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TRIBUNE

Calais : la «jungle», future ville ?

Plus que l’installation de tentes promise par Manuel Valls, l’amélioration par le haut de ces quartiers précaires, nouvelles villes-mondes, est l’enjeu que doivent relever les penseurs de la ville.
par Cyrille Hanappe, Architecte et ingénieur (AIR Architecture), directeur pédagogique du diplôme de spécialisation architecture et risques majeurs de l’Ecole d’architecture Paris-Belleville.
publié le 8 septembre 2015 à 18h16

Manuel Valls a donc annoncé, fin août, la création d'un «camp de toile type camp de réfugiés» pour les migrants et les réfugiés de la jungle de Calais. Ce camp serait dimensionné pour accueillir 1 500 personnes dans 120 tentes de 12 personnes alors qu'il y a actuellement plus de 3 500 personnes qui habitent le site. Ces 3 500 n'ont pourtant pas attendu ce futur camp pour dormir la nuit et ont construit, avec ou sans l'aide de bénévoles, des baraques qui offrent un niveau de confort bien souvent supérieur à celui que l'on est susceptible de trouver dans une tente. Pour les avoir étudiées avec mes étudiants de l'école d'architecture de Paris-Belleville, il existe une intelligence de constructeur dans certaines de ces maisons : solides, étanches, bien isolées, ventilées, ancrées dans le sol, faites de matériaux recyclables et recyclés, elles offrent parfois des qualités que l'on ne retrouve pas dans d'autres habitats et, a fortiori, des tentes. La «New Jungle» existe comme ville, elle est là, avec ses écoles, ses églises, ses boutiques, ses restaurants, et même sa boîte de nuit. Elle est plus riche de promesses que nombre de quartiers mal pensés pour leurs habitants et pour la vie quotidienne. Il faut la regarder avec attention, et savoir en tirer les leçons. Les migrants et les réfugiés n'ont pas vocation à y rester éternellement, mais certains y sont depuis de longs mois et d'autres ont même décidé de s'y installer. Doivent-ils être condamnés à un cadre de vie infernal ? Le modèle urbain connaissant le plus fort développement est celui de la ville précaire et près du tiers de la population mondiale vivra dans de tels quartiers d'ici à 2030, soit 2 milliards de personnes.

Ce modèle définit une nouvelle sorte de ville-monde, une nouvelle ville générique qui prend la suite de la ville historique, de la ville moderne, et des marées pavillonnaires. L’ensemble des acteurs travaillant sur le sujet des quartiers précaires ont démontré, depuis un certain temps que les politiques de démolition-relogement de ces quartiers ne constituaient pas un modèle valable, dans la mesure où, à un coût exorbitant, elles ne font que briser les solidarités existantes et casser les fragiles tissus économiques qui auraient plutôt besoin d’être renforcés et soutenus. Le mythe des miséreux heureux de quitter leurs quartiers insalubres pour habiter dans un logement social flambant neuf, dans un ensemble clinquant mais désincarné, a vécu depuis les années 70. L’amélioration par le haut des quartiers précaires, de ces nouvelles villes-mondes, est donc bien l’enjeu que doivent relever l’ensemble des penseurs de la ville, à commencer par les architectes. Plutôt que de créer un nouveau camp de réfugiés fait de tentes et de misère qui ne manquera pas d’être rapidement comparé à un camp de prisonniers, ne serait-il pas plus heureux de réfléchir à l’amélioration de l’existant, et cela pour que les habitants puissent mieux en sortir un jour ? Avec les sommes évoquées par le Premier ministre, il est possible d’établir dans la jungle un système viaire, de gestion des ressources d’eau, de signalétique des lieux, de sécurisation et de pérennisation de certaines des structures existantes. Les objectifs de cette nouvelle politique publique pourraient se baser sur la conception d’une nouvelle ville-monde - légère, mobile, recyclable, ouverte à tous. Loin de condamner et d’enfermer ses habitants dans une désolation sinistre, elle serait là pour qu’ils soient à même de vivre leur droit à la ville et pour pouvoir mieux en sortir. Il faut se rappeler que dans de nombreux cas, une ville est un bidonville qui a réussi. Dans un temps très ancien, une famille s’arrêta un jour dans une boucle de la Seine car elle crut y deviner des opportunités pour ses activités et y construisit son premier abri, qu’elle consolida ensuite. Il est fort probable que c’est ainsi que naquit Lutèce. Ne commettons pas un urbicide de plus, le droit à la ville est un droit humain.

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