Le scandale des abattoirs

Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens

Temps de lecture : 8 min

Un quart de la viande que nous avalons est issue d’abattoirs qui ne respectent pas les règles d’hygiène européennes. C’est le constat qui ressort d’une note de service de la Direction générale de l’alimentation (DGAl), datée du 21 novembre 2007. Selon ce document à usage interne que Le Point a pu se procurer, 42 % des établissements où l’on abat veaux, vaches, cochons... et 46 % des abattoirs de volailles et de lapins sont hors la loi au regard des normes d’hygiène européennes.

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Fâcheux quand on sait que la moindre entorse aux règles d’hygiène peut transformer un morceau de viande en bombe biologique. Il y a un mois, Carrefour et Monoprix ont ainsi dû rappeler plus de 2,5 tonnes de steaks hachés qui avaient été contaminés dans un abattoir par l’ Escherichia coli , une bactérie d’origine fécale. Il suffit d’un mauvais geste lors de l’éviscération de l’animal pour que ce germe, vecteur de gastro-entérites et de graves infections rénales, souille la viande. Deux autres ennemis bactériens sont en embuscade : Campylobacter , qui refile des gastro-entérites carabinées, et Salmonella , la bactérie responsable des fameuses salmonelloses. Outre les intestins, l’autre cheval de Troie sont les plumes ou les poils souillés. Selon l’Institut de l’élevage, un quart des bovins entrant dans les abattoirs sont couverts de boue et de bouses.

Cela fait des années que l’Europe tape du poing sur la table pour que la France fasse le ménage dans ses abattoirs. Au printemps 2006, l’Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV), le bras armé de Bruxelles en matière de contrôle sanitaire, a dépêché quatre inspecteurs pour faire la tournée d’une vingtaine d’abattoirs français, afin de juger sur place des progrès réalisés. Ils n’ont pas été déçus du voyage. « Dans les établissements du secteur viandes, la situation varie de l’excellent jusqu’à l’inacceptable et des problèmes majeurs ont été identifiés », écrivent les inspecteurs européens dans leur rapport remis en août 2006. La plupart des abattoirs visités ont été épinglés par les procédures de dépouillement et d’éviscération : « Il y avait contact entre la face externe de la peau et la carcasse. »

En prime, aucune mesure n’avait été prise pour s’assurer que les animaux étaient propres à leur arrivée à l’abattoir. Dans un établissement, les vétérinaires de l’OAV ont constaté que « jusqu’à 80 % des carcasses de veau et presque la moitié des carcasses de bovin avaient des contaminations fécales visibles ». Et ce n’est pas tout. Dans trois abattoirs, ils ont relevé pêle-mêle des « croissances importantes d’algues et de moisissures sur un mur dans un couloir entre le hall d’abattage et les frigos », des « toiles d’araignée » sur des lignes de production, de la « rouille étendue , et des « saletés incrustées » un peu partout. Dans un autre, les vestiaires étaient à la fois utilisés par le personnel travaillant à l’abattoir et celui des étables, et tout ce petit monde traversait le hall d’abattage pour aller se changer. De quoi favoriser la prolifération des micro-organismes en tout genre. Quid des vétérinaires chargés de contrôler les abattoirs ? Dans certains départements, ils « signaient des certificats concernant des produits qu’ils n’avaient pas inspectés ». Et l’OAV de souligner le manque de sévérité des pouvoirs publics, avec des suspen- sions ou des retraits d’agrément mis en oeuvre de « façon trop parcimonieuse ».

Depuis 2005, l’Europe a resserré les boulons sur l’hygiène alimentaire. Nos abattoirs-318 pour les animaux de boucherie et 1 520 pour les volailles, dont seulement 420 sont agréés CE-ont jusqu’à 2010 pour se mettre aux normes. « Cela fait longtemps que l’on tire la sonnette d’alarme, confie un vétérinaire français. L’administration sait qu’il y a des abattoirs poubelles, mais les inspections de l’OAV ont eu l’effet d’un électrochoc. » La mise aux normes des abattoirs est devenue une priorité.

