Et si le très mauvais élève de l’Europe était …l’Allemagne
Il y a peu encore, il ne se passait pas une semaine sans que les experts et leurs chiens de garde ne nous répétaient que sur le plan économique, l'Allemagne, avec ses réformes Hartz du marché du travail, réalisées entre 2003 et 2005 par le chancelier Gerhard Schroder ( SPD ),était le modèle à suivre. En gagnant le match de la compétitivité, elle était la première de la classe européenne et qu'en conséquence les autres pays se devaient de faire les efforts nécessaires pour rester dans la course. L'excédent de sa balance commerciale, le "zéro déficit" de son budget, le taux d'intérêt de sa dette qui ne cesse de baisser, le taux relativement faible du chômage seraient les seuls critères à retenir de cette réussite du modèle allemand. Aux dires de ces mêmes experts, l'Allemagne avait tous les atouts en main. Pour sortir de l'ornière de la crise, il ne suffisait, pour les autres pays, que de copier le modèle. Et, il y a peu encore, les grands de ce monde, de Bill Clinton à Sarkozy, de Cameron a Renzi, ont rivalisé d'éloges à l'égard du modèle rhénan. Les conservateurs allemands, grisés par tant de flatteries, n'hésitaient plus à déclarer : " L'Europe, tout d'un coup s'est mise à parler allemand" comme Angela Merkel l'affirmait après sa réélection : " Ce que nous avons fait, tout le monde peut le faire." Certains, en Allemagne, vont jusqu'à prédire que l'Allemagne sera d'ici 2030 "le pays le plus riche de la planète par habitant".
Mais l'image du modèle commence à se fissurer. Les inégalités sociales et la pauvreté se révèlent au grand jour, le manque d'investissement public et privé est trahi par l'état désastreux des infrastructures, sur le plan de la formation et de la qualification de la main d'oeuvre, l'Allemagne est aussi distancée. Ces éléments sont plus les présages d'un naufrage annoncé que ceux d'une éblouissante réussite à venir.
LE DEVELOPPEMENT DES INEGALITES ET DE LA PAUVRETE EN ALLEMAGNE
Une des conséquences de la réforme du marché du travail en Allemagne a été l'augmentation de la pauvreté et des emplois précaires. Alors qu'en France, de 2000 à 2012, le taux de pauvreté ( à 60% du revenu médian ) a légèrement diminué de 15 à 14 %, en Allemagne, au contraire, ce taux est passé de 12 à 15,2%. ( lien ). Le rapport publié à la fin 2013 de l’Association paritaire d’action sociale (Deutsche Paritätische Wohlfahrtsverband) indique que la croissance de l'économie n'a pas empêché la croissance de la pauvreté, bien au contraire. Il conclut " alors que les profits de l’essor économique atterrissaient dans les poches d’une riche élite financière et patronale, les emplois nouvellement créés étaient à bas salaires. L’exploitation et la pauvreté ne cessent d’augmenter." Ainsi le problème des bas salaires en Allemagne est plus important encore qu'en France. Alors que la proportion des salariés qui gagnent un salaire horaire inférieur à deux tiers du salaire horaire national brut médian est de 6.1 % en France, il est de 22.2 % en Allemagne ! (Le Monde Supplément Géo et politique Dimanche 17-lundi 18 février 2013).
Si le taux de chômage est beaucoup plus faible en Allemagne ( 4,9 % en Allemagne - 10,5 % en France ) c'est, outre la démographie vieillissante en Allemagne , au prix du développement du travail partiel forcé. 21,7 % de sa population active y sont employés à temps partiel en 2010, contre 13,6 % en France, selon l'OCDE. Ainsi, si l'on intègre le temps partiel dans le calcul du temps de travail, la durée annuelle moyenne s'élève pour la France à 1479 heures, contre 1397 pour l'Allemagne selon l'INSEE. Par manque de crèches, le travail à temps partiel est la règle pour les mères. Les femmes sont ainsi confrontées à la précarité. 45,3% des femmes actives en Allemagne occupent un emploi à temps partiel contre seulement 29,8% en France. (Eurostat 2009 -Les femmes sur le marché du travail en Allemagne et en France - Pourquoi les Françaises réussissent mieux à concilier famille et emploi- Angela Luci )."Les femmes en Allemagne sont plus confrontées au risque de la pauvreté qu’en France. En effet, alors qu’en France un salaire minimum horaire de 9€ doit être payé pour tout travail, les emplois à temps partiels prennent en Allemagne souvent la forme d’un « petit boulot »- (« Minijob ») à 450 € par mois pour travailler jusqu'à 24 heures par semaine- La faiblesse de la politique familiale outre-Rhin explique aussi un taux de la natalité des plus faibles d'Europe et le déclin démographique dans beaucoup de landers, en particulier dans les régions de l'ex-RDA.
Malgré ce "miracle économique" érigé en modèle, dont les chiffres purement comptables du déficit servent de paravent à la réalité, la proportion de gens vivant dans une famille sans travail est pratiquement la même en Espagne et en Allemagne — deux pays où règnent flexibilité et sous-emploi précaire — alors que le taux de chômage est quatre fois moins élevé outre-Rhin ! ( Actuchômage.org-14 décembre 2012 ).
Si ce dumping social, que la réunification et l'intégration des pays de l'Est au marché économique européenne a accéléré, a permis de maintenir artificiellement la compétitivité des entreprises, l'état des infrastructures et la faiblesse des investissements en matière d'éducation et de formation professionnelle sont aussi en train de remettre en cause ce fameux modèle allemand.
