triggers: part one – turning down the smoke alarm

Gérer les triggers – Partie 1

Dans la première partie de cet article, j’ai examiné comment les triggers arrivent quotidiennement chez de nombreux survivants de traumatismes et quel impact ils peuvent avoir sur nous. Mais en plus d’être des intrusions indésirables, les triggers sont aussi des indices de notre traumatisme dissocié, de petits rappels contextuels de choses du passé que notre cerveau a interprétées comme un danger. Ils peuvent donc nous orienter vers ce que nous devons encore traiter. Ainsi, tout en étant difficiles à gérer, ils peuvent également devenir des guides utiles sur notre parcours de soin. Plutôt que d’avoir honte des triggers, nous pouvons commencer à voir qu’ils sont la meilleure tentative de notre cerveau pour nous garder en sécurité, en nous prévenant assez en avance afin de nous permettre de répondre aux menaces potentielles.

Le problème réside dans le fait que notre amygdale, qui fonctionne comme une sorte de « détecteur de fumée » dans le cerveau, répond si rapidement et si automatiquement aux menaces potentielles (dans les 7 millisecondes et en dehors de la pensée consciente), que si nous avons traversé beaucoup d’« incendies » étant enfant, nous réagissons sans même y penser à la moindre « odeur de brûlé ». Cette réponse de survie automatique est imprimée dans chaque être humain, mais elle est devenue trop réactive dans le cas des personnes qui ont subi des traumatismes répétés, en particulier au début de la vie. Dans la deuxième partie de cette série sur la gestion des triggers, je vais voir ce que nous pouvons faire pour désactiver le détecteur de fumée une fois qu’il a été déclenché, ou en d’autres termes comment nous pouvons développer des stratégies pour rallumer notre cerveau supérieur et éteindre le cerveau inférieur. Nous verrons également ce que nous pouvons faire pour diminuer la sensibilité de l’amygdale, ou détecteur de fumée du cerveau, au fil du temps afin que nous soyons moins susceptibles de réagir inutilement aux « j’ai cramé mes toasts ».

Le cerveau et les triggers

Bien sûr, notre cerveau est un organe en un seul morceau, mais très complexe avec de nombreuses parties ou zones interdépendantes, et donc il peut être utile de le penser en termes de deux unités distinctes : supérieure et inférieure.

Comme je l’ai déjà dit, certains des problèmes auxquels nous sommes confronté en tant que survivant dissociatif sont que les connexions entre les différentes parties de notre cerveau ne sont pas aussi développées qu’elles pourraient l’être, et c’est certainement vrai pour l’autoroute entre les cerveaux « supérieur » et « inférieur ». Notre cerveau supérieur planifie, évalue et pense ; et notre cerveau inférieur basé sur la survie, qui est principalement inconscient, agit pour nous garder en sécurité avec des réponses automatiques face à la menace et au danger.

Lorsque nous sommes trigger, nous pourrions dire que notre cerveau inférieur s’allume et que notre cerveau supérieur s’éteint. Nous devenons paniqués, impulsif, incapable de penser, voire incapable de parler. Ça peut être une réaction vitale quand le danger est réel, comme une agression ou un quasi-accident sur l’autoroute, mais ça devient inutile lorsque notre détecteur de fumée sent la « fumée » qui rappelle un épisode traumatisant d’il y a des années alors qu’il n’y a pas de danger actuel réel. (Quelles que soient nos émotions, les souvenirs ne peuvent pas vraiment nous faire de mal.) Il est donc impératif que nous sachions ce que nous pouvons faire au moment où nous sommes trigger pour remettre nos pensées, notre cerveau supérieur, en route et pour éteindre la réaction paniquée de notre cerveau inférieur.

