L’écart entre la tech américaine et européenne se creuse, selon l'Institut Montaigne

La France, et plus largement l'Europe, sont-elles capables de rattraper leur retard sur les Etats-Unis - et sur la Chine désormais en embuscade -, en matière de technologies numériques ? Dans une note publiée par l'Institut Montaigne, deux experts de la tech veulent y croire. Pourtant, le contexte mondial actuel accentue les ambitions des Etats en matière de leadership. Et les Etats-Unis entendent bien plier le match et asseoir leur domination face à l'Empire du Milieu.
Jeanne Dussueil
(Crédits : Yves Herman)

C'est une note qui contraste avec les éclatantes promesses gouvernementales de faire grandir « au moins 100 licornes françaises à l'horizon 2030 », soit 100 startups non cotées valorisées au moins 1 milliard de dollars. Ou encore, d'envoyer en Bourse sur Euronext, « 10 licornes (tricolores) d'ici 2025 ».

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Dans une note pour l'institut Montaigne, un cercle de réflexion d'orientation libérale, Gilles Babinet, l'ex-champion du numérique pour la France auprès de la Commission européenne et l'entrepreneur Olivier Coste (ex Alcatel-Lucent), douchent ces deux grandes ambitions annoncées fin 2022 par Emmanuel Macron et son ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications Jean-Noël Barrot.

« La nouvelle rivalité sino-américaine surplombe la compétition mondiale. Loin derrière, l'Europe voit sa position se dégrader », constatent-ils dans un document publié fin novembre. L'écart entre la France et du Vieux continent dans la tech et le champion américain se creuse.

Illustrée par huit graphiques, la note d'analyse démontre un « retard croissant » de l'Europe vis-à-vis de la tech américaine, plus que jamais en position de force alors que le contexte de la guerre en Ukraine accentue les rivalités. En outre, les Etats-Unis accélèrent pour garder leur leadership, notamment via le « CHIPS and Science Act » qui octroie 280 milliards de dollars à l'industrie américaine de la tech pour contrer l'Empire du Milieu.

Cette politique protectionniste menée par l'administration Biden, prolongeant le « America First » de son prédécesseur Donald Trump, bénéficie plus largement à tout le tissu industriel américain avec l'Inflation Reduction Act (IRA), qui préoccupe vivement l'Union européenne. Ce plan prévoit entre autres des subventions favorisant les entreprises implantées aux Etats-Unis, notamment dans les secteurs des véhicules électriques, des batteries, de la tech, des énergies renouvelables ou encore de l'hydrogène.

Les aides à la tech sont d'autant plus bienvenues que le secteur traverse un trou d'air en 2022 après deux années fastes de pandémie qui avaient fait exploser les usages numériques. Plusieurs géants de la Silicon Valley ont déjà procédé à des plans massifs de licenciements comme Meta (ex-Facebook) ou Twitter.

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L'Europe décroche en matière de R&D

Mais signe qui ne trompe pas, selon les auteurs qui s'appuient ici sur l'année 2020, la part de la R&D (recherche et développement) dans la tech diminue notoirement en Europe. « L'Allemagne est passée de 8% à 2% ; la France de 6% à 2% », notent les auteurs. Tandis que la Chine a déjà atteint 64 milliards d'euros d'investissements dans la R&D pour la tech en 2020 (soit + 12%) selon les chiffres cités de la Commission européenne. « La faible présence des industriels européens est criante », alertent Gilles Babinet et Olivier Coste.

Sans surprise, les leaders de l'investissement dans la tech sont majoritairement américains à l'image d'Alphabet (Google), Microsoft, Apple, Facebook, Intel. Mais en 2019, le géant chinois Huawei s'est positionné en troisième position et le champion du e-commerce Alibaba se tient également en embuscade. Côté européen, seuls Nokia et SAP tiennent la corde. Or, avec les politiques zéro Covid qui, en 2022, ralentissent l'économie chinoise, les Etats-Unis risquent de garder une confortable avance.

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La Grande-Bretagne toujours championne des licornes

Surtout, les startups américaines ont, dans l'après-Covid, attiré trois fois plus d'investissements que leurs homologues européennes. Sur le Vieux continent en particulier « la France attire trois fois moins d'investissements que le Royaume-Uni, l'Allemagne attire deux fois moins d'investissements que le Royaume-Uni », avec 11,3 milliards d'euros levés dans l'Hexagone, contre plus de 32 milliards au Royaume-Uni en 2021, notent les auteurs.

