Quand une vérité est aussi ancrée dans la mémoire collective, c’est souvent qu’il s’agit d’un mythe déconnecté de la réalité, mais répondant à une opinion ancrée.

Depuis le séisme-tsunami-catastrophe nucléaire au Japon, le débat nucléaire est animé, en France. C’est peu de le dire. Comme à chaque fois, il oppose des sachants du nucléaire, qui se pensent à l’abri de tout soupçon, et des anti, qui les trouvent manipulatoires et lobbyistes, nous cachant la vérité.

Pour le grand public, le nucléaire est plein d’une mythologie complexe. On y trouve le général de Gaulle et l’indépendance de la France, des ingénieurs, et un souvenir, diffus mais certain sur un point : “au moment de Tchernobyl, en France, on nous menti”, exprimé sous la forme de “le nuage, qui s’est arrêté à la frontière”.

C’est sans doute la seule vérité communément admise. Pourtant, elle est délirante. Les autorités françaises n’ont jamais affirmé que le nuage s’est arrêté à la frontière. Elles ont été transparentes sur leurs mesures, ont cafouillé comme il se doit dans de tels cas (et comme nos ministres l’ont fait depuis le début de Fukushima), mais n’ont jamais été dans le délire narratif de ce style.

L’histoire est très bien expliquée, avec chronologie précise, sur de nombreux sites web. Par exemple ici, ou . L’information est livrée, l’alerte sur le passage d’un nuage effective. Les autorités se veulent rassurantes, ont évidemment un enjeu d’ordre public, d’une part, et de protection de leur filière, de l’autre, mais livrent leurs données et ne cachent pas un passage de nuage radioactif en France.

Alors pourquoi ?

Parce que le contraste.

En Allemagne, pays dans lequel le terrain antinucléaire était alors plus fort, et à la fois pays plus tourné vers l’est, l’ambiance est beaucoup plus électrique, les débats hyper vifs, et la peur de la contamination nucléaire est bien là. Les autorités, qui n’ont pas de filière nucléaire aussi organisée qu’en France, sont dépassées, et ça chauffe grave sur la crainte de radioactivité. En France, contraste énorme.

D’où, dans un traitement médiatique moins engorgé qu’aujourd’hui, mais déjà cacophonique, deux petites phrases, par deux journalistes. L’un, finissant un reportage à Strasbourg et constatant la différence d’ambiance entre la France et l’Allemagne, conclut : “tout se passe comme si le nuage s’était arrêté sur le Rhin” (en parlant bien de l’ambiance). L’autre, une présentatrice météo, dans UN bulletin, parlera du fait que l’anticyclone des Acores nous protège, en plaçant sur sa carte un “stop” malheureux à la frontière.

Dès le lendemain, quand le nuage passe en France, la couverture médiatique le mentionne, les autorités nucléaires livrent leurs mesures.

Mais le mal fut fait. La mémoire collective est créée.

Le fonde l’affaire est classique. Il en apprend beaucoup sur les mécanismes de formation de l’opinion, et des mythes qui font notre mémoire collective. Et ils enseignent beaucoup d’humilité aux consultants en communication : un dessin malheureux de présentatrice météo, une séquence de quelques minutes, qui révèle et fixe un sentiment profond de mépris du peuple par ses élites peut suffire à créer une mémoire hyper durable, un sentiment majeur et définitif, profondément difficile à déminer.


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14 Commentaires

Une nuance : le “on nous a menti” n’est pas infondé. C’est en Corse que les retombées radioactives ont été les plus fortes, et les données de radioactivité communiquées étaient noyées dans celles de la Cote d’Azur, moyennisées en quelque sorte.

Alors simple effet d’agrégation administrative de bonne foi ou tentative de noyer le poisson ? Il est tentant de pencher pour la seconde hypothèse.

Emmanuel le 31 mars 2011 à 10:03

Vous oubliez les déclarations de Carignon, alors ministre de l’environnement, minimisant le danger.

gerando le 31 mars 2011 à 10:03

Emmanuel : euh, entre la moyennisation de l’information sur la Corse et le “le nuage n’a pas passé la frontière”, il y a quand même des nuances, non ? Les autorités ont tenté de rassurer, mais ont livré les données de radioactivité de manière quotidienne.

gerando : je n’oublie rien, et ai bien dit que les ministres ont dit tout et n’importe quoi, comme Eric Besson sur Fukushima, tentant de rassurer. Sur le danger, les données étaient disponibles. Les ministres n’ont fait qu’alimenter, par leur cacophonie et leur empressement à dire que tout était sous contrôle, la peur du monstre nucléaire.

nv le 31 mars 2011 à 11:03

French policies, whether we seek to recognise it or not, are driven by a national version of “enlightened absolutism” that is unredeemably opaque. With notably rare exceptions (1986, for example), the national “enlightened absolutism” has created relatively open democracy, confidence in the Government, no conspiracy theories, and moderate arguments in politics.

