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La cuisinière d'Himmler de Franz-Olivier Giesbert. Entretien

« Je ne supporte pas les gens qui se plaignent. Or, il n’y a que ça, sur cette terre. C’est pourquoi j’ai un problème avec les gens. Dans le passé, j’aurais eu maintes occasions de me lamenter sur mon sort mais j’ai toujours résisté à ce qui a transformé le monde en grand pleurnichoir.
Jusqu’à mon dernier souffle et même encore après, je ne croirai qu’aux forces de l’amour, du rire et de la vengeance. Ce sont elles qui ont mené mes pas pendant plus d’un siècle, au milieu des malheurs et, franchement, je n’ai jamais eu à le regretter. »

Le roman débute comme un policier et se poursuit par un voyage à travers le xxe siècle…

Ce n’est ni un roman policier ni un roman historique ! Mais c’est vrai, c’est un roman qui se passe au xxe siècle, encore tout chaud dans ma tête, d’autant plus que je suis obsédé, comme beaucoup d’autres, par la Seconde Guerre mondiale, dont parlaient souvent les membres de ma famille qui avaient combattu dans leur jeunesse. Pour raconter cette période épouvantable, je me suis inspiré de gens et d’amis qui ont traversé cette époque et dont je me suis toujours étonné de voir l’insouciance, la bonne humeur, parfois le rire. J’ai écrit en agglomérant des petits bouts d’expériences que j’ai pu avoir ici ou là, des souvenirs, des propos entendus.

Qui est Rose, la narratrice ?

De même que Flaubert disait « Emma Bovary, c’est moi ! », je pourrais dire, certes sans me prendre au sérieux, « Rose, c’est moi ! ». Ce personnage de vieille femme qui avait traversé le siècle était dans ma tête depuis longtemps, jusqu’au jour où j’ai pris la plume pour raconter ses aventures. Ou plutôt, c’est elle qui a pris la plume et je n’ai fait que suivre l’histoire qui lui arrivait et qu’elle me dictait. Comme disait Julien Green, « j’écris mes livres pour savoir ce qu’il y a dedans », et ce sont mes personnages qui écrivent mes livres. Rose est un personnage drôle, loufoque et très résilient, jamais rien ne l’abat, elle rebondit toujours. Elle est l’incarnation de la formule de Nietzsche « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».

Au passage, vous égratignez nombre d’intellectuels qui ont cautionné les pires horreurs du xxe siècle…

Quand on voit la complaisance d’une grande partie de l’intelligentsia envers Drumont, l’auteur de La France juive, un livre qui annonce Mein Kampf, les égarements de Sartre ou, plus tard, des maoïstes, on ne comprend pas, on se demande comment un tel aveuglement a été possible… Mais, attention, ce livre n’est ni politique ni historique : le thème principal c’est la joie de vivre et de survivre – j’aurais presque pu l’intituler « La joyeuse survivante » !

Rose va où elle a envie d’aller, aime qui elle a envie d’aimer… et tue qui elle a envie de tuer.

Je crois qu’on peut très bien s’identifier à elle dans son refus d’être enfermée et sa façon d’aller à contre-courant  ! Évidemment, sa façon expéditive de régler ses comptes peut choquer, tout comme son éloge de la vengeance. Après tout, elle ne fait que respecter les commandements de la Bible, « œil pour œil, dent pour dent » !

Pourquoi lui avoir donné comme animal de compagnie une salamandre ?

Peut-être parce que enfant, j’ai eu longtemps une petite salamandre, un animal facile à nourrir et à garder avec soi. Et pourquoi parle-t-elle avec cette salamandre qui lui répond ? En souvenir, aussi, de cette enfance à la campagne et des dialogues imaginaires qu’on peut avoir avec les animaux. Dans le roman, la salamandre ressemble par moment, au surmoi de Rose, cette femme qui ne respecte ni codes ni principes, capable de tout bousculer : cet animal va lui dire des choses qu’elle n’a pas forcément envie d’entendre…

Peut-on parler d’un roman ludique, à la fois hymne à la vie et pied de nez à l’âge ?

Je le répète, Rose, c’est moi, et comme moi, malgré les chagrins, les vicissitudes et le temps qui passe, elle est toujours dans la vie, dans la joie et l’hédonisme. Et si on ne rit pas en lisant ce livre où l’on traverse les horreurs de cet affreux xxe siècle, c’est vraiment que j’ai raté ma mission ! 

© Éditions Gallimard 2013