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Liban - Parcours

(Re)mettre ses pas dans ceux du Don Quichotte au cigare...

Itinéraire d’un enfant surdoué de l’architecture : Assem Salam, objet et sujet d’une expo-rétrospective.

La sauvegarde du patrimoine était devenue le sacerdoce quotidien de Assem Salam.

Il est parfois des trajectoires écrites depuis toujours. Depuis la nuit des temps, étoilées comme jamais. Il est parfois des histoires de création(s) qui ont ceci d’extraordinaire, c’est qu’elles ne sont pas seulement focalisées sur le beau et/ou l’efficace, mais sur des valeurs fondatrices et fondamentales : le partage et la guerre – la guerre contre le laid et l’irréfléchi... C’est exactement cela, Assem Salam.
D’abord l’Université de Cambridge. Puis son propre cabinet d’architecture qu’il a lancé en 1952. Ensuite, l’aventure de l’Université américaine de Beyrouth: il participe avec Raymond Ghosn à la création du département d’architecture en 1954 et il y partage, justement, son immense culture, sa flamboyante liberté d’esprit et son enthousiasme avec de nombreux étudiants comme Jaafar Tukan, Antoine Maamari, Jad Tabet, Kamal Homsi, Pierre Basil, Nabil Azar, Simone Kosremelli, Assoman Tourba, Omar Salhab, Mutaz Sawaf, Sany Jamal, Saïd Jazairi, Mohammad Saïdi, etc. Jusqu’en 1977. Tout au long de sa carrière, son dynamisme, son sens inné de l’organisation et sa défense viscérale de la profession l’ont posé partout: membre du Conseil supérieur du plan entre 1961 et 1977; membre du Conseil supérieur de l’aménagement urbain entre 1964 et 1986, et du Conseil du développement et de la reconstruction entre 1977 et 1983; président de l’ordre des ingénieurs et des architectes entre 1995 et 1999 ; président du Conseil des architectes arabes et de l’Association pour la sauvegarde des anciennes demeures (Apsad) qu’il avait cofondée au début des années soixante avec lady Yvonne Cochrane et Camille Aboussouan.
Jusqu’au bout, Assem Salam militera pour le patrimoine architectural et urbain. Avec son franc-parler légendaire, il cinglera les responsables de mises en garde contre un laxisme qui peut mener au chaos et à la perte de la mémoire nationale. «Malheureusement, nous n’avons pas réussi», dira-t-il en tirant de savantes volutes de son cigare qui, du plus loin qu’on se souvienne, le prolonge et l’inspire...

Jalons...
Dans le cadre d’un hommage qui lui a été rendu par l’ordre des ingénieurs et architectes à l’Unesco, une exposition de croquis, de dessins, plans et coupes d’architecture et de photos de ses projets dévoile sa contribution au paysage architectural du Liban. Dès 1953, l’ex-étudiant de Cambridge installe une esthétique moderne, avec notamment l’immeuble iconique de la PanAm (avenue de l’AIB), la résidence Moussallem à Sin el-Fil en 1954 et la villa Camille Chamoun à Saadiyate en 1955. En 1956, il a conçu l’École des sourds- muets-aveugles de Baabda. En 1958, le siège de la banque Intra à l’intersection des rues Riad el-Solh et Abdel-Hamid Karamé. En 1962, il a cosigné avec Pierre Khoury le pavillon libanais à la Foire internationale de New York. En 1963, le gouvernement lui confie la construction du ministère de l’Information et, en 1964, le sérail de Saïda, un édifice moderne «qui montre l’incorporation d’éléments traditionnels». Il signe également les dortoirs de la Broummana High School en 1965 et, en 1968, il dessine la mosquée Khashoggi – laquelle, pour ses «affinités avec les articulations géométriques de Louis Kahn», a été considérée comme «un jalon dans l’architecture islamique contemporaine». On lui doit aussi les bureaux et les hangars de la MEA et de la TMA en 1970, et le réaménagement du siège de la présidence du Conseil à Sanayeh, auquel il ajoutera l’aile nord et la cour intérieure. Parmi ses autres réalisations figurent également la municipalité de Chiyah en 1972, le pavillon du Golf Club en 1993, la résidence de Walid Joumblatt à Clemenceau, la résidence de Youssef Richani à Choueifat, la restauration du palais de Moukhtara et celle de Dar Takieddine à Baakline.
La valorisation des vieilles pierres libanaises n’est pas qu’une banale nostalgie pour Assem Salam. C’est un «style de vie», «une architecture belle et élégante, qui s’inscrit dans une continuité avec l’histoire et la croissance de la ville». Couvrant une grande partie du XIXe siècle jusqu’à la période du mandat, elle représente une richesse incomparable «qui a marqué le caractère et la mémoire de la capitale et qui mérite d’être préservée», répétait-il, rappelant que tout au long de sa carrière, il s’était donné pour mission de respecter les particularités de chaque espace et de concilier le développement de la ville moderne et le cadre hérité du passé.
Une trêve. Mais une trêve de courte durée. Car Beyrouth va changer. Changer vite. Aucune ville au monde n’échappe à cette nécessité de répondre à de nouveaux besoins. Mais l’évolution, la transformation «ne se sont pas opérées dans les bonnes conditions». La haute densité et l’occupation du sol sont devenues un fléau peut-être incontrôlable, sûrement incontrôlé. Et les mots de Assem Salam giflaient: «Cette croissance accélérée, faite en l’absence de toute planification et d’outils réglementaires permettant de contrôler les constructions illicites et le développement anarchique, a été agressive et inhumaine.»

« Ugly city »
Dès lors, englouti dans une spirale irrépressible, ce défenseur du patrimoine va fondre sur la société Solidere et ses destructions massives du
centre-ville comme un aigle sur sa proie. Il sera sur tous les fronts: menant une campagne coriace pour les ayants-droit; tirant la sonnette d’alarme devant l’ampleur du chaos urbain et la fièvre de la construction décuplée par la spéculation, et lançant une croisade pour l’élaboration d’une stratégie urbaine, la préservation des quartiers historiques et de leurs zones limitrophes, le recyclage des bâtiments anciens et la création d’espaces publics.
Sur petit écran, sur les ondes, ou encore dans la presse, il n’avait pas son pareil pour se saisir d’un problème, le souligner, le surligner et l’interroger avec perspicacité, repartant sans cesse à la charge pour dénoncer les responsables et les pousser à définir des mesures juridiques permettant aux décideurs d’exercer une autorité réelle pour stopper l’érosion du patrimoine ou toute sorte de dégradation de l’environnement. Exprimant librement ses pensées, ne mâchant ni ses mots ni ses critiques au vitriol, il fustige l’effroyable incurie de la classe politique et ses inepties, et fait face à une réalité désastreuse en déclarant à la BBC: «Beyrouth is an ugly city!». Une ville qui n’est rien d’autre que le reflet de notre groupe social.
Aujourd’hui, Assem Salam est parti. Le Beyrouth du chaos est resté en l’état. Et les défenseurs du patrimoine n’en ont pas fini avec les vagues.

 

Pour mémoire:

Beyrouth : Permis de détruire, encore et encore...


Les grandes dates de l’histoire architecturale du Liban, par Gebran Yacoub

  

Assem Salam... sur un air de requiem

Il est parfois des trajectoires écrites depuis toujours. Depuis la nuit des temps, étoilées comme jamais. Il est parfois des histoires de création(s) qui ont ceci d’extraordinaire, c’est qu’elles ne sont pas seulement focalisées sur le beau et/ou l’efficace, mais sur des valeurs fondatrices et fondamentales : le partage et la guerre – la guerre contre le laid et...

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