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Google et le Qatar menacent l'avenir du cinéma français

Aux pouvoirs publics d'agir pour adapter nos principe de régulation et noter cadre juridique.

Publié le 06 mars 2012 à 14h19, modifié le 14 mars 2012 à 22h02 Temps de Lecture 4 min.

Le Groupe Canal+ publie ses résultats annuels, affichant un chiffre d'affaires en croissance pour la neuvième année consécutive, malgré une crise économique persistante et un environnement très concurrentiel.

Mais la bonne santé du Groupe Canal+ dépasse les seuls intérêts de ses clients, de ses collaborateurs ou de son actionnaire : il est la clé de voûte d'un système vertueux de financement de la création cinématographique et audiovisuelle et le premier partenaire du sport en France. Chaque année, le groupe investit 600 millions d'euros dans la filière audiovisuelle française. Il est le premier soutien du cinéma, présent dans les deux tiers des films produits chaque année, dont une quarantaine de premiers films. Le Groupe Canal+, c'est aussi 550 millions d'euros investis dans une trentaine de disciplines sportives. Pour pérenniser cette politique, le groupe a dû s'adapter à un environnement en mutation. Ainsi, la fusion avec le Groupe TPS en 2006 a permis d'éviter que les deux acteurs ne s'épuisent dans une surenchère dangereuse sur les droits du football et du cinéma, sans empêcher les nouveaux acteurs de prendre leur place sur les marchés de l'audiovisuel.

Mais notre industrie fait face à des défis sans commune mesure avec ce que nous avons connu ces dernières années et qui pourraient remettre en cause les équilibres grâce auxquels notre secteur s'est développé. Jusqu'à présent, les groupes médias français se livraient une concurrence vive, mais avec des règles du jeu qui étaient les mêmes pour tous : un cadre réglementaire et fiscal unique, qui vise à soutenir la création ; une logique économique commune, qui impose d'équilibrer ses coûts et ses recettes.

Or les nouvelles formes de concurrence qui se dessinent ont tendance à s'affranchir de ces règles. Nous voyons apparaître de nouvelles offres dont le mode de distribution échappe à toute contrainte réglementaire ou fiscale. Je pense en particulier aux grands acteurs mondiaux d'Internet, qui profitent de l'arrivée des téléviseurs connectés pour proposer des offres standardisées. Et ils ne se contentent plus de proposer des services de vidéo à la demande : YouTube a annoncé la création de vingt chaînes de télévision !

Qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est pas au nom de la liberté d'Internet qu'ils cherchent à s'exonérer de ces contraintes, mais bien pour des raisons économiques. Pourquoi Apple a-t-il installé le siège d'iTunes Europe au Luxembourg ? Pourquoi Google a-t-il choisi l'Irlande pour développer son activité en Europe ? Pour bénéficier de régimes fiscaux favorables. Pour alléger leurs obligations. C'est ainsi que, pour la première fois en France, une partie notable du chiffre d'affaires lié à la diffusion de contenus audiovisuels ne contribue pas à la production de nouveaux contenus : ces sociétés ne sont pas soumises aux taxes et obligations qui incombent aux acteurs français, au premier rang desquels le Groupe Canal+, pour soutenir la filière audiovisuelle française.

Nous voyons aussi apparaître une autre forme de concurrence tout aussi déstabilisante : celle d'un Etat aux ressources illimitées, le Qatar, qui a décidé d'investir dans le football européen et français, en rachetant clubs, joueurs et droits de diffusion des matches en pratiquant une politique de surenchère, avec des logiques de rentabilité différentes. Les conséquences vont très vite se faire sentir. A court terme, cette escalade peut entraîner une disparition progressive du sport sur les chaînes gratuites qui ne pourront plus faire face à des prix devenus inaccessibles. Dans le même temps, les chaînes payantes qui veulent continuer à diffuser du sport devront faire des arbitrages au détriment d'autres contenus, comme le cinéma ou la fiction.

Le risque est de voir notre production nationale perdre du terrain au profit de programmes formatés pour un marché mondial. Il est urgent, dans ce contexte, de rappeler un principe essentiel : l'application des règles de concurrence doit tenir compte de la spécificité des industries culturelles, qui contribuent au maintien et au rayonnement de la création dans notre pays. C'est cela l'exception culturelle : l'intérêt général nous impose d'avoir une vision plus large que le seul point de vue concurrentiel.

Depuis trente ans, la France a bâti un écosystème unique qui permet à son industrie audiovisuelle et cinématographique de se développer avec succès, à l'image des chiffres record de fréquentation des salles de cinéma et des nombreuses récompenses recueillies par nos films et fictions à l'étranger. Le Groupe Canal+ est fier d'être l'un des moteurs de ce système et il est de mes ambitions, et de ma responsabilité, de poursuivre dans cette voie en développant nos activités. De leur côté, il appartient aux autorités et aux pouvoirs publics de définir des règles qui s'appliquent à tous les acteurs du marché. Gardons-nous de nouvelles régulations qui entraveraient le développement des acteurs nationaux quand les grands groupes mondiaux peuvent agir sur nos marchés sans la contrainte de nos règles.

Dans un pays où les intérêts économiques et culturels sont très liés, la vitalité des acteurs média est capitale. Face à l'évolution du contexte, les pouvoirs publics doivent faire preuve d'imagination pour adapter nos principes de régulation et notre cadre juridique, dans un esprit réaliste et pragmatique, tandis que les entreprises du secteur doivent aborder les nouveaux défis qui se présentent à eux dans un esprit créatif et offensif.

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