MB le 31 mars 2011 à 11:03

Il y a aussi une question qui commence seulement à être expliquée au public, celle des seuils

Les régles de protection s’appuient sur l’idéee que le risque pour les personnes est proportionnel au volume de radiations reçues, règle qui a été démontrée pour les fortes doses

Pour les doses faibles (en dessous de 100 ou 200 mSV) l’impact serait nul, d’après de nombreuses études, sans qu’il y ait consensus sur la question, les anti nucléaires restant manifestement sur l’idée de la proportionnalité
Par exemple, la radioactivité naturelle varie de 1 à 40 selon les sites, et on n’a jamais pu mesurer un impact de cette différence

On le voit actuellement avec le nuage venu du Japon . Certes son niveau est assez faible, au point que les mesures classiques ne le distinguent pas, mais il y a aussi un discours sur le fait que ce n’est pas dangereux, discours en toute rigueur faux si on est dans le proportionnel (on aurait alors un impact, évidemment très très faible) mais vrai si le risque est nul à faible dose

Dans le cas du nuage de Tchernobyl, les doses reçues en france restaient dans ces faibles doses (voir le site radioactivité.com, http://www.laradioactivite.com/fr/site/pages/intro.html très bien fait, ou ma note sur le sujet http://verel.typepad.fr/verel/ )

Verel le 31 mars 2011 à 11:03

MB : plutôt juste, mais. D’une part, l’opacité est partiellement un mythe : je parlerais plus du mépris de “l’élite éclairée” et d’une culture anciennement ancrée de l’ingénieur que d’une opacité. On est loin de la transparence anglo saxonne, mais cela évolue.

Pour les effets, les conséquences sur la confiance dans le gouvernement, je me permets d’en rigoler. Nous avons des niveaux de confiance dans les élites gouvernantes particulièrement bas, en France… Même en dehors de ces grands événements.

nv le 31 mars 2011 à 11:03

Constat : on ne parlait pas des maladies de la thyroïde en France avant 1985.

Maintenant, chaque famille française se découvre une relation, généralement une femme dans ses cinquante ans, traitée pour ça.

La coïncidence est ennuyeuse.. : son omniprésence insidieuse.

Le classement sans suite par un parquet dont la subordination au politique est désormais officiellement reconnue par l’europe de l’enquête sur les conséquences de Tchernobyl n’aide pas.

Le constat désormais avoué de l’autorité de sûreté nucléaire de l’inutilité de ses inspections n’aide pas.

Le présence désormais reconnue de lobbyistes EDF au coeur du pouvoir n’aide pas

L’insistance inébranlable de toutes les majorités à continuer un programme de constructions de centrales nucléaires sans équivalent ni en europe ni ailleurs dans le monde.

Le refus publiquement affiché par la France de refus de normes nucléaires communes n’aide pas.

Les dissimulations continuelles de violations mineures et majeures aux règles de la sûreté nucléaires par Areva et la Cogema n’aident pas.

Et désormais, l’exemple japonais : même avec deux coeurs de réacteurs percés et fondus sur les bras en zone habitée, rien ne change : alors que, à horizon de deux ans, le déplacement d’un million de personnes est certainement à envisager.

Et du côté des spécialistes, toujours rien ne change : Lemmings

Zael le 31 mars 2011 à 01:03

Bonjour,
j’ai suivi les liens que vous recommandé concernant la chronologie de l’événement. Je pense qu’ils oublient une partie de l’histoire.

Une autre partie de l’histoire est décrite ici :
http://www.criirad.org/actualites/tchernobylfrancbelarus/tchernobylmisajourjuil05/atlasp7a27.pdf

Si on fait abstraction du ton polémique du document, on voit bien que les mesures publiées initialement étaient fausses (systématiquement sous-estimées)
et que le SCPRI a publié des documents montrant la France totalement protégée par un anticyclone (figure page 6 dans le pdf ci-dessus). Il ne s’agit pas seulement d’une mauvaise communication et d’une création médiatique. Quant a votre phrase sur l’Allemagne, ” Les autorités, qui n’ont pas de filière nucléaire aussi organisée qu’en France, sont dépassées” elle me parait exagéré.
L’Allemagne a quand meme 17 reacteurs nucleaires en fonctionnement, on ne peut pas dire qu’elle ignore tout du nucleaire… en plus il n’y pas besoin d’avoir une filiere nucleaire pour mesurer une augmentation de radioactivité
et prendre les mesures nécessaires

sebl le 31 mars 2011 à 02:03

De plus le parc nucléaire est très mal géré, appel à des intérimaires sans formation, pas assez de personnels qualifiés pour faire respecter les consignes de sécurité et les systèmes de controle. La maintenance est gérée avec des moyens financiers et humains très minimes.
Le livre la centrale de Elisabeth Filhol aborde ce sujet d’une façon implacable;
Le nuage radioactif qui n’est pas passé sous nos têtes risque de se transformer en un cauchemar réel et présent à tout instant dans notre pays avec nos centrales toujours ne fonctionnement et maintenu sur un fil.