Au total, c'est donc bien la Grande-Bretagne qui continue de mener le jeu en Europe avec 245 milliards d'euros de capitalisations cumulées en 2021, contre 89 milliards en France.

Au-delà des subventions publiques et des investissements privés, les auteurs pointent une autre raisons de ce décrochage européen invoquant, notamment en cas de rachat, « les coûts de restructuration : 200.000 euros est le coût par personne d'une restructuration d'une équipe de R&D en Europe continentale, dans une grande entreprise. Ce coût inclut la durée de la négociation sociale, les indemnités de départ, les mesures de reclassement ou de réindustrialisation. Il est similaire dans toute l'Europe continentale, avec un pic à 250.000 euros en Allemagne. Ce coût n'existe ni aux États-Unis, ni en Chine, ni en Inde. »

L'évolution du poids des groupe du digital, par pays d'origine, en pourcentage. Une rupture d'échelle a du être opérée pour inclure correctement « la suprématie » des groupes américains, précise le graphique publié par l'Institut Montaigne.

Et d'ajouter : « Alcatel a dépensé près de 10 milliards d'euros en restructurations. C'est l'une des causes de sa disparition. » Toutefois, les auteurs veulent croire qu'il est possible d'inverser la tendance. « Pour la première fois depuis 1945, le coût politique de l'inaction pourrait s'avérer supérieur à celui du changement. Il y a là une opportunité historique de revenir au premier plan de l'innovation et de renforcer la sécurité du continent. » « Rien n'est inéluctable », assurent-ils.

ZOOM : Le capital-risque se tend pour les startups françaises qui sollicitent des banques

Les banques continuent à financer les jeunes entreprises innovantes mais les investisseurs veulent aujourd'hui savoir à quel horizon elles seront rentables, a affirmé à l'AFP Marguerite Bérard, directrice de la Banque commerce France chez BNP Paribas.

Actuellement, « la tension que connaissent les entreprises innovantes n'est pas du tout liée à l'accès au financement bancaire, c'est une question d'accès au capital, aux fonds propres », a affirmé Mme Bérard à l'occasion du renouvellement d'un partenariat entre BNP et le réseau associatif d'aide à l'entrepreneuriat Initiative France.

« Quand les taux (d'intérêt) étaient négatifs, les investisseurs en fonds propres n'avaient pas le même regard sur des investissements qui sont à rendement différé », selon elle. Ces dernières années, ils « alimentaient beaucoup les entreprises innovantes pour qu'elles grandissent le plus vite possible, mais sans d'abord leur poser des questions sur leur rentabilité », relate la banquière.

Mais aujourd'hui, la simple conquête de parts de marché ne suffit plus et les startups doivent montrer qu'elles ont un modèle qui peut être rentable à une échéance fixée à l'avance, poursuit-elle. Elles doivent trouver non pas de simples utilisateurs, mais des clients prêts à payer pour leurs services. « C'est ce que vous voyez aussi dans l'évolution des valeurs de la tech, y compris des plus grandes valeurs de la tech américaine aujourd'hui », selon la directrice de BNP Paribas.

(Avec AFP)

Jeanne Dussueil

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Commentaires 7
à écrit le 08/12/2022 à 9:30
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L'étude ne met pas en avant la démarche visionnaire de l'Europe qui n'a fait que s'adapter à un futur sans électricité dans lequel le numérique est forcément inutile.

à écrit le 07/12/2022 à 18:48
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La tech "américaine" développée par 80+ % d'infidèles asiatiques...

à écrit le 07/12/2022 à 14:46
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"L'écart entre la France et du Vieux continent dans la tech et le champion américain se creuse". Quoi, est-ce bien vrai ? Comment cela se peut-il ?

à écrit le 07/12/2022 à 11:45
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Cela fait amplement penser à une compétition de hamsters dans leur roue, sachant que le numérique sera bien moins utile si nous devons quitter la politique de l'offre, reconnaissable par ses éternelles publicités, pour nous diriger vers un monde plus...

à écrit le 07/12/2022 à 11:11
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Quand les entreprises "structures", c'est en fait pour importer le modèle américain. Nos technologies européennes étaient performantes et reconnues même aux USA, mais nos états ont préférés se coucher devant leur dieu américain. Le fort recours à la ...

à écrit le 07/12/2022 à 9:58
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A force d'importer des BAC - 5 sur notre territoire, notre pays coule. Faut-il s'en étonner ?

le 07/12/2022 à 19:00
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A l'évidence la France n'a pas besoin d'importer de Bac-5 pour couler ses finances publiques... ses pseudo-élites s'en charge admirablement bien.

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