Jacques Vergès. «Ma vision de l'avocat»

Maître Jacques Vergès est à la fois le plus connu et le plus controversé des avocats français. Sans renoncer à son premier métier, l'énergique octogénaire met son éloquence également au service du théâtre. Seul en scène, il présente un spectacle autobiographique et universel : «Serial plaideur». Il y développe son idée centrale, que toute personne a le droit d'être défendue. L'homme saura captiver le public du Théâtre Anne de Bretagne, mardi à Vannes.

Photos Dunnara Meas
Photos Dunnara Meas


Mardi prochain à Vannes, ce n'est pas dans un prétoire mais sur la scène d'un théâtre qu'on pourra vous écouter. Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de monter le spectacle «Serial Plaideur» ?
Je n'y avais jamais pensé avant de recevoir la visite de M. Franck, le directeur du Théâtre de la Madeleine à Paris. Il m'a dit : «J'ai vu un film qui vous est consacré («L'avocat de la terreur», ndlr). Je trouve que vous avez un talent d'acteur et que ce que vous dites est intéressant. Aujourd'hui, le théâtre évolue. Par exemple, M. Luchini entretient le public pendant une heure et demie sur Céline. Je vous propose d'entretenir le public pendant le même temps sur un sujet qui vous intéresse». J'ai accepté. Et comme le sujet qui m'intéresse est ma vision de la profession d'avocat, j'ai créé «Serial plaideur». J'y suis seul en scène, derrière un bureau ou en mouvement. Ce n'est pas une conférence mais une espèce de conversation, de confidence.

Incluez-vous des extraits de vos plaidoiries?
Non, ce n'est pas un plaidoyer pro domo. Je fais simplement allusion à un procès que j'ai eu en Algérie parce que c'est là où j'ai inauguré ce que j'appelle la défense de rupture (l'accusé se fait accusateur et prend l'opinion à témoin, ndlr). En dehors de cela, j'évoque des affaires qui ne sont pas connues. En fait, j'essaie d'établir qu'il existe un rapport formel entre ce que j'appelle l'oeuvre judiciaire, - le procès-, et l'oeuvre littéraire.

Sur quels exemples vous basez-vous ?
Relisez la tragédie de Sophocle, «Antigone». Elle se déroule exactement comme un procès : débat de procédure, audition des policiers sur leur enquête, interrogatoire de l'accusé et jugement. Même chose avec le procès de Jeanne d'Arc : il contient tous les temps de la tragédie. J'affirme que cette parenté formelle correspond à une parenté de fond. Que fait Antigone ? Elle remet en cause l'ordre royal. Jeanne d'Arc remet en cause celui de l'Église au Moyen Âge. Relisez les romans, revoyez les films qui vous ont bouleversés : vous constaterez qu'ils correspondent à une remise en cause de l'ordre du monde. Il s'agit toujours d'une transgression. La personne qui va donner son nom à la tragédie, le «héros», est toujours l'accusé, le criminel : Antigone, Faust, Don Juan, Thérèse Desqueyroux... Alors je fais le rapport en disant que le criminel, l'accusé, est un homme comme nous. C'est l'aspect humaniste de notre profession. Mettre en évidence qu'il possède une parfaite humanité qu'on ne peut pas nier. Voyez le poème de François Villon !

Vous parlez de la «La ballade des pendus»?
Oui : «Frères humains qui après nous vivez, n'ayez contre nous les coeurs endurcis». Si les pendus considèrent les autres hommes comme des frères, cela implique la réciproque. Je cite le poème dans mon spectacle pour affirmer que, même chez le pire criminel, il existe une parcelle d'humanité que nous devons respecter. Et ce n'est pas un travail subversif, bien au contraire, c'est un travail pour l'ordre public. Si l'avocat balise bien la route qui a conduit un être qui nous ressemble à commettre un crime que nous réprouvons, c'est pour que les autorités publiques agissent. Si elles sont responsables, elles doivent mettre l'écriteau «sens interdit» sur la route qu'il a suivie et prendre les dispositions adéquates. Hippocrate disait : «Je ne soigne pas la maladie, je soigne le malade». Et nous, avocats, nous pouvons affirmer : nous ne défendons pas le crime, mais la personne accusée du crime.

