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TRIBUNE

Penser des quartiers d’accueil, pas des camps

La maire de Paris, Anne Hidalgo a annoncé le 31 mai l’ouverture d’un camp humanitaire pour accueillir les réfugiés actuellement sans abri. Comment peut-on l’intégrer dans la ville et ne pas en faire un espace de relégation ?
par Cyrille Hanappe, Architecte et ingénieur *
publié le 2 juin 2016 à 17h11

Engagés depuis longtemps sur le terrain de Calais et de Grande-Synthe, nous ne pouvons que nous réjouir de la volonté de la maire de Paris, Anne Hidalgo, de se lancer dans la réalisation de «camps humanitaires». Il nous semble qu’il s’agit aujourd’hui pour l’accueil des réfugiés de dépasser la notion de camp, chargée historiquement, pour passer à celle de «quartiers d’accueil». Ces quartiers d’accueil, ayant vocation à exercer les mêmes fonctions que les camps dans des conditions économiques similaires, présenteraient néanmoins une évolution dans leurs principes de conception.

Alors que le camp est toujours pensé comme un lieu provisoire, le quartier d’accueil, bien que temporaire, intègre le fait que tous les camps durent plus longtemps qu’on ne le croit initialement, de quelques mois jusqu’à des décennies. Pour ceux qui les habitent, ce temps est toujours celui de périodes de vie qui prennent importance pour chacun, et en particulier les enfants (1). Et quand bien même le travail intégrateur peut permettre à ses habitants de le quitter aussi rapidement que possible, on sait que d’autres arrivent après eux dans la permanence du lieu. A la différence de la ville classique, les populations se renouvellent rapidement, d’une manière moins prévisible et plus anarchique, mais les mécanismes à l’œuvre y sont très similaires. Pour toutes ces raisons, le quartier d’accueil ne doit se permettre aucune économie de pensée spatiale et urbaine dans la qualité des lieux qu’il propose. Alors que le camp est trop souvent pensé comme un élément «hors la ville», et déshumanisant, il faut proposer des lieux qui soient à la fois résilients, inscrits dans les territoires, intégrés dans les quartiers et ouverts à tous. Le quartier d’accueil se place dans une perspective émancipatrice : les réfugiés y ont un accès direct aux droits, à un minimum d’activité économique, aux services urbains publics et privés, leurs allées et venues ne sont pas contrôlées. Quand le camp classique propose des unités d’habitation dépersonnalisées et impossibles à investir (2), le quartier d’accueil propose, au contraire, des habitats adaptables et transformables, appropriables par tous, basés sur des matériaux écologiques, recyclés et recyclables. Ses architectures proposent à la fois des éléments solides et stables, qui structurent les espaces urbains, et des éléments appropriables et modifiables par les habitants. Ces appropriations qualifient aussi bien les intérieurs des habitations en fonction des structures et des cultures familiales que les rapports à l’espace public : la notion de seuil d’entrée de la maison, en particulier, y est plus poreuse. Il peut exister des gradations entre espaces publics et privés que la ville contemporaine a perdus depuis longtemps, et qui lui manquent obstinément. Comme dans la ville historique européenne (3), ce sont les voies, les espaces publics et les bâtiments structurants qui doivent avant tous être pensés. Les aires d’habitat y sont définies, mais en aucun cas dessinées à l’avance par cabanes préfabriquées et non évolutives. Anticipant les diversités qui ne manqueront pas de s’exprimer, celui qui en conçoit l’espace y a le rôle d’un chef d’orchestre qui saurait que ses musiciens y jouent des partitions toutes différentes : il parvient néanmoins à proposer et à imaginer ce qui fera qualité commune dans des dynamismes accélérés. A l’heure des dérèglements climatiques, économiques et humains, la ville informelle, le camp, le bidonville sont les modèles urbains qui connaissent la plus grande expansion. Penser la ville accueillante, c’est donc penser la ville de demain. C’est un devoir urgent.

(1) Doit-on rappeler les existences multidécennales de la plupart des camps du monde, à commencer par celui de Rivesaltes en France, qui exista depuis les années 30 jusqu'aux années 2000 intégrant des vagues multiples et diverses de réfugiés ou de prisonniers. (2) Dans le camp de conteneurs à Calais, il est ainsi interdit de coller ne fût-ce qu'un poster dans les grands dortoirs pour 12 personnes. (3) Aldo Rossi, dans L'Architettura della citta', publié en 1966, proposait pour la première fois la compréhension de la ville européenne comme un organisme dynamique toujours recommencé, s'opposant ainsi à la notion de ville idéale qui prévalait jusque-là.

*Cyrille Hanappe Architecte et ingénieur, président de l'association Actes et Cités, et directeur pédagogique du DSA risques majeurs de l'Ecole nationale supérieure d'architecture Paris-Belleville

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