Conditions apocalyptiques

Afin de repérer les canards boiteux, la DGAl, qui dépend du ministère de l’Agriculture, a classé les établissements en quatre catégories. En novembre 2007, 33 % des abattoirs pour animaux de boucherie écopaient d’un III parce qu’ils présentaient « plusieurs points de non-conformité », et 9 % étaient estampillés IV en raison « de graves points de non-conformité [...] pouvant justifier la suspension de l’agrément ». Du côté des abattoirs de volailles et de lapins, on en comptait 42 % en classe III et 4 % en classe IV . De l’aveu même de la DGAl, ce sont ainsi plus de 700 000 tonnes de viandes de boeuf, veau, mouton... et environ 500 000 tonnes de poulets qui, chaque année, sortent d’abattoirs non conformes. « Ces classements sont à usage interne à l’administration, insiste-t-on à la DGAl. Ils donnent une idée globale du niveau de conformité des établissements, mais ne permettent pas directement de conclure en matière de risque pour le consommateur. » Il n’empêche, la viande abattue dans ces établissements est interdite à l’exportation en dehors de l’Union européenne...

Pour donner un coup de balai au plus vite, la DGAl a envoyé, le 15 avril, une note confidentielle à tous les directeurs départementaux des services vétérinaires leur indiquant que, désormais, leur notation tiendrait compte du taux de conformité des abattoirs dans leur département. Une façon d’activer la motivation des troupes.

Le Point a récupéré la liste noire des abattoirs d’animaux de boucherie classés IV (voir carte ci-dessus, à gauche). Au début du mois d’avril 2008, ils étaient vingt-trois. Essentiellement des petites structures produisant moins de 5 000 tonnes par an, à l’intérieur desquelles les conditions d’abattage sont parfois apocalyptiques.

Ainsi, les animaux tués selon le rituel halal agonisent-ils jusqu’à vingt minutes. Depuis peu de temps, sous la pression de Bruxelles, le bien-être animal fait partie des critères d’évaluation des abattoirs. Il est vrai que le stress ressenti par l’animal au moment de l’abattage provoque la sécrétion de toxines qui plombent le goût, la couleur et la tenue de la viande. « Lorsque les non-conformités sont récurrentes et qu’aucune mise aux normes n’est engagée, on propose au préfet de suspendre l’agrément de l’abattoir. Le problème est que les élus montent aussitôt au créneau. La fermeture d’un abattoir pour raison sanitaire, c’est la bombe atomique à l’échelle locale », constate le même inspecteur vétérinaire. Dans le Morbihan, la mairie de Malestroit a obtenu un sursis pour son abattoir relégué en catégorie IV : « L’infrastructure ne permet pas de le mettre aux normes européennes. Une étude est en cours pour le rebâtir complètement. En attendant, nous faisons tout pour maintenir ce service de proximité. » A la FNICGV, la fédération qui regroupe la plupart des petits abattoirs, on ne décolère pas. « D’ici à 2010, une cinquantaine d’établissement risquent de mettre la clé sous la porte, avertit le directeur. Les pouvoirs publics utilisent l’arme sanitaire pour rationaliser le secteur . »

La plupart des abattoirs classés IV que nous avons contactés jurent avoir engagé des travaux. D’autres nous ont claqué la porte au nez. Comme celui de Saint-Affrique, dans le département de l’Aveyron, dont le directeur a coupé court à l’entretien par un : « On vit caché, ça nous va très bien. » C’est ce même abattoir qui a été condamné en 2005 pour avoir pollué la Sorgue avec du sang et des substances carnées. A Montereau-Fault-Yonne, en Seine-et-Marne, Kissi Tradi Viandes est spécialisé halal. Selon les services vétérinaires, l’activité d’abattage est stoppée depuis le mois de janvier. Ce n’est pas ce que Le Point a observé sur place. Ce vendredi, à l’aube, au bout de la zone industrielle, à une centaine de mètres d’une Déchetterie, 250 moutons viennent d’être égorgés par trois bouchers dans la salle d’abattage, un ancien entrepôt frigorifique.

