Une lettre cryptée, écrite en 1547 par l'empereur Charles Quint, déchiffrée par des chercheurs

La clé de déchiffrement - Inria Nancy
La clé de déchiffrement - Inria Nancy
La clé de déchiffrement - Inria Nancy
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Le code d'une lettre de Charles Quint vient d'être décrypté. Camille Desenclos, historienne et spécialiste du cryptage au 16ème siècle nous dévoile le contenu de ce document.

Charles Quint a été le souverain le plus puissant d’Europe sur la première moitié du 16ème siècle et une lettre signée de son nom restait un mystère aux yeux des historiens car elle était codée. Il a fallu 6 mois d’enquête, des chercheurs en informatique et en histoire pour que l’on puisse enfin comprendre la teneur de ce document conservé à la bibliothèque Stanislas de Nancy. Au micro de Marie Sorbier, Camille Desenclos, une des actrices de ce décryptage historique, nous explique les coulisses et les enjeux de cette découverte.

Décortiquer des messages cryptés

Camille Desenclos, maîtresse de conférences à l'Université de Picardie en histoire moderne et membre du Centre d'histoire des sociétés des sciences et des conflits, nous raconte l’histoire de cette lettre. Datant de 1547, époque de vives tensions en Europe - en plein cœur des guerres d'Italie, opposant François Ier à Charles Quint, et de la guerre de la ligue de Smalkalde, opposant Charles Quint aux princes luthériens de l’Empire, et quelques semaines après la mort de Henri VIII d'Angleterre, il était important, pour les monarques, de pouvoir échanger discrètement. Cette volonté explique alors les symboles étranges, environ 120, inscrits sur le document.

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"Ce code secret prend deux formes, le premier qui est écrit sur la lettre, et une deuxième forme, que nous avons perdu mais que nous avons essayé de reconstituer, à savoir la clé de chiffrement." Camille Desenclos

C’est cette fameuse clé, prenant la forme d'une table avec une grille dans laquelle il y a une équivalence à chaque fois entre une lettre en clair - c'est à dire celle que nous écrivons normalement - et un ou plusieurs caractères cryptographiques, caractères qui permettent de chiffrer la lettre et d'empêcher sa lecture par un éventuel intercepteur.

"Cette pratique du chiffre nous paraît rétrospectivement particulièrement exceptionnelle puisqu'on a des difficultés à s'imaginer qu'il y a plus de 500 ans, une pratique cryptographique puisse exister et de manière aussi évoluée." Camille Desenclos

En effet, cette évolution à donné du fil à retordre aux cryptographes Cécile Pierrot et Paul Zimmerman, tous deux chercheurs à l’Inria et Pierrick Gaudry, chercheur au CNRS. Tous les trois ont rencontré des difficultés qui les ont empêché de « casser » le code, puis d’en tirer des hypothèses.

De Paris à Vienne, une lettre diplomatique qui se fait attendre

Si l’étonnement est grand pour les novices de découvrir un code aussi évolué dès le milieu du XVIᵉ siècle, les chercheurs en histoire de la cryptographie le sont moins. La pratique cryptographique serait aussi ancienne que l'écriture et s'est multipliée à la fin du Moyen-Âge et au début du XVIᵉ siècle.

"Au moment où cette lettre est envoyée, toutes les correspondances diplomatiques et politiques de haute sensibilité sont systématiquement chiffrées, parfois pour quelques mots, parfois pour un paragraphe, et parfois, comme c'était le cas de notre lettre, pour presque l'intégralité du contenu." Camille Desenclos

La particularité du code de la lettre de Charles Quint réside dans le fait qu'il était déjà partiellement connu, sans pour autant être relié à l'ensemble de la correspondance - très célèbre - de l'ambassadeur de Charles Quint.

Autographe Charles Quint
Autographe Charles Quint
- Bibliothèque Stanislas Nancy

Cette lettre presque intégralement chiffrée a souffert d'un manque de reconnaissance due à une difficulté d'identification de date, en effet les historiens n'étaient pas certains de son contenu et n'établissaient pas, de fait, de lien entre celle-ci et des copies qui existeraient par ailleurs.

"Grâce à l'emballement médiatique qui a eu lieu autour de cette lettre, un collègue nous a gentiment pointés vers une copie de cette lettre qui existerait à Vienne. On va donc pouvoir faire la comparaison entre la copie et l'original chiffré qui a été conservée." Camille Desenclos

Allier les sciences humaines aux sciences dures, un fait exceptionnel

Ce projet de décryptage est exceptionnel par son contenu mais aussi par ses moyens, l'équipe étant constituée d'autant de chercheurs venant des sciences dites "dures" que des sciences dites "humaines". Une vraie collaboration est née entre ces chercheurs multidisciplinaires.

"Mes collègues cryptographes ont cassé le code d'abord en attaque directe, puis après en reconstituant la table. J'ai apporté quelques éléments de contexte mais la spécificité du projet tient à ce que nous avons travaillé ensemble pour comprendre la logique de cette table." Camille Desenclos

Ainsi ont été présentés la semaine dernière les premiers résultats de ce projet, qui s'inscrit dans une recherche globale sur le tissage diplomatique au temps de Charles Quint. Si les chercheurs savaient que la diplomatie de Charles Quint fonctionnait "en étoile" - autrement dit que les ambassadeurs écrivaient à Charles Quint, à son ministre, mais aussi à sa sœur et son fils - ces récents travaux révèlent qu'à priori existait une clé unique, modulable pour plusieurs interlocuteurs, en fonction du contexte et des correspondances multiples.

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