LE DELABREMENT GENERAL DES INFRASTRUCTURES
L'Allemagne tant vantée par les experts économiques est dans une situation critique en ce qui concerne ses infrastructures : "Pour la deuxième fois en un an, le pont de l’autoroute A1 à Leverkusen sera fermé pour trois mois aux camions de plus de 3,5 tonnes. Certaines soudures doivent être réparées d’urgence, a estimé lundi le ministère des Transports du Land de Rhénanie-du- Nord-Westphalie. L’année dernière, des travaux comparables avaient entraîné des embouteillages historiques dans cette région industrielle, berceau du chimiste Bayer, et engendré des coûts pour la collectivité de 80 millions d’euros. Le pont de Leverkusen n’est pas un exemple isolé en Allemagne. Dans le Nord, le canal reliant la mer du Nord à la Baltique a dû être fermé aux navires marchands du fait d’écluses vétustes. Résultat : les bateaux doivent faire un détour de 460 kilomètres en passant au nord du Danemark. Selon le dernier rapport annuel sur les investissements d’infrastructures, 20 % des autoroutes, 41 % des routes nationales et 46 % des ponts allemands sont dans un état critique." ( article du 17/06/14 Les échos sur le cri d'alarme de l'Industrie allemande ) . Il en est de même du matériel militaire. Le commissaire parlementaire aux forces armées vient de lancer un cri d'alerte : "Les missions extérieures de la Bundeswehr ne sont plus compatibles avec l'état actuel du matériel".( lien ). Le port de Hambourg est ainsi de plus en plus délaissé pour Anvers à cause des infrastructures défaillantes.
Par manque d'investissements publics " les actifs de l'Etat ont diminué de plus de 500 milliards d'euros depuis 2000", écrit Marcel Fratzscher, président de l'institut pour la recherche économique de Berlin (DIW) dans un ouvrage intitulé " l'illusion allemande". (L'investissement est tombé de 22,3 % du PIB en 2000 à 17 % en 2013).
Plus grave encore l'Allemagne s'est laissé distancer sur le plan de la qualification de la main d'oeuvre. Elle ne consacre que 5,7 % de son PIB à l'éducation, moins que la France ou la Grande-Bretagne et les jeunes allemands sont de moins en moins attirés par l'apprentissage tant vanté dans notre pays. Le nombre de nouveaux apprentis a chuté à son niveau le plus bas depuis les années 1990. Moins d'un quart de la population active possède un diplôme universitaire. Il y a moins de jeunes allemands titulaires d'une licence ( 29 %) que de jeunes grecs ( 34 % ) ou de jeunes britanniques ( 45%). Enfin selon la Banque mondiale il est plus difficile de créer une société en Allemagne qu'en Russie ou au Sénégal, ce qui met à mal l'image d'Epinal d'une Allemagne entrepreneuse.
Faible niveau d'investissement, infrastructures décrépies, système éducatif délabré, peu d'entreprises innovantes, peu à peu la productivité se tasse : 0,9 % par an au cours de cette dernière décennie, soit moins que le Portugal. L'Allemagne s'est trop longtemps satisfaite de sa réussite à l'export grâce à la sous-évaluation de l'Euro par rapport à ce qu'aurait été le Deutschemark et grâce aussi à l'utilisation d'une main d'oeuvre qualifiée et bon marché des pays de l'Est. Les véhicules assemblés en Allemagne contiennent de nombreuses pièces fabriquées en Slovaquie ou en Hongrie. Enfin le pays était jusqu'à présent le fournisseur de la Chine en machine-outils, produits chimiques et biens d'équipements, mais avec le développement de l'économie chinoise cette dépendance risque bientôt d'être du passé.
Il faut ajouter aussi le coût de l'énergie électrique qui est deux fois plus élevé qu'en France. Il a a plus que doublé depuis l'an 2000, ce qui a augmenté sérieusement les coûts de production en particulier dans les secteurs industriels grands consommateurs d'énergie électrique comme la chimie.
Ainsi, derrière les beaux chiffres purement comptables se cache une économie anémiée et à bout de souffle qui a sacrifié à la fois sa population et ses infrastructures, mettant ainsi en péril son avenir.
Depuis 2010 les technocrates de la troïka ( FMI, BCE, CE ) n'ont eu de cesse, au nom de la sacrosainte lutte contre les déficits budgétaires, d'imposer des politiques d'austérité à tous les pays européens en brandissant les vertus du modèle économique allemand. Aujourd'hui il ne fait aucun doute que les coupes budgétaires imposées aux populations européennes ne manquera pas de conduire l'Europe vers une récession généralisée avec une violente déflation.
Comme le signale Emmanuel Todd dans un entretien à la revue Books de décembre 2014 :"L'Allemagne manifeste une forme de résistance au monde postindustriel, (...) qui se traduit par une incapacité à sortir de ses prouesses techniques sur ses "bagnoles". ( ...) Le comportement actuel de l'Allemagne ( ses excédents, l'austérité qu'elle veut imposer à tous le monde, etc...) ne s'explique pas par le fait que ce pays aurait une pensée spécifique. C'est, je crois, plutôt l'effet d'une non pensée. (...) La responsabilité des classes dirigeantes européennes et en particulier des élites françaises est énorme. Elles n'ont pas été capables de se rendre compte que leur leader n'a pas de cerveau. "
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