Bien entendu, la chose la plus importante dont il faut se rendre compte en premier est que nous pouvons réellement faire quelque chose. Je crois que l’essence même du traumatisme est l’impuissance – le fait d’être submergé et impuissant, qu’il n’y ait absolument rien que nous puissions faire pour empêcher ce qui nous arrive. Pour beaucoup d’entre nous qui avons fini par développer un trouble dissociatif, ce sentiment d’impuissance persiste de manière très forte mais souvent inconsciente, infectant tout ce que nous faisons avec le sentiment que nous ne pouvons rien faire. C’est une habitude que notre cerveau a développée dans l’enfance parce que chroniquement, au fil des années et des années, peut-être des centaines voire des milliers de fois, nous avons vécu des événements traumatisants pendant lesquels nous avons ressenti une impuissance intense.

Nos cerveaux grandissent et se développent en réponse à notre expérience, en particulier l’expérience répétée. Et donc, en l’absence du sentiment d’avoir le choix, la plupart d’entre nous ont développé un sentiment chronique d’impuissance apprise : ça peut devenir un état par défaut dans lequel nous sommes trigger, soit lorsque nous nous souvenons directement de notre traumatisme d’origine, soit lorsque nous sommes frappés ici et maintenant par une circonstance qui nous rend à nouveau impuissant.

Et être trigger – être frappé par une réponse automatique corps-cerveau où l’adrénaline est pompée dans notre circulation sanguine, nos cerveaux supérieurs s’arrêtent et nos cerveaux inférieurs basés sur la survie s’allument – peut également nous donner l’impression d’être impuissant ! En effet, tout se passe hors de notre contrôle, sans notre permission, même lorsque nous faisons de notre mieux pour l’arrêter. Il est donc facile de croire qu’il n’y a rien que nous puissions faire à ce sujet, et nous pouvons commencer à restreindre notre vie pour y faire face – nous laissons tomber notre travail, nous ne prenons pas la peine d’essayer de dormir la nuit, nous utilisons des médicaments sur ordonnance ou autres drogues, ou l’alcool, pour essayer d’atténuer tout ça.

Mais la bonne nouvelle est que bien que les triggers se produisent dans les 7 millisecondes, nous pouvons nous y préparer, nous pouvons développer une stratégie pour les gérer, et nous pouvons même commencer à baisser la sensibilité de notre « détecteur de fumée » au fil du temps afin d’être moins susceptible de se faire trigger à l’avenir. Le résultat final, bien sûr, est que la vie commence alors à devenir beaucoup plus facile et nous pouvons nous concentrer sur autre chose que simplement survivre une heure à la fois.

Que pouvons-nous donc faire lorsque nous sommes trigger ? Je pense que nous avons besoin d’une stratégie de repli, quelque chose qui est facile à retenir même lorsque nos cerveaux supérieurs s’arrêtent, et quelque chose qui fonctionne dans divers contextes. Ce que j’ai développé pour moi-même est quelque chose qui me vient de la compréhension du fonctionnement du cerveau supérieur, et comment trois zones générales du cerveau supérieur, avec leurs propres caractéristiques et particularités, peuvent être utilisées pour nous aider à reprendre le contrôle lorsqu’un trigger inattendu nous fait partir en vrille.

Les trois parties du cerveau supérieur auxquelles je fais référence sont :

  • le cerveau supérieur gauche : le cortex dorsolatéral préfrontal
  • le cerveau supérieur droit : le cortex orbital préfrontal droit
  • et le cerveau supérieur médian : le cortex préfrontal médian

Bien sûr, c’est une simplification, et ça considère le cerveau en termes métaphoriques plutôt qu’en termes strictement neuroscientifiques – parce que le but n’est pas de réaliser une chirurgie cérébrale précise, mais de comprendre les différences générales dans la façon dont nos cerveaux supérieurs fonctionnent, que nous pouvons ensuite exploiter pour mieux gérer les trigger.

Informations mémorisées et triggers

Donc tout d’abord, il y a le cortex préfrontal dorsolatéral : le cerveau supérieur gauche. C’est la partie du cerveau qui contient les informations factuelles : que Paris est la capitale de la France, que Shakespeare a écrit Macbeth et que je suis en sécurité ici – la partie logique et factuelle de cette déclaration, pas la partie émotionnelle et expérientielle de celle-ci. Il y a beaucoup de personnes avec un trouble dissociatif de l’identité qui ont un cerveau avant gauche très développé, même très fortement développé – nous aimons les connaissances, les informations et les faits, et plus il y en a mieux c’est ! C’est cette partie du cerveau qui est « activée » en faisant des activités mentales même de bas niveau telles que compter, [faire des] maths, [résoudre des énigmes] logiques, [répondre à des] quiz factuels, [compléter un] Sudoku.