« Il faudrait rendre publique la situation sanitaire des abattoirs en France, suggère, sous couvert d’anonymat, un directeur départemental des services vétérinaires. On laisse croire au grand public que, si un abattoir a un agrément, il est carré : ce n’est pas vrai. Le seul levier, c’est la transparence, qui existe chez la plupart de nos voisins... mais pas chez nous. »

« La société KISSI TRADI VIANDE, entreprise exploitant un abattoir à Montereau-Fault-Yonne, a fait l’objet d’affirmations erronées selon lesquelles elle aurait continué de pratiquer les abattages d’animaux au-delà du mois de janvier 2008, date à compter de laquelle ceux-ci sont interdis.
Aucun abattage n’ayant été pratiqué depuis cette date et aucune remarque, observation ou restriction n’ayant jamais été adressée à la société KISSI TRADI VIANDES par les services vétérinaires qui la contrôlent régulièrement, celle-ci entend voir rectifier les affirmations mensongères dont elle a fait à tort l’objet dans les éditions informatiques et écrite du Point.
 
Elle précise au contraire, qu’exerçant depuis 1993, elle jouit au sein de la profession d’une excellente réputation et qu’elle a toujours respecté les prescriptions légales et règlementaires en vigueur.
Elle se tient d’ailleurs à la disposition des services de presse pour expliquer la filière d’abattage, son métier et les contrôles pratiqués pour démontrer ainsi qu’il n’est pas possible de pratiquer de quelconques abattages clandestins. »
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Commentaires (23)

  • Animale

    Cet article parle de sécurité animale pour notre consommation, mais ce n'est qu'un début. A quand la révélation du scandale de la souffrance animale ? Fort bien, je ne suis pas vététarienne, mais il y a de quoi avoir la nausée devant les horreurs infligés à ceux qui meurent pour nous. C'est toute la chaîne qui est à revoir. Les élevages scandaleux (lors de la tempête, une exploitante se lamentait sur son élevage de canards et ses pertes et on voyait, mis en évidence par le toit envolé, que chaque volatile était confiné dans un espace si étroit qu'il ne pouvait bouger). Le transport des animaux est pratiqué dans des conditions inhanimales, leur mise à mort et leur souffrance sous-estimée (les animaux souffrent tout comme nous) cela est inadmissible et tout ce petit monde se donne bonne conscience pour excuser telle ou telle pratique : religion, manque de personnel, emploi, etc. Nous manquons de médecins et d'infirmières, cela ne veut pas dire "faire n'importe quoi". Ne parlons pas des expériences de labo, des conditions de pêche sauvage, etc. Nous savons que la grippe aviaire pointe du doigt, les élevages intensifs qui sont véritablement la cause "de vraies bombes biologiques". De quel droit massacrons-nous ces êtres indispensables au fragile équilibre de notre planète ? Les religions enseignent l'amour du prochain je crois ; l'animal est notre prochain. Il suffit d'entendre les hurlements d'un porc saigné pour le savoir et si les poissons avaient une voix, ça g... jusque dans nos assiettes ! Gandhi disait qu'on juge le degré de civisme d'un pays par le traitement qu'il réserve à ses animaux. Il avait vraiment raison le bon vieux monsieur. Pauvre société française qui devrait montrer l'exemple. Il faut dénoncer et encore dénoncer...

  • c

    Je ne dis pas que l'on mange de la viande sale . Je dis que pour faire un travail correct dans les normes et respecter l'hygiène il faut les moyens c est-à-dire un certain nombre de personnes obligatoire.

  • mezig

    Donc on bouffe de la viande sale ou malade. L'État le sait et se tait et nous on engraisse les commerçants et intermédiaires, l'État les bouchers, les toubibs et tout le saint frusquin ! Elle est belle la France !