Bernard le 31 mars 2011 à 02:03

Je pensais réveiller les trolls avec ce sujet polémique. Pas déçu !

Pas le temps de répondre à tout le monde (surtout à Zael et la puissance argumentaire développée), mais :

- sebl : effectivement, le ton de la CRIIRAD, comment dire… Et oui, le SCPRI a parlé de l’(anticyclone des Acores. Mais c’était un bulletin météo, un seul, à une date, et pas toute la com du SCPRI sur la période. Le metrte en valeur, c’est comme metrte en valeur cette présentatrice météo pour dire que les media ont caché et menti.

- Pour l’Allemagne, elle a une filière moins importante, moins liée aux autorités, et, précisions, un lien national à l’imaginaire du développement nucléaire moins lié à celle de l’Etat. Ce qui, je pense, explique qu’il y ait là-bas un débat plus vif sur la question, et de manière moins binaire qu’en France.

- Sur le sujet des intérimaires, oui, c’est un vrai sujet. Et j’ai lu le bouquin de Filhol, qui est aussi abordé dans d’autres pays, comme les US ou le Japon. Son tableau est néanmoins très partiel et partial, et on touche là à un autre sujet. JE vais tenter de l’aborder dans un autre billet.

nv le 31 mars 2011 à 03:03

Merci de ces infos.

Dans le concours des petites phrases mal interprétées, on a le mammouth d’Allègre ou la misère du monde de Rocard, toutes sorties de leurs contextes.

Rouget le 31 mars 2011 à 07:03

Le commentaire de Zael est typique, non de la présence insidieuse du cancer de la thyroïde mais d’une méthode insidieuse qui consiste à avancer des “faits” des “impressions” pour faire peur, en se gardant bien d’aller chercher les données facilement disponibles

Si on fait “incidence du cancer de la thyroïde” sur Google , on trouve un rapport d’un spécialiste du sujet, du service de médecine nucléaire à Villejuif
http://www.orpha.net/data/patho/Pro/fr/CancerPapillaireFolliculaireThyroide-FRfrPro905.pdf

extrait :
“L’augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde observée depuis plusieurs décennies est
liée à une augmentation du diagnostic des petits cancers papillaires, permise par l’amélioration des
pratiques. D’un point de vue médical, ces petits cancers de la thyroïde ont un excellent pronostic, et
les bénéfices de leur détection précoce ne sont pas démontrés”

je traduis : les cancers n’augmentent pas, mais on les détecte plus. Ces cancers guérissent presque tous, et il n’est pas démontré que l’effort de dépistage, celui qui fait augmenter le nombre de cancer, soit utile!

Verel le 31 mars 2011 à 09:03

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“Brigitte” : votre commentaire est par plusieurs fois inexact. Le premier est qu’Areva est un client de mon agence, ce qui est faux. Areva a été un client, et ne l’est plus depuis plus de deux ans et demi. Au total, Areva a représenté moins de 1% du CA de cette agence, dans son histoire, et c’est bien le seul lien qu’elle ait eu avec le nucléaire. Spintank a par ailleurs eu l’occasion de travailler pour des organismes engagés contre le nucléaire, ou pour les énergies renouvelables.

L’autre serait de faire croire que mon expression sur ce blog serait dictée par les intérêts de spintank, ce qui n’est pas le cas. Je m’interdis, comme c’est d’ailleurs expliqué dans l’à propos de ce blog, toute expression sur les sujets des clients de l’agence que je dirige. Si je sors de cette règle, j’en fais mention de manière claire. Et ces engagements sont publics, la liste de nos références étant visible sur notre site.

Je note néanmoins la puissance de votre réponse sur le fond.

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Areva est un client de votre agence Spintank, alors on imagine bien que cet article est peu objectif, il sert le lobby du nucléaire qui vous finance :

Clients de Spintank :

Areva

Pour le compte de l’agence W & Cie, Spintank a conçu et animé Energie recyclable ? Parlons-en ! Spintank assure la promotion de ce site auprès des sphères sociales en ligne et la veille afférente au projet.

Brigitte le 3 avril 2011 à 07:04

Vivant actuellement à Berlin je confirme que le débat sur le nucléaire est très très chaud en se moment. Tout les journaux en parle, il y a des manifs, des slogans anti-nucléaire coller un peu partout etc. Les allemands sont en général contre le nucléaire et plus pour les énergies renouvelables (solaire etc), l’incident au Japon est utilisé comme nouvelle argument dans ce débat complexe sur le nucléaire. Et les politiciens font comme toujours, ils repoussent le problèmes pour les suivant…sans jamais obtenir de solution…

Pierre le 18 avril 2011 à 10:04

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