Faire ce genre de choses active le cerveau supérieur gauche, et parce que les cerveaux supérieur et inférieur fonctionnent comme une sorte de bascule, juste en activant votre cerveau supérieur, vous éteignez votre cerveau inférieur. Trop souvent, nous nous battons durement, par un énorme effort de volonté, pour essayer de « nous calmer ». En fait, ça marche mieux si au lieu d’essayer de nous calmer – ce qui nous bouleverse souvent davantage car nous sommes frustré de ne pas réussir ! – nous concentrons simplement notre attention sur la mise en marche de notre cerveau supérieur gauche. Inversement, bien sûr, c’est pourquoi il est difficile de se concentrer lorsque nous sommes stressé et paniqué. Et c’est pourquoi quelque chose qui n’a pas d’importance, quelque chose comme un Sudoku ou un mini-jeu sur un smartphone, peut aider à réactiver notre cerveau supérieur sans même vraiment faire d’effort.

C’est aussi pour ça que le travail est si souvent un facteur de stabilisation pour de nombreux survivants d’un traumatisme – un travail qui n’est pas trop complexe et stressant et plein de conflits relationnels et à haut risque, mais plutôt un travail qui encourage notre cerveau supérieur à se connecter et à rester en ligne. Nous ne devons vraiment pas sous-estimer le rôle que le travail joue pour garder notre cerveau supérieur en ligne et nous stabiliser.

Mon pire moment après ma rupture en 2005 a eu lieu en 2008 lorsque j’ai abandonné mon travail – parce que je sentais que je ne pouvais plus faire face – et sans les exigences du travail pour garder mon cerveau en ligne, les choses se sont en fait bien aggravées pour moi très rapidement. J’ai traversé une période de plusieurs mois où j’étais ce que j’appellerais la plupart du temps « activée par mon cerveau inférieur » et où j’avais recours aux médicaments et à l’automutilation comme principales méthodes d’autorégulation. C’est lorsque j’ai recommencé à travailler à un niveau bas et sur une base volontaire que j’ai pu ré-activer mon cerveau supérieur plusieurs heures par jour, ce qui a eu l’effet de bascule automatique de baisser l’activité de mon cerveau inférieur. Ce fut alors un tournant pour moi à partir duquel j’ai pu avancer, et c’est quelque chose dont je suis encore très consciente aujourd’hui. Je sais qu’après une séance de thérapie, je dois remettre mon cerveau supérieur en ligne en faisant quelque chose de subalterne comme classer des choses ou vérifier le relevé bancaire. Je ne peux rien faire de très compliqué ou de créatif, mais même un Sudoku ou remettre des livres par ordre alphabétique est mieux et plus sûr que de descendre dans un état de crise dissociative alimentée par le cerveau inférieur !

En conclusion, le cerveau supérieur gauche peut être considéré comme le centre d’informations factuelles du cerveau pensant. Cependant, même si le cerveau supérieur gauche peut dire : « Je sais que je suis en sécurité ici », avez-vous déjà remarqué comment votre thérapeute peut vous répéter jusqu’à en avoir la figure toute rouge, que vous êtes en sécurité maintenant, mais  que malgré tout vous ne vous sentez pas en sécurité ?

En effet, le cerveau supérieur gauche a très peu de connexions directes avec le détecteur de fumée, l’amygdale, qui est la partie du cerveau comme nous l’avons vu qui fait cette évaluation initiale des risques et des dangers. Donc, le manque de connexions entre le cerveau supérieur gauche et l’amygdale signifie que bien que nous puissions utiliser le cerveau supérieur gauche pour diminuer notre réponse cérébrale de panique et de survie une fois que nous avons été trigger, le simple fait de s’appuyer sur des faits cognitifs ne fera aucune différence au long cours concernant la sensibilité du détecteur de fumée. En d’autres termes, ça aide à court terme mais pas à long terme. Deux autres parties du cerveau supérieur sont bien meilleures pour ça.

