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Le chef des islamistes est de retour à Tunis

Rached Ghannouchi, le chef du mouvement islamiste tunisien Ennahda (au centre), salue la foule venu l'accueillir dimanche à l'aéroport de Tunis-Carthage. FETHI BELAID/AFP

REPORTAGE - Notre reporter accompagnait Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahda, qui rentrait d'un exil de vingt-trois ans à Londres.

Envoyé spécial À Londres et Tunis

Rached Ghannouchi rentre chez lui, après vingt-trois ans d'exil. Dans le Boeing de British Airways, le leader islamiste à la barbe blanche, âgé de 70 ans, dit adieu à la Grande-Bretagne, où il avait obtenu l'asile politique. Le fondateur du parti Ennahda («la renaissance»), interdit par Ben Ali, contemple son passeport vert tout neuf, obtenu en quelques minutes à l'ambassade tunisienne de Londres. «On m'a même offert le café. C'était intéressant de découvrir l'intérieur d'un bâtiment devant lequel j'ai manifesté pendant tant d'années…» Une pointe d'humour britannique prononcée en arabe et traduite par Soumeya, l'une de ses filles, docteur en philosophie coiffée du hidjab, le voile islamiste. «Oui, continue Ghannouchi, j'ai été surpris par l'ampleur et la rapidité du changement.» Mais pas par le changement lui-même, qu'il avait « prévu ».

La fête dans l'avion

Sa femme, trois de ses quatre filles et ses deux fils l'accompagnent, ainsi que deux douzaines de militants, hommes portant la barbe courte et femmes en hidjab. L'ambiance hésite entre la fête et le recueillement. On s'embrasse, on sort de leur enveloppe les drapeaux tunisiens commandés sur Internet.

Tous sont membres d'Ennahda. La plupart viennent pour toucher le sol de la patrie et embrasser leur famille. Ils comptent revenir en Grande-Bretagne, comme Mansour, chauffeur de taxi. «Mes enfants vont à l'université anglaise. Je dois rester avec eux jusqu'à ce qu'ils aient terminé leurs études.»

Rached Ghannouchi, pour sa part, a bien l'intention de s'installer. Les jeunes révoltés tunisiens attendent-ils le retour de cet exilé au long cours ? Quelle place occupera le parti islamiste dans des élections ouvertes ? Rached Gannouchi se dit prêt à affronter une situation inédite. «Les dirigeants d'Ennhada en Tunisie, sortis de la clandestinité, ont préparé le dossier de demande d'enregistrement de notre parti ; il sera soumis aux autorités lundi ou mardi.»

Ghannouchi a cependant déjà exclu de se présenter lui-même à la présidentielle, et il ne prévoit pas la candidature d'un autre membre d'Ennahda. «Nous soutiendrons celui qui nous paraîtra le mieux à même de diriger la Tunisie dans ce moment exceptionnel de son histoire.» Le mouvement présentera «peut-être » des candidats aux prochaines législatives, ajoute-t-il. Ennahda, un parti «normal» ? Rached Ghannouchi a jadis exprimé son intérêt pour les régimes du Soudan ou de l'Iran, tout en les qualifiant d'«expériences» et non de modèles. Est-il prêt à intégrer dans son propre pays un éventuel système politique démocratique ? «Nous allons former un parti politique comme tous les autres», assure le vieux dirigeant, qui se réfère aujourd'hui à la formation islamiste élue en Turquie, l'AKP. «C'est d'eux que nous nous sentons le plus proche intellectuellement.» Les destins de la Tunