Hollande : comment gérer l’après Merkozy ? edit

20 juin 2012

Avant même son élection, François Hollande a changé les termes du débat sur la crise de la zone euro. En remettant en cause les politiques d’austérité prônées par Merkozy, il tirait les conclusions d’un échec qui devenait tous les jours plus évident. Les difficultés commencent maintenant, sur les questions internes bien sûr, mais aussi sur la question européenne. Parce que la crise s’aggrave jour après jour, Hollande n’a pas le loisir de choisir son tempo. Il doit maintenant articuler un contre-projet susceptible de remettre l’Europe dans le bon sens, enfin, après deux années catastrophiques.

La difficulté est immense, pour des raisons économiques et politiques. Depuis des lustres, la France a mauvaise réputation en Europe. Ce qui chez nous s’appelle l’exception française est ailleurs l’objet de moqueries. Parlez de la France et on vous répond grèves incessantes, les 35 heures, chômeurs professionnels qui reçoivent des primes de Noël, administration pléthorique et bien d’autres gentillesses aussi cruelles qu’imparables. Déjà Hollande a acquis une petite réputation franchouillarde avec l’abaissement de l’âge de la retraite, le coup de pouce au SMIC et la tranche d’impôt à 75%. S’il veut convaincre, il va devoir faire sa petite révolution culturelle.

La situation est non seulement extraordinairement dangereuse, mais les marges de manœuvre sont étroites et les solutions exigent beaucoup de courage. L’austérité avait le défaut essentiel de plonger des pays mal en point dans la récession. De ce fait, les budgets ne peuvent pas s’améliorer, la dette publique continue à augmenter et la situation des banques se détériore. Retrouver la croissance est une condition nécessaire pour arrêter la crise. Mais comment faire repartir toutes ces économies en panne ? La Grèce, le Portugal et bientôt l’Espagne ne peuvent plus emprunter sur les marchés financiers. Ces pays ont besoin d’être aidés ne serait-ce que pour combler les déficits publics qu’ils ne parviennent pas à colmater. L’Italie s’achemine inéluctablement vers la même situation. Le prochain pays pourrait bien être la France. Pour tous ces pays et bien d’autres, toute politique de relance budgétaire est soit impossible, soit une invitation au déclenchement d’une crise. Pour compléter le tableau, avec des taux d’intérêt proches de zéro, les marges de manœuvre de la politique monétaire sont pratiquement épuisées.

Àpartir de là, les solutions sont difficiles à envisager. Certaines idées avancées par, ou attribuées à François Hollande rentrent dans la catégorie « augmentation de l’endettement ». Il en va ainsi de projets de subventionner les investissement privés ou d’accroître les investissements publics, toujours qualifiés de productifs. Plus imaginatives sont les idées de substituer des emprunts collectifs aux emprunts nationaux. Les diverses propositions d’euro-obligations (eurobonds) visent à créer des dettes d’un nouveau genre, dont la vertu essentielle de ne pas être des dettes nationales. Garanties conjointement par tous les États de la zone euro, ces dettes seraient un moyen de contourner l’ostracisme dont sont victimes de la part des marchés les pays fortement endettés, qui pourraient alors entreprendre des relances budgétaires. Mais les marchés savent lire entre les lignes et ils n’achèteront ces bons que parce qu’ils incluent la signature allemande. Autrement dit, cette idée repose entièrement sur l’accord de l’Allemagne de se porter garante des autres pays membres de la zone euro. Par exemple, une émission d’euro-obligations destinées à financer le budget grec serait automatiquement garantie par l’Allemagne. Sans surprise, l’Allemagne n’est pas du tout favorable à ce stratagème qui fait partie des propositions de Hollande. De manière tout à fait logique, l’Allemagne indique que les euro-obligations existeront le jour où l’Europe – donc l’Allemagne – aura un droit de regard sur les politiques budgétaires nationales. Cela exige un profond transfert de souveraineté que refusent tous les parlements nationaux dont la raison d’être est le contrôle exclusif des finances publiques. Euro-obligations contre union budgétaire, l’impasse est totale.

C’est sans doute la raison pour laquelle Hollande semble aussi intéressé par diverses solutions d’euro-obligations au rabais. L’une d’entre elles consiste à augmenter – on parle d’un doublement – les capacités d’emprunt de le la Banque Européenne d’Investissements de manière à financer des projets (productifs, bien sûr). L’autre solution est de faire les fonds de tiroir de la Commission pour y trouver de quoi financer des dépenses dites structurelles (et tout autant productives). Les montants en jeu sont trop limités, de l’ordre d’un demi pourcent du PIB européen, pour avoir un effet significatif, d’autant qu’ils devront obéir aux règles de saupoudrage inhérentes à ces institutions. En fait, ces deux idées ont été initialement imaginées par les Allemands, très manifestement comme un appât pour le président français, de quoi lui permettre de déclarer victoire sur un glorieux pacte de croissance. L’autre idée, qui pourrait n’être à l’arrivée que la combinaison des deux précédentes, consiste à émettre un montant limité de « project bonds », en fait des euro-obligations pour financer des projets d’investissement. Toutes ces idées ont le mérite d’être clairement délimitées et donc de ne pas ouvrir la voie à des garanties allemandes un tant soit peu substantielles. Évidemment, l’impact macroéconomique de ces mesures serait négligeable.