Attachement et triggers

Tout d’abord, il y a ce que nous pouvons appeler le cerveau supérieur droit, le cortex préfrontal orbitaire droit. Il s’agit de la région du cerveau impliquée dans l’attachement, dans les relations humaines, notamment entre une mère et son bébé. La théorie de l’attachement est d’une importance cruciale pour comprendre et guérir des troubles dissociatifs, et je la couvre en détail dans ma journée de formation Travailler avec un traumatisme relationnel, mais il suffit de dire ici que le cerveau supérieur droit est activé pendant ce que nous pourrions appeler des « moments d’attachement » – les moments où une mère calme son bébé en le touchant, en ayant un contact visuel, avec un ton de voix rassurant.

Ces « moments d’attachement » peuvent être reproduits par un partenaire – une personne avec laquelle vous avez un lien émotionnel étroit – ainsi que par le thérapeute, qui agit comme une présence apaisante pour leur client pendant les périodes d’hyperactivité ou d’agitation. Nous savons tous combien il est important d’avoir à nos côtés quelqu’un qui se soucie de nous quand nous sommes trigger et qui nous aide à nous calmer, en nous incitant à respirer plus lentement, en nous reliant à leur présence apaisante plutôt qu’à notre état de terreur panique. Et c’est ce cortex préfrontal orbitaire droit qui est activé pendant ces moments.

Le cerveau supérieur droit a également de très bons liens avec l’amygdale, ce qui signifie que le contact humain – en particulier au niveau d’une relation d’attachement – peut aider à diminuer la sensibilité du détecteur de fumée au fil du temps. S’il y a des moments apaisants répétés, un réseau de neurones peut se développer et le cerveau supérieur droit peut arriver à « inhiber » le détecteur de fumée, ce qui le rend moins susceptible de se déclencher juste avec une odeur de brûlé.

C’est ce que nous aurions dû développer dans l’enfance – la capacité du cerveau supérieur, à réguler à la baisse et à moduler l’activité du cerveau inférieur, et « exercer » intentionnellement cet apaisement relationnel peut avoir un impact énorme au fil du temps. De nombreux auteurs parlent de l’importance de la « régulation de l’affect » – la capacité de gérer des émotions difficiles ou intenses – et comment ça peut se développer au fil du temps quand le thérapeute et le client forment une « dyade » qui ressemble étroitement, en termes de neurodéveloppement, aux aspects de la relation entre une mère et un bébé.

C’est ce que j’ai vécu mille fois durant de séances de thérapie lorsque mes sentiments m’ont soudainement détournée et que j’ai été trigger dans un état d’anxiété élevé. Avec mes thérapeutes, moi (ou une autre partie de moi) j’ai appris progressivement à pouvoir baisser le volume de ces émotions afin qu’elles ne soient plus aussi assourdissantes. Mes thérapeutes m’ont encouragée au calme, respirant lentement et profondément avec moi (« Soupire juste ! » comme le dit Janina Fisher), de sorte que j’ai pu gérer les pics d’émotion lors du trigger.

Au fil du temps, ça a contribué à former un réseau neuronal entre mon cerveau supérieur droit et mon amygdale, pour diminuer la sensibilité du détecteur de fumée au fil du temps. Au début, je me sentais frustrée d’être trigger pendant la thérapie, de perdre de précieuses minutes en me « mettant [à nouveau] dans tous mes états » et donc en quelque sorte gâcher la session. Mais j’ai finalement réalisé que « me mettre dans tous mes états » durant la session était une bonne chose, car grâce au coaching de mes thérapeutes, j’ai appris à me calmer et, ainsi, j’ai établi de nouveaux schémas dans mon cerveau, de nouveaux réseaux de neurones, ce qui signifie qu’à long terme, je suis moins susceptible de paniquer quand je sens une odeur de fumée, mais il n’y a pas de feu en vue.

