M. Le Drian : « La stratégie est aveugle sans le concours de l’histoire »

Normalement, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, aurait dû s’installer à l’Hexagone-Balard, le site où, depuis 2015, les états-majors et les services relevant de son ministère ont été regroupés, conformément à ce qui avait été décidé au moment de lancer la construction de ce nouveau complexe, dans le cadre d’un partenariat public-privé.

Mais, finalement, M. Le Drian a préféré rester à l’Hôtel de Brienne, siège du ministère de la Défense depuis maintenant 200 ans. Et cela, pour plusieurs raisons.

La première est d’ordre pratique, étant donné que ce bâtiment est situé à quelques encablures de l’Assemblée nationale, du Sénat et de l’Élysée, contrairement à l’Hexagone-Balard, qui en est éloigné de quelques kilomètres. Un argument de poids quand il faut enchaîner les conseils des ministres, les réunions avec le président de la République, participer aux débats parlementaires ou bien encore recevoir des délégations étrangères.

D’où la seconde raison : le prestige de l’Hôtel de Brienne en fait un lieu emblématique, ce qui impressionne toujours des visiteurs étrangers, dont certains sont sensibles à ce genre de choses (les ors de la République causeront toujours plus qu’un mobilier acheté chez Ikea…).

Mais lors du 200e anniversaire de l’affectation de l’Hôtel de Brienne à ceux « qui sont en charge des affaires militaires de la France », le 20 février, M. Le Drian a donné d’autres raisons.

« L’Hôtel de Brienne occupe une place à part, puisque, à la suite de dizaines de prédécesseurs, j’y travaille et j’y habite. C’est aussi le cœur politique et symbolique de ce ministère », a-t-il dit. Et, « peut-être, parce que face aux sujets graves, et parfois tragiques, de la Défense, son patrimoine m’a toujours donné l’occasion heureuse de me ressourcer, de suspendre, pour un temps, fût-il minime, le flot des informations à traiter et des décisions à prendre », a-t-il continué.

« Ensuite, a ajouté M. Le Drian, parce que ne pas perdre de vue ce patrimoine, c’est vouloir inscrire l’action politique dans l’épaisseur du temps historique, dont se nourrit l’Etat, et singulièrement la Défense. »

Cela étant, qu’en sera-t-il quand M. Le Drian quittera ses fonctions en mai prochain? Son successeur rejoindra-t-il l’Hexagone-Balard ou bien restera-t-il sensible à l’histoire de l’Hôtel de Brienne, qui accueillit Georges Clemenceau durant la Première Guerre Mondiale ainsi que le général Charles de Gaulle en 1944?

En tout cas, pour Jean-Yves Le Drian, il n’est pas question de voir ce site être traité comme le fut l’Hôtel de la Marine, qui, après maints rebondissements, est désormais entre les mains du Centre des monuments nationaux (CMN), lequel en fera un lieu dédié au « patrimoine gastronomique français, classé au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. »

En effet, il faut « défendre Brienne contre la tentation de l’abandon. Cet air du temps, de légèreté voire de désinvolture, de désorientation à l’égard des repères majeurs de notre passé, nous ne voulons pas y céder », a lancé le ministre. Car, a-t-il continué, « pour continuer de s’écrire, l’histoire de notre institution a plus que jamais besoin d’un lieu qui la reflète. Lieu de pouvoir, l’architecture de Brienne, la beauté de ses décors est un instrument de sens et de puissance. »

« Soyons lucides, cette considération pour le lien indissociable entre la Défense et Brienne n’est pas partagée par tout le monde », a estimé M. Le Drian, avant d’évoquer le lancement de l’association « Les Amis de Brienne » qui, présidée par Jean-Noël Jeanneney (avec Cédric Lewandowski, le « dircab » du ministre dans son conseil d’administration) a pour objet de « de faire connaître » le site et de « contribuer à la conservation et à la valorisation de ses salons et collections. »

Toujours à propos de l’Hôtel de Brienne, M. Le Drian a annoncé l’ouverture prochaine au public « d’un des hauts-lieux de la dissuasion nucléaire française », à savoir le « poste de commandement Jupiter du ministre de la Défense. »

Plus généralement, M. Le Drian a insisté sur la politique culturelle du ministère de la Défense. Un aspect essentiel, selon lui, car « tout projet politique doit se traduire par une ambition culturelle » et « la stratégie est aveugle sans le concours de l’histoire. »

Ainsi, il a rappelé avoir « impulsé des plans de rénovation » du Musée de l’Armée aux Invalides » (le 5e plus fréquenté de France) et de ceux de l’Air et de l’Espace (Bourget) et de la Marine (Palais de Chaillot). En outre, une « Mission Cinéma » a récemment été créée au sein du ministère et l’ECPAD a le projet « d’un travail sur les nouvelles écritures audiovisuelles, qu’elles soient de fiction ou documentaire. »

Pour rappel, le ministère de la Défense est le deuxième opérateur culturel de l’État avec ses 140 monuments historiques, ses 400 km d’archives, 5 millions de photographies, 26.000 films et ses 400.000 objets de collection.

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