Astérix contre deux Romains et Obélix contre un guerrier Pictes. Des romains, de la bagarre, l'ingrédient de base de la réussite.

Astérix contre deux Romains et Obélix contre un guerrier picte: la preuve qu'on ne fait pas toujours les meilleurs plats dans les vieux pots.

Les éditions Albert René/Goscinny-Uderzo

Je le savais avant parce que je suis dans le secret des Dieux et de Toutatis: mon ami Eric Libiot entretenait un espoir, certes ténu mais quand même, que le nouvel album d'Astérix ne soit pas le désastre prévu. Et même qu'il soit à la hauteur de la campagne menée de main de maître par les éditions Albert René et par Uderzo lui-même -qui lâche officiellement ses crayons mais chacun sait que c'est pour mieux garder les rènes, on ne laisse pas tomber une équipe qui gagne autant de sesterces, même quand elle se dope à la potion magique.

Publicité

La campagne? En substance, un dessinateur de talent et un scénariste doué. Le premier bonne tronche-bon discours largement diffusés sur les TV tout ce jeudi, un vieux briscard rodé aux arcanes de la nouvelle BD franco-belge, celle des années 80, après le punk et Yves Chaland; le second auréolé d'albums caustiques et réussis, dont des biographies parodiques du Général qui ont fait grincer quelques vieux rateliers gaullistes et dégarnis. Pour les connaisseurs, Didier Conrad et Jean-Yves Ferri avaient donc théoriquement tout ce qu'il fallait où il fallait pour muscler une série dramatiquement anémiée par la mort de son créateur, l'irremplaçable Goscinny, en 1977, il était temps. Pour les Astérophiles, dont je suis, c'était, c'est vrai, se priver du trait d'Uderzo, mais de l'autre lui ôter définitivement les oripeaux de scénariste et de dialoguiste qu'il avait pour leur plus grand malheur endossés après la disparition de son compère. A priori, ça compensait largement.

Je l'ai dit, mon ami Eric Libiot était raisonnablement optimiste -pas moi, soyons franc. J'ai appris depuis qu'après lecture, il avait déchanté, Eric, "déçu" par l'intrigue poussive, les jeux de mots laborieux et un positionnement infantile qui fera sans doute beaucoup pour le Parc d'Astérix, nettement moins pour sa postérité. Et moi? Je ne me sens pas trompé, je l'ai dit, je n'en attendais rien. Je fais partie de ces grincheux qui ont pleuré quand on a annoncé le retour de Blake et Mortimer sans le défunt Jacobs, qui en veulent à Morris de n'avoir pas enterré Lucky Luke en même temps que Goscinny, qui voudraient que Spirou n'ait pas survécu à Franquin -bon, d'accord, Franquin l'avait repris à Rob-Vel, mais Franquin, c'est Franquin.

Juste une comparaison pour que vous compreniez bien.

A ma droite, deux calembours signés Goscinny, le premier tiré du Domaine des dieux, quand un esclave envoie littéralement bouler son maître qui lui a mal causé et qu'un spectateur commente d'un imparable "Eh oui, il ne faut pas parler sèchement à un Numide!"; le second dans Astérix en Hispanie, quand César, qui libère un autre esclave, un rouquin cette fois, "affranchit le rubicon". A ma gauche, ce gag (!) du couple Ferri-Conrad (qui, on ne l'a pas encore dit, ont situé leurs aventures en Ecosse), à quelques planches de la fin: les membres du méchant clan de Mac Abbeh (!!) tentent d'acheter les bonnes grâces des électeurs pictes à coup de... "pots d'eau de malt" -l'équivalent local des pots-de-vin, se croit même obligé d'éclairer une note en bas de page. Pas drôle? Non, pas drôle.

Le pire, le plus surprenant aussi, est ailleurs, dans le dessin insipide de Didier Conrad, qu'on a connu plus inspiré quand il illustrait pour Spirou les histoires borderline de son copain Yann ou quand il a repris avec le même les inoubliables Innommables, dans les années 90. Ses scènes de batailles sont rachitiques, ses colères tellement outrées qu'elles en deviennent caricaturales, jusqu'à la pin-up de circonstance qui ressemble à Cindy Lauper -rendez-nous Falbala!

Je sais bien que tout ceci ne servira à rien et surtout pas à empêcher qu'Astérix chez les Pictes dépasse une nouvelle fois les trois millions d'exemplaires vendus avant Noël. Mais vous avez une autre solution, vous, pour dire votre contrariété sans vous arrêter de respirer?


Publicité