Négligences et triggers

L’impact des négligences sur le cerveau supérieur droit a peut-être été observé de la manière la plus frappante dans les scanners du cerveau des enfants de l’orphelinat roumain mis en évidence par des documentaires télévisés dans les années 1980. Ces enfants, victimes du régime de Ceausescu, ont reçu les niveaux de soins et d’attention les plus minimes, beaucoup d’entre eux étant lavés et nourris mais ignorés le reste du temps – pas de câlins, pas d’interactions, pas de jeux, pas d’amour.

Sur les scintigraphies cérébrales, la zone du cerveau supérieur droit dont nous parlons ici, la région liée à l’attachement et à la régulation émotionnelle, était plus ou moins manquante : des « trous noirs » mettant en évidence le manque de développement résultant d’une négligence relationnelle extrême. Bien que la plupart d’entre nous qui sommes TDI n’aurons pas un cerveau droit aussi manifestement absent, beaucoup d’entre nous montrerons cependant un certain degré de sous-développement. Nous pouvons voir cet impact dans nos difficultés relationnelles, en particulier les relations d’attachement, ainsi que dans nos difficultés à gérer nos émotions.

C’est pourquoi nous ne pouvons pas simplement « aller mieux » ou « nous secouer », comme on nous l’a souvent répété : nous avons en fait « le cerveau endommagé » ou, à tout le moins, « en manque de cerveau ! ». C’est pourquoi s’en remettre peut prendre du temps, car nous essayons littéralement de faire grandir et de développer ces parties de notre cerveau. C’est aussi pourquoi certaines formes de thérapie cognitive se révèlent souvent inadéquates par elles-mêmes dans le traitement des TDI – les thérapies cognitives peuvent faire appel à notre cerveau avant gauche avec ses faits, sa logique, ses informations et ses connaissances, mais ne peuvent pas grand-chose pour développer notre cerveau supérieur droit avec sa soif de relations humaines et de régulation affective interactive.

La bonne nouvelle est que l’harmonisation et l’empathie peuvent réellement « faire grandir » cette partie supérieure droite de notre cerveau, et c’est pourquoi les relations d’attachement, y compris avec les partenaires et les thérapeutes, sont si importantes. Ça explique aussi pourquoi quand nous développons des attachements sécurisés, ça a un impact positif sur notre capacité à mieux faire face à l’adversité et à gérer nos sentiments dans une « fenêtre de tolérance » plus large.

Pour moi personnellement, la plus grande amélioration que j’ai vue au cours des dernières années est peut-être la façon dont mon cerveau supérieur droit a contribué à diminuer la sensibilité de mon « détecteur de fumée », ce qui signifie que je suis beaucoup moins souvent trigger maintenant, et beaucoup moins sévèrement. Même quand je le suis, je peux utiliser ce que j’ai appris en thérapie pour me ramener à un état plus apaisé.

Émotions et triggers

L’autre partie du cerveau supérieur dans laquelle nous pouvons puiser et qui est utile pour moduler le détecteur de fumée, est le cerveau médian supérieur, le cortex préfrontal médian. Vous vous demandez peut-être : « Mais que dois-je faire lorsque mon thérapeute ou mon partenaire n’est pas là ? Que dois-je faire si je n’ai pas de thérapeute ou de partenaire pour commencer ? » Ce sont des préoccupations très réelles. Mais la bonne nouvelle est que le cortex préfrontal médian fait partie du cerveau dans lequel tout le monde peut puiser, à tout moment de la nuit ou du jour.

