En préambule à votre livre (1), vous affirmez que « l’énergie est de retour à l’agenda politique », mais on a plutôt le sentiment de n’entendre parler que de nucléaire…
C’est vrai que, dans le débat actuel, le nucléaire tend à occulter la discussion sur les autres énergies. Parce que la problématique a été bouleversée par Fukushima. Mais derrière la question de la place du nucléaire, c’est bien de celle des autres énergies dont on parle.
La communication sur le rapport de la commission Energies 2050, dont vous avez été l’un des experts, a elle aussi mis de côté ces autres énergies…
Absolument, et je le regrette. Mais le rapport lui-même est un excellent travail qui passe en revue des scénarios où la part du nucléaire va de 0 à 70% de la production d’électricité. Et c’est la première fois en France qu’on fait cela.
Votre livre dessine les contours d’une « nouvelle frontière énergétique » : quelle est-elle ?
Elle laisse davantage de place à des systèmes énergétiques décentralisés, reposant sur des initiatives locales. Alors que notre système historique se conforme à l’organisation colberto-jacobine du pays : l’Etat et nos grandes entreprises publiques décident pour tout le monde ce qu’il faut faire.
Les collectivités, de même que les entreprises locales, ont un rôle majeur à jouer dans une nouvelle organisation. Les territoires offrent un gisement prodigieux de ressources, d’innovations. Il y a dans ce projet la notion de « participatif » que véhicule une association comme Energy cities. L’éolien participatif, le solaire participatif. Et, j’espère, le gaz de schiste participatif…
Mais comment envisager cela alors que la plupart des collectivités concernées sont opposées à l’exploitation du gaz de schiste ?
Parce que du gaz de schiste « participatif », ça change tout. Cela veut dire une population qui y adhère car elle en bénéficie directement, à travers la création d’emplois et de richesses. Aux Etats-Unis (où l’exploitation du gaz de schiste, que l’on compare à la ruée vers l’or, a transformé la situation énergétique du pays, ndlr), le sous-sol appartient au propriétaire du sol, donc quand vous avez un gisement dans votre propriété, vous en récoltez les fruits.
En France, le sous-sol appartient à l’Etat. Ainsi, si la puissance publique vous oblige à ce qu’un puits soit foré dans votre jardin, vous n’en touchez pas les résultats. Une modification du code minier peut changer la donne, et c’est un sujet qui va rebondir après les élections…
Cela ne revient-il pas à « acheter » la population ?
Votre formulation est un peu agressive… On peut aussi voir cela comme une manière de faire profiter les populations locales d’une ressource locale. Je trouve qu’au pays de Descartes, il est incroyable d’avoir pris une décision d’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste avant même d’avoir fait ce que la rationalité dicte : se demander si l’on a réellement du gaz, à quelles conditions et à quel coût on peut le développer et quelles précautions il faut alors prendre. Ensuite seulement, on prend la décision de développer, ou pas, et si oui, sous quelles conditions.
Vous voulez « refonder le débat public en amont des décisions énergétiques », tout en évoquant le risque de réactions de type Not in my back yard (2) lorsqu’il s’agit, par exemple, de l’implantation d’une ligne à haute tension. N’y a-t-il pas là une contradiction à encourager un débat tout en disant qu’il est susceptible de bloquer des projets ?
Le cas de la liaison France-Espagne est à cet égard intéressant. Voilà une affaire qui a duré vingt ans et a été résolue par l’intervention d’un facilitateur, Mario Monti. Il a beaucoup discuté avec les collectivités locales et les défenseurs de l’environnement. Et la ligne va finalement pouvoir se construire, moyennant certains passages en souterrain qui, certes, coûtent plus cher, mais permettent de satisfaire les opposants.
Cet épisode me renforce d’ailleurs dans l’idée de promouvoir la décentralisation énergétique. Car, si au lieu d’importer massivement de l’éolien produit dans le Nord pour le consommer dans le Sud, comme on le voit en Allemagne, donc de devoir transporter cette électricité, on développait les ressources locales – biomasse, éolien, solaire, géothermie, hydraulique, etc. – en les combinant, on raccourcirait les circuits en produisant l’énergie là où on en a besoin.
Mais il y aurait encore aussi la possibilité d’oppositions locales, non ?
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a réalisé une étude intitulée « Cities, Towns & Renewable Energy », dont le sous-titre est l’inverse de Not in my back yard : Yes in my front yard (oui devant chez moi, ndlr) ! Je pense qu’on peut obtenir l’adhésion des populations en remobilisant les énergies humaines vers des modèles différents.
Hormis sur le nucléaire, quelle est la différence entre votre projet, qui fait de la demande un « axe prioritaire » en qualifiant l’efficacité énergétique de « défi », et le manifeste négaWatt ?
Ce qu’on critique dans le scénario négaWatt, c’est qu’il suppose un changement de comportement et de philosophie des individus qui nous paraît relever de l’utopie. Par ailleurs, la sortie du nucléaire qu’il préconise serait extraordinairement coûteuse. Arrêter une centrale qui respecte les standards de sécurité, c’est de la destruction de valeur.
Il faut commencer par réduire notre dépendance aux combustibles fossiles, par exemple en modifiant les systèmes de mobilité afin de moins dépendre de la voiture, etc.
Et les villes sont en première ligne. Des centaines d’entre elles, dans toute l’Europe, se sont engagées à atteindre et même dépasser les fameux objectifs trois fois 20 pour 2020 de l’Union européenne (20% d’émissions de gaz à effet de serre en moins par rapport à 1990, 20% d’énergies renouvelables et 20% d’économies d’énergie, le tout, d’ici 2020, ndlr). Et ça, c’est bien une nouvelle frontière.
Cet article fait partie du Dossier
Le nucléaire français en questions
Sommaire du dossier
- Le nucléaire français en questions
- La commission Energies 2050 fait pschitt !
- Un parc jeune et néanmoins sur la sellette
- Le risque nucléaire : une affaire d’Etat, pas celle des collectivités ?
- Centrales nucléaires : les collectivités face à la prévention des risques
- Fessenheim : tout est possible ! – Décryptage de l’avis de l’ASN
- Jean-Marie Chevalier : « Les territoires offrent un gisement prodigieux de ressources énergétiques »
- L’échelon communal pas pertinent pour choisir un site de stockage de déchets radioactifs
- Jacques Maugein (Association nationale des CLI) : « Ce que dit M. Fillon me paraît ridicule »
- Nucléaire : 2 spécialistes analysent la réserve des collectivités
- Jean-Marc Jancovici : « Climat : mettre en place une économie de guerre »
- Nucléaire : les tours de passe-passe du gouvernement
Thèmes abordés
Notes
Note 01 L’avenir énergétique : cartes sur table ; Jean-Marie Chevalier, Michel Derdevet et Patrice Geoffron ; collection Folio Actuel, Editions Gallimard. Retour au texte
Note 02 pas dans mon jardin, ndlr Retour au texte