Quelles proximités existe-t-il entre les métiers d'avocat et d'acteur ?
Il s'agit de convaincre autrui d'une certaine vérité. Au tribunal, le public est plus restreint : trois ou douze personnes. Et dans ce cas, le public est déjà prévenu, il a ses préjugés. Vous connaissez cet incident avec Tixier-Vignancour ? Ce grand avocat assiste au procès et voit que le tribunal a déjà son avis fait. Quand la parole est donnée à la défense, il se lève, dit, «Je fais appel», et s'en va ! Au théâtre, même s'il peut avoir des préjugés, le public vient d'abord en curieux. Il se déplace parce qu'il a envie de comprendre quelque chose.

Vous avez créé «Serial plaideur» en septembre 2008 et présentez depuis le spectacle régulièrement. Que recherche votre public : découvrir Maître Vergès, l'avocat-vedette controversé ?
Les gens ne savent pas du tout ce qu'ils vont entendre. Ils viennent parce qu'ils sont intrigués.

Maître Vergès peut paraître ambigu. On se demande si c'est par provocation qu'il défend des personnages aussi repoussants


que le nazi Klaus Barbie ou le khmer rouge Kieu Samphan...
Ce sont les gens dits indéfendables qui ont besoin d'être défendus. D'ailleurs, les meilleurs d'entre nous ne s'y trompent pas ! Moro Giafferi a défendu la bande à Bonnot et Landru ; Floriot, le docteur Petiot ; Badinter, Patrick Henri. C'est aussi une tradition française de défendre un ennemi politique. Maître Albert Naud, résistant, a défendu Pierre Laval. Chaveau-Lagarde, royaliste, a défendu Danton sous la Révolution. Il ne renonçait pas à ses opinions pour autant puisqu'il a ensuite défendu Marie-Antoinette. Avec une passion telle qu'on l'a arrêté à la fin de sa plaidoirie ! J'ai défendu Barbie d'autant plus sereinement que je savais que les trente-neuf confrères que j'avais contre moi, plus le procureur, ne pouvaient me donner de leçons. Parce qu'à l'âge de 17 ans, j'ai rejoint les Forces Françaises Libres. Ce passage m'a donné une très grande assurance.

Il n'y a donc personne que vous ne défendriez pas ?
On m'a demandé un jour : «Vous défendriez Hitler?». J'ai répondu : «Je suis même prêt à défendre Bush !».



Le long-métrage documentaire que Barbet Schroeder vous a consacré en 2007, «L'avocat de la terreur», est tout sauf une hagiographie. Qu'en pensez-vous ?
J'ai un sentiment très ambigu. M. Barbet Schroeder vient me voir et dit : «Je voudrais faire un film sur vous, mais en restant seul maître des témoins, des documents et du montage». Quand quelqu'un vous fait une telle proposition, il a envie de vous faire un enfant dans le dos, c'est une évidence ! Mais, contrairement à l'avis de mes amis qui disaient que j'étais fou, j'ai accepté en pensant : il veut me piéger ? C'est moi qui le piégerai. Parce qu'on me verra dans le film et que ce sera l'occasion de montrer que je n'ai pas deux cornes sur le front et une longue queue fourchue ! Je crois que j'ai eu raison, d'après la réaction des gens qui ont vu le film. Ce qui est important, ce sont les deux tiers du film où j'apparais, non pas à cause de ma présence, mais de par le pan d'histoire raconté. Ce sont les guerres coloniales, avec un cortège de terrorisme d'un côté et de tortures de l'autre. Et tout ça vu au prisme des procès. De plus, c'est en découvrant ce film que M. Franck m'a proposé de faire une pièce de théâtre. Donc, là-dessus, je pense avoir effectivement piégé M.Barbet Schroeder.

Vous déjà publié de nombreux ouvrages. Avez-vous d'autres projets d'écriture ?
Avant, je lisais des pièces mais n'allais que rarement au théâtre. Depuis la proposition de M. Franck, j'y ai tellement pris goût que j'ai écrit une pièce, qu'il a acceptée. Elle sera montée sans doute l'an prochain au Théâtre de la Madeleine. Mais je ne vous dirai pas de quoi elle parle, parce que j'attends que ce soit lui qui l'annonce.

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