C’est une partie du cerveau qui s’occupe de la conscience de soi : des émotions, des sensations corporelles, des pensées. C’est la partie du cerveau qui peut réfléchir sur elle-même, regarder à l’intérieur et se demander : « Comment je me sens ? Que se passe-t-il pour moi ? Qu’est-ce que je vis en ce moment ? »

La recherche a montré que cette partie du cerveau a aussi tendance à être assez réduite chez les survivants de traumatismes chroniques – beaucoup d’entre nous avons du mal à savoir ce qui se passe en nous ! Je suppose que ça s’explique en partie par le fait que nous sommes tellement concentrés sur « là dehors », tellement hypervigilant en quête de danger, que nous n’avons jamais pris le temps de regarder « là-dedans ». Et si nous le faisons, alors la partie « là-dedans » est si souvent chargé de sentiments de dégoût et de honte et d’horreur – [que] nous ne voulons pas ressentir ce que nous ressentons ; nous ne voulons pas penser à ce à quoi nous pensons. C’est bien sûr l’essence même de la dissociation. Beaucoup d’entre nous, par conséquent, se sont retrouvés avec un cortex préfrontal médian assez sous-développé – ce qui est vraiment dommage car il a les meilleures connexions ou voies d’accès à l’amygdale.

Les nouvelles thérapies qui ont le plus de résultats dans le travail avec les TDI semblent être celles qui emploient ce qu’on appelle la « pleine conscience appliquée », comme l’approche de psychothérapie sensorimotrice développée par Pat Ogden et d’autres, y compris Janina Fisher. Ça m’a énormément aidée – il y a 7 ou 8 ans, je n’avais pratiquement aucune capacité de pouvoir simplement observer ce qui se passait en moi. J’étais « dans » mon expérience physique, engloutie et consumée par elle. Je ne pouvais en aucun cas prendre du recul et l’observer. J’étais « dans » mon expérience émotionnelle, dominée et piratée par toute émotion qui voulait venir me dicter ma vie, et j’étais absolument convaincue que non seulement je devais croire ce que cette émotion me disait, mais que je lui devais aussi obéissance. Je ne pouvais pas supporter de simplement m’asseoir « avec » ça. J’avais l’impression de devoir y réagir.

J’étais constamment en train de réagir sans réfléchir à ce qui se passait en moi, et pourtant grâce à la pratique de la pleine conscience et à travers les approches de la psychothérapie sensorimotrice en particulier, j’ai pu commencer à pouvoir « juste remarquer [ce qui se passe] », à pouvoir « juste être curieuse [du phénomène] », et j’ai pu commencer à observer et à commenter ce qui se passait, à voir que c’était « juste une pensée » ou « juste une émotion » ou « juste une sensation ».

C’était révolutionnaire pour moi. J’ai commencé à réaliser que ce que j’avais tant de mal à définir était différent des sentiments de panique, de la pulsion d’automutilation, des vagues de honte, et que je pouvais prendre du recul et « juste remarquer [ce qui se passe] » et commenter ce que se passait d’une manière acceptante mais détachée, sans jugement, sans contre-émotion, simplement avec curiosité. J’ai commencé à développer ce que d’autres ont appelé une « posture de tierce partie » ou une « position mentalisante ».

Ce qui est peut-être encore plus important pour moi personnellement, c’est que ça voulait dire que j’avais une nouvelle stratégie lorsque je suis trigger. Quand mon cerveau inférieur s’est allumé et mon cerveau supérieur s’est éteint, j’ai commencé à réaliser que je devais me parler pour m’en sortir.

Au début, j’avais besoin du soutien et du coaching de mes thérapeutes pour le faire, pour qu’ils m’aident à diriger mon attention et pour qu’ils m’aident à prendre du recul par rapport à moi-même et à observer ce qui se passait et à le nommer. J’ai donc commencé à apprendre à développer une narration de moi dans ces moments : « Oh regarde, mes bras et mes jambes se sont tendus. Que se passe-t-il d’autre dans mon corps ? Regardons. Oh, ma respiration s’est accélérée et elle est devenue assez superficielle. Que se passe-t-il dans mon ventre ? Ça ressemble à une boule d’énergie serrée. Qu’est-ce que tout ça veut dire ? Oh, je pense que j’ai été trigger. Il s’agit d’une réaction du système nerveux autonome. Quelque chose a appuyé sur l’interrupteur ; quelque chose a déclenché le détecteur de fumée. Mon amygdale a détecté quelque chose qu’elle pense être une menace. Mon cerveau supérieur a été éteint et mon cerveau inférieur s’est allumé et m’a préparée pour fuir ou lutter. Ce n’est pas parce que je suis maltraitée ici et maintenant. C’est juste la réaction automatique de mon corps parce que sa mémoire a été trigger. Maintenant regardons à nouveau ce qui se passe dans mon corps… Mes poings veulent se serrer. Mes jambes veulent courir… » Et ainsi de suite.

