Billet de blog 11 juillet 2014

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Entre l'Europe et l'Afrique, le piège des «partenariats économiques»

Pascal Canfin, ancien ministre, Jean Gadrey, économiste, et Majdouline Sbai, sociologue et vice-présidente de la région Nord-Pas-de-Calais, mettent en garde contre les accords de partenariat économique en voie de ratification entre l'Union européenne et les Etats d'Afrique de l'ouest, qui « pourraient avoir des conséquences désastreuses sur l’économie et la société de cette région du monde ».

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Pascal Canfin, ancien ministre, Jean Gadrey, économiste, et Majdouline Sbai, sociologue et vice-présidente de la région Nord-Pas-de-Calais, mettent en garde contre les accords de partenariat économique en voie de ratification entre l'Union européenne et les Etats d'Afrique de l'ouest, qui « pourraient avoir des conséquences désastreuses sur l’économie et la société de cette région du monde ».


Ces 10 et 11 juillet, se tient, au Ghana, le 45e sommet de la Cédéao (Communauté économique du développement des États de l'Afrique de l'Ouest). Cette réunion risque de marquer un pas décisif vers la ratification d’accords de partenariats économiques (APE) avec l’Union européenne. Or ces accords sont très contestés par les organisations de la société civile en Afrique de l’Ouest car ils pourraient avoir des conséquences désastreuses sur l’économie et la société de cette région du monde.


Le débat sur les APE a commencé en 2000, lorsque l'Union européenne et les pays de la zone Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP) se sont engagés à établir de nouvelles règles commerciales, pour répondre aux exigences de l'OMC. Jusqu'alors, leurs relations commerciales étaient fondées sur un régime permettant aux pays issus de cette zone d'accéder aux marchés européens tout en conservant leurs barrières douanières.
Les nouvelles règles devaient se traduire dans des accords de partenariats économiques (APE). En 2008, avant le début de la présidence française de l'Union européenne, un rapport rédigé par la députée Christiane Taubira appelait à une révision en profondeur des négociations des APE, émettant de vives inquiétudes sur leurs impacts réels en matière de développement.
Pour l'Afrique de l'Ouest, les négociations engagées ont été arrêtées, en 2007, devant la résistance des sociétés civiles et d'élus. Elles ont repris lors de l'initiative de la Cédéao de mettre en place un régime commun de tarifs douaniers, dès le 1er janvier 2015.

Les accords de partenariats économiques en discussion avec l'Afrique de l'Ouest sont des accords de libéralisation du commerce. Ils prévoient notamment la levée pendant vingt ans des barrières commerciales (taxes, quotas, licences, subventions) pour 75% des produits, importés par les pays de la région, en provenance de l'Union européenne. Pour accompagner cette mesure, qui va entraîner une perte de recettes fiscales pour les États, l'Union européenne envisage une aide au développement compensatoire de 6,5 milliards d'euros sur la même période.
Pourtant, ces APE risquent de mettre en péril la capacité de développement des États concernés, non seulement par la perte de recettes fiscales, mais surtout en fragilisant les marchés locaux et en nuisant à des projets de développement « endogène ».
Prenons comme exemple le cas du Mali. La crise majeure qu'il connaît depuis 2012 a accru sa vulnérabilité en matière de sécurité alimentaire. Les déplacements de populations et la situation au nord Mali n'en sont pas la seule cause. D'autres facteurs jouent depuis des années, dont les variations erratiques des cours des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux. A l'avenir, une aggravation est encore à prévoir pour deux raisons : les prévisions démographiques (un doublement de la population d'ici à 2030) et les premiers effets du dérèglement climatique et des modes de cultures qui accélèrent la désertification.
La stratégie mise en œuvre par le Mali, avec l'appui de la communauté internationale, est d'investir dans la structuration d'une économie locale formelle, davantage productrice de valeur ajoutée. D’importants gisements d'emplois et de ressources fiscales existent dans la transformation des produits agricoles et des ressources naturelles aujourd'hui exportés à l’état brut.
Après son intervention au Mali en 2013, la France a pu mobiliser la communauté internationale dans le soutien à un programme de développement. Les 3,25 milliards d'euros annoncés appuient l'État malien et des projets de développement local portés par des coopérations institutionnelles ou par des ONG. Ils ont pour point commun de tenter de renforcer la capacité du Mali à répondre à ses propres besoins et à relever le défi démographique et climatique. Il s'agit en particulier « d'agroforesterie », de développement de la filière solaire, d'aide à la création d'entreprises, d'appui aux coopératives agricoles…
Ce sont de premiers pas vers une meilleure résilience. Pourtant, ces programmes risquent de peser bien peu de choses au regard de l'impact considérable qu’auraient les accords de partenariats économiques s’ils étaient ratifiés dans les prochains jours par les chefs d’Etat de la Cédéao.
Le cas du Mali est loin d’être isolé. L'ouverture des marchés de ces pays à un commerce international dérégulé est un risque majeur. Les APE conduiront à une plus grande dépendance vis-à-vis des cours des marchés mondiaux, à une économie de plus en plus tournée vers l'exportation, à une concurrence inégale entre des entreprises locales et des entreprises internationales… Ils empêcheront ces pays de relever les vrais défis qu'ils rencontrent, renforceront leur vulnérabilité et leur dépendance, au détriment de la construction d'une économie locale durable, répondant, d'abord, aux besoins locaux, et beaucoup plus riche en emplois.
Il reste à espérer que ces alertes, formulées depuis près de 15 ans par des organisations de la société civile, des élus en Afrique de l’Ouest comme en Europe, soient bien prises en compte, dans les prochains jours par la Cédéo, et qu’elle ne ratifiera pas ces accords.

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Addendum du 11 juillet, 16h00. Depuis la publication de cette tribune, un APE a été conclu, dans la plus grande opacité, entre l'Union européenne et l'Afrique de l'Ouest. Les analyses et critiques de cette tribune restent d'actualité. Le contenu et les conditions de mise en œuvre de cet accord de partenariat économique doit susciter une mobilisation et une vigilance citoyenne en Europe comme en Afrique de l'Ouest, pour éviter que les conséquences désastreuses prévisibles ne deviennent réalité.

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