Emile Marcesche, l'industriel précurseur des allocations familiales

Le destin d'Emile Marcesche est pour le moins singulier. A 27 ans, alors qu'il enseigne les sciences-physiques, rien ne laisse supposer qu'il deviendra l'un des industriels les plus influents de son temps ainsi que l’instigateur de la première caisse d'allocations familiales en France. L’ensemble de sa carrière, un temps oublié, a été largement remise en lumière par les récents de Pascal Boisson au début des années 20101.

Carte postale. Collection particulière.

Emile Marcesche naît en 1868 à Lézigné dans le Maine-et-Loire. Fils de menuisier, il choisit la voie de l'enseignement et devient professeur de sciences-physiques en 1887. Huit ans plus tard, en 1895, il rend visite à son oncle, ancien secrétaire général de la mairie de Lorient. Sa venue en Bretagne constitue un véritable tournant de sa vie puisqu'il y rencontre Louise Chamaillard, sa future épouse. Il décide alors de prendre une année de congés en 1896 pour s'établir à Lorient. Ces quelques mois dans le Morbihan sont une révélation pour lui : il démissionne du corps enseignant en 1897 et fonde sa propre entreprise de charbonnage.

En plus d'être un bon gestionnaire, Emile Marcesche a de l'intuition et investit très rapidement dans une imposante flotte de navires à vapeur. Progressivement, il parvient à faire fructifier son affaire et reprend de nombreuses entreprises aux productions diverses : charbon,  bois, kaolins, pêche, conserverie, ou encore cidrerie. Dans les années 1930, il se trouve à  la tête d'un véritable empire qui dépasse les frontières du Morbihan. C'est bien entendu dans la région lorientaise que la maison Marcesche est le mieux implantée : elle y possède son siège, une usine d'agglomérés, trois chantiers, un garage, des installations portuaires et ferroviaires, la Grande cidrerie d'Arvor et les Kaolins d'Arvor à Ploemeur. A l'extérieur du département elle administre deux scieries à Concarneau et Quimper et détient des agences à Pontivy, Cardiff, Swansea, Port-Talbot et Newport.

Devenue une figure incontournable de l'industrie morbihannaise, Emile Marcesche accède à la présidence de la Chambre de commerce le 15 janvier 1920. Pendant 18 ans, il y mène une action déterminante qui propulse l'économie départementale. Il inaugure notamment, en 1927, le port de Keroman dont il fut l'un des principaux instigateurs. Dans un ouvrage consacré à l'organisme consulaire, Yvonig Gicquel évoque la gestion remarquable d'Emile Marcesche :

« jamais [la Chambre de commerce] n'avait atteint une telle activité avec des réussites certaines, d'autant plus appréciables que cette séquence de 1920 à 1939 s'avère l'une des plus difficiles sur le plan économique avec les conséquences des diverses crises et une pénétration plus sensible de l'international au sein du Morbihan. »2

Emile Marcesche se rend également très populaire auprès de ses ouvriers. En 1905, il crée une caisse de secours pour son personnel ; en 1914 il équipe de vestiaires, douches, infirmerie, réfectoire, ateliers d’apprentissage l'une de ses usines ; en 1917 la cidrerie intègre des jardins ouvriers ; il met en place un service médical gratuit et construit une école pour le personnel des  Kaolins d’Arvor. En 1918, en pleine guerre, il prend conscience des  difficultés que doivent surmonter les familles nombreuses. Lui-même orphelin de son père à l'âge de 3 ans, il s'est également retrouvé avec la charge de ses six enfants suite à la mort de Louise en 1912. L'idée lui vient alors de créer la caisse de compensation interprofessionnelle, qui est en quelque sorte la première caisse d’allocations familiales de France. Catholique convaincu, l'ensemble de ses actions le place, selon le pape Jean-Paul II, parmi les principales figures de l'engagement social-chrétien au XXe siècle en France3.

Le cortège funéraire d'Emile Marcesche. Le Nouvelliste du Morbihan, 24 octobre 1939, p. 3.  

Emile Marcesche meurt subitement le 21 octobre 1939. Un vibrant hommage lui est rendu dans sa ville d'adoption. Le Nouvelliste du Morbihan évoque alors la foule qui, à l'occasion de ses obsèques,

« a envahi, avant 9 heures, la rue Victor-Hugo, trop étroite pour la contenir ; et, dans la chapelle ardente aménagée à la maison mortuaire, c'est le va-et-vient silencieux de tous ceux qui veulent s'incliner une dernière fois, sur la dépouille du bienfaiteur de la cité, du chef d'entreprise compréhensif et bon, ou de l'homme de cœur qui forçait le respect et la sympathie. Et ceux-là ne sont pas légion ! »4

Yves-Marie EVANNO

 

1 BOISSON, Pascal, Émile Marcesche (1868-1939) : une trajectoire entrepreneuriale, Université de Bretagne Sud, thèse sous la direction de LE BOUËDEC, Gérard, 2010 et « Emile Marcesche (1868-1939), capitaine d'industrie à Lorient », Collection Mémoire et Histoire, n° 4, Ville de Lorient, 2012.

2 GICQUEL, Yvonig, La chambre de commerce et deux siècles d'économie du Morbihan, 1807-2007, Spézet, Coop Breizh, 2008, p. 152.

3 Lettre adressée au Président des Semaines sociales de France, 17 novembre 1999, en ligne.

4 « Les obsèques de M. Emile Marcesche », Le Nouvelliste du Morbihan, 24 octobre 1939, p. 3.