Et simplement en faisant ça – simplement en mettant ces choses en mots, nous remettons automatiquement notre cerveau supérieur en ligne, en engageant la zone de Broca, le centre de la parole et du langage. Mais la vraie clé est de pouvoir tourner notre attention vers l’intérieur et d’observer ce qui se passe en nous pour que ce soit juste quelque chose qui se passe en nous : c’est juste une pensée, juste une émotion, juste une sensation. Ce n’est pas l’intégralité de notre expérience. Si c’est quelque chose de séparé de nous, alors on n’est pas obligé de le laisser nous définir ou nous contrôler, ou devenir notre alpha et notre oméga. Ça peut aller et venir, et nous pouvons être certains que c’est que temporaire. Il y a une différence entre être anxieux et avoir un sentiment anxieux : ces derniers passeront, alors qu’en pensant au premier, nous avons commencé à lui attribuer un sens (« C’est ce que je suis »), avec à l’intérieur un sentiment de certitude et de finalité et de persistance.

Mais si l’émotion est juste une émotion, alors je peux la regarder venir vers moi, comme si elle filait dans ma direction sur l’autoroute à 70 miles par heure [~113 km/h], et je peux choisir de la regarder passer devant moi – j’ai juste besoin d’attendre et de la regarder filer. Je peux m’éloigner. Et je n’ai pas besoin d’aggraver les choses en ressentant non seulement de l’anxiété, mais de la frustration face à mon anxiété. Si j’observe le seul mastodonte de l’anxiété et que je le regarde rugir devant moi, je n’ai pas à ajouter un camion plein de frustration. Trop souvent par le passé, j’ai laissé une émotion engendrer une cascade complète d’autres émotions. Et à chaque fois, quand que je ne fais qu’observer et commenter et remarquer ce sentiment d’anxiété, j’engage mon cerveau supérieur qui pense, évalue, réfléchit, se pose des questions, et l’effet de bascule signifie que mon cerveau inférieur va automatiquement se calmer.

Une psychothérapeute sensorimotrice avec qui j’ai travaillé pendant un certain nombre d’années me disait avec le genre de voix chantante que vous ne pouvez sûrement développer qu’après de nombreuses années d’école de thérapie : « Contentez-vous de remarquer ! Soyez curieuse ! » C’était assez ennuyeux au début, surtout quand mon cerveau inférieur était dans un état d’alerte rouge, avec tous les indicateurs qui me hurlaient que la maison était en feu et que j’allais bientôt mourir. Mais avec juste ces deux ou trois mots, elle disait en réalité : « C’est bon, c’est juste une fausse alerte. C’est juste du pain grillé. La maison n’est pas vraiment en feu. Pas de panique. Ce ne sont que des sentiments de panique, mais il n’y a rien à craindre. C’est juste le détecteur de fumée de votre corps qui se déclenche, c’est tout. Il n’y a pas vraiment d’incendie. Remarquez à quoi ressemble la panique dans votre corps. Observons-la. Soyons simplement curieuses… »

Conditionnement et répétition dans les triggers

Il m’a fallu plusieurs mois de répétitions ennuyeuses, mais finalement j’ai commencé à pouvoir le faire moi-même. Alors, quand j’ai eu un quasi-accident très grave sur l’autoroute il y a quelques mois, et que je suis passée en véritable mode de survie, je me suis juste parlé pour traverser la crise. « Remarque juste ! » Je me suis dit en moi-même (avec la même voix chantante – je suis sûre que la magie est dans cette voix), « Sois juste curieuse ! »