Sur le plan politique, pour isoler Merkel, Hollande a besoin d’alliés. Les alliés potentiels sont les Européens du Sud qui n’ont aucune  capacité d’emprunt autonome et cherchent désespérément à promouvoir les euro-obligations sous une forme ou une autre. Mais les Européens du Nord ont mis les barbelés face à de nouvelles dettes qu’ils jugent suicidaires. Il est parfaitement illusoire de croire que ces manœuvres produiront plus que des gestes symboliques qui ont la réputation de satisfaire les Français.

De toute façon, aucune de ces idées n’est de nature à arrêter la crise. Il ne peut y avoir de relance budgétaire, sauf en Allemagne. Mais l’Allemagne est en plein emploi et commence à subir des pressions inflationnistes. Il est donc exclu qu’elle accepte de jouer le rôle de locomotive. Il faudra donc faire autrement, et les options sont particulièrement pénibles.

Sans relance, il est difficile d’imaginer un retour de la croissance. Dans ces conditions, les déficits vont perdurer, les dettes vont augmenter, les banques vont subir de plus en plus de retard de paiements sur les prêts qu’elles ont consentis. Le film des deux dernières années va donc continuer à se dérouler inexorablement. Comment mettre un terme à cette descente aux enfers ? Si Hollande veut prendre des initiatives utiles, il doit d’abord comprendre que Merkel ne bougera que forcée par les événements. Elle a commencé en 2010 par exclure tout appel au FMI, toute opération de sauvetage et toute intervention de la BCE. Sur tous ces points, elle a reculé lorsque la situation était devenue intenable. Elle bougera donc encore, au dernier moment, pour éviter un éclatement de la zone euro.

Hollande doit aussi comprendre qu’il est essentiel de cesser de réagir, trop peu et trop tard, aux paniques destructrices des marchés financiers. Loin d’être son meilleur ennemi, le monde de la finance a  compris depuis longtemps qu’il n’y aura pas sortie de crise sans croissance durable. Toutes les propositions de réformes structurelles développées par l’Allemagne et la Commission sont des promesses de croissance, mais à long terme, dans une dizaine d’année. D’ici là, il faut sauver l’euro. Face à une situation totalement bloquée et parfaitement désespérée, il faut envisager des mesures extraordinaires, qui sont inévitables, même si elles sont aujourd’hui politiquement inacceptables. Hollande a une chance de changer la situation.

La première mesure consiste à restructurer les dettes publiques des pays qui ne peuvent plus emprunter. La Grèce, le Portugal, l’Italie et bientôt l’Espagne, ont des dettes publiques trop élevées pour pouvoir à nouveau croître durablement. Une restructuration de ces dettes est donc absolument nécessaire. Techniquement, une restructuration peut prendre différentes formes, mais l’essentiel est de créer une situation qui permette à ces pays d’emprunter à nouveau pour faire de la relance. Par exemple, un moratoire de cinq ans sur la charge de la dette soulage immédiatement le budget. Ou bien une absorption par la BCE d’une partie de ces dettes, sans que ce ne soit une source d’inflation dans les circonstances contractionnistes actuelles. Une combinaison de restructuration et de monétisation par la BCE serait habile. Ces mesures sont aujourd’hui perçues en Allemagne comme parfaitement diaboliques mais les marchés les ont anticipées : c’est la raison pour laquelle les taux d’intérêt sur les dettes des pays en crise sont si élevés. À Hollande de faire preuve de pédagogie et de proposer une solution qui, pour la première fois, serait en avance sur les anticipations de marché.

La seconde mesure découle de la première. Des restructurations de dettes publiques auront un effet destructif sur les banques, qui ont absorbé une partie importante de ces dettes. Il faudra donc sauver ces banques et le coût sera élevé. Comme les pays en cause n’auront pas les moyens de le faire, le renflouement devra être collectif. Il faudra donc créer une structure européenne de défaisance. Mais cette structure ne peut pas voir le jour tant que les banques sont supervisées au niveau national. La structure européenne doit en effet avoir accès aux comptes des banques et l’autorité d’intervenir en urgence. Pour des raisons protectionnistes, la plupart des pays, dont l’Allemagne et la France, ont toujours refusé de céder leurs droits à superviser leurs banques. Cette bataille d’arrière-garde doit maintenant être abandonnée. D’ailleurs le débat a déjà démarré sous le nom d’union bancaire et la Commission a même commencé à faire des propositions. Les idées qui circulent restent très en-deçà de ce qui est nécessaire. À Hollande de faire preuve de vision à long terme.