Oh non, pas encore ! » Dans le PC scientifique de l’André-Malraux, le navire du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), un cri de déception a accueilli l’échec de la troisième tentative. Les yeux rivés sur des écrans offrant divers points de vue sur la scène, une vingtaine de roboticiens, d’archéologues, de techniciens et de marins observent, tendus, les mouvements de l’étonnante machine qui, par 90 mètres de fond, évolue sur le site de l’épave de la Lune, une frégate coulée, en rade de Toulon, en 1664, au temps de Louis XIV. Dirigé depuis la surface, le robot essaie de se frayer un chemin entre deux canons pour aller récupérer ce que Frédéric Leroy, directeur adjoint du Drassm, identifie sur les images comme étant un « pot en céramique à quatre anses ».
Deux mètres de long et 180 kg, une tête et deux yeux, deux bras à trois articulations prolongés de mains à trois doigts : l’apparence humaine est troublante, ne serait ce corps en forme de sarcophage équipé d’hélices. La machine recule, monte, pivote sur la droite de 45 degrés, se penche en avant, s’immobilise. Puis, semblant enfin se décider, tend un avant-bras et touche d’une phalange le précieux artefact. « Et maintenant, ferme-lui la main ! », ordonne aussitôt le professeur Oussama Khatib à l’étudiant chargé du pilotage. Manipulant les deux bras à retour d’effort, Brian Soe saisit l’objet par un bord, le transporte sur quelques mètres et le voit soudain… glisser entre les doigts de l’engin et retomber en virevoltant dans la vase !
Engin sous-marin à bras à retour d’effort
Pour un peu, l’équipe surexcitée dont les tests à faible profondeur avaient parfaitement fonctionné la veille en ferait une maladie, s’il n’y avait la découverte d’un mauvais réglage. Une simple erreur d’ajustement qui, une fois corrigée, lui permettra, le surlendemain, d’être plus précise et de réussir l’épreuve, du premier coup…
Evénement considérable de portée mondiale. Pour la première fois dans l’histoire de la conquête des abysses, un robot humanoïde est descendu dans des grands fonds pour y faire un travail d’archéologie sous-marine. Ce tour de force a été réalisé dans les eaux territoriales françaises, sur la Lune, l’épave-laboratoire mise par le Drassm à la disposition des roboticiens, prêts à développer de nouveaux instruments à même de faciliter l’exercice de sa mission d’administration et de valorisation du patrimoine sous-marin.
Grâce à l’aide de cette institution fondée voici un demi-siècle par André Malraux et dépendante du ministère de la culture et de la communication, et grâce au concours des chercheurs du Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm), l’équipe d’Oussama Khatib de l’université Stanford (Californie), qui bénéficiait pour ce travail du soutien de l’université des sciences et technologies du roi Abdallah d’Arabie saoudite (Kaust) et de Meka Robotics (Google), a pu tester, en conditions réelles, son prototype « Ocean One » d’engin sous-marin à bras à retour d’effort.
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