Et j’ai commencé à me raconter ce qui se passait dans mon corps – mes bras tremblants, mes jambes tendues, ma poitrine se sentant écrasée comme s’il n’y avait pas de souffle dedans, mes paumes transpirantes, ma sensation de nausée, le monde qui avait l’air distant, lent et irréel. Je pouvais me sentir tirée à l’intérieur, pour « m’échapper », pour me dissocier et passer à un autre alter, mais comme si je regardais dans un tunnel, je continuais de me parler : « C’est juste ton amygdale qui sonne l’alarme. Bravo pour avoir réagi si rapidement avec cette adrénaline. Bravo pour avoir libéré du glucose dans ma circulation sanguine. Je peux rester présente. Je peux juste remarquer et être curieuse. »

Et je l’ai fait, et ce fut l’un de ces moments sur lesquels je suis revenue par la suite et où j’ai réalisé quels progrès j’avais faits, et comment il y a quelques années j’aurais été perdue peut-être pendant des heures après ; les conséquences émotionnelles auraient en fait pu durer des jours ; et pire que tout, j’aurais ruminé l’erreur de conduite de quelqu’un d’autre, et je me serais tourmentée et fait du mal pour la perte de concentration de quelqu’un d’autre. Au lieu de ça, j’ai pu garder le contrôle ; je n’ai pas eu à switcher ou à me dissocier pour gérer la situation ; et la conséquence fut une gratitude et une reconnaissance que par rapport au fait que j’étais vivante et indemne plutôt que la sauvagerie de l’auto-blame.

Nous avons donc là les trois parties du cerveau supérieur – supérieur gauche, supérieur droite et supérieur médian, chacune avec leurs propres caractéristiques et leurs propres moyens spécifiques que nous pouvons utiliser pour gérer les triggers et diminuer la sensibilité du détecteur de fumée au fil du temps. Et en utilisant ces trois régions métaphoriques, j’ai développé trois stratégies pour remettre mon supérieur avant en ligne lorsque j’ai été trigger :

  • en utilisant mon cerveau supérieur gauche, je me fais réfléchir – avec un Sudoku ou des mots-mêlés ou des jeux sur mon téléphone, avec un décompte de 7 secondes, avec le classement ou le rapprochement de mes relevés bancaires, avec de la lecture et la tenue d’un journal.
  • en utilisant mon cerveau supérieur droit, je me connecte – de préférence à une figure d’attachement, comme un thérapeute ou mon mari, afin de leur permettre de m’apaiser et de me calmer.
  • en utilisant mon cerveau médian supérieur, j’entre en pleine conscience – je tourne mon attention vers l’intérieur et je suis « juste curieuse » et je « remarque juste » les émotions et les sensations physiques de panique, et je les nomme et les observe et les regarde passer sans jugement ni leur attribuer une signification.

L’important est de trouver des activités qui nous aident chacun personnellement à nous ancrer lorsque nous sommes trigger, mais en utilisant cette simple matrice de trois parties du cerveau et les trois stratégies qui vont avec, ça peut nous aider quand notre cerveau supérieur est parti en vrille et nous sommes sous le brouillard de la panique et nous ne nous souvenons plus quoi faire.

Dans ce but, il y a quelque temps, PODS [le site d’origine de l’article] a produit des affiches plastifiées de cette technique d’ancrage que j’ai décrite ici, avec les trois parties du cerveau relatives aux trois stratégies d’ancrage. Elles sont parfaites pour les afficher sur le réfrigérateur ou un placard de la cuisine ou partout où vous avez besoin de les mettre pour vous aider à traverser ces moments inévitables où, contre notre volonté, dans les moments les plus gênants, nous sommes trigger par notre détecteur de fumée hypersensible.

Mais je vous promets que si nous développons ces techniques d’ancrage et que nous les répétons encore et encore, nous développons de nouveaux modèles de fonctionnement dans notre cerveau, de nouveaux réseaux de neurones, qui au fil du temps réduiront la sensibilité de notre détecteur de fumée qui est devenu trop réactif, non pas parce que nous sommes mauvais ou stupide ou pathétique ou paresseux, mais simplement parce que nous avons fait face à beaucoup trop d’incendies quand nous étions enfant.

Gérer les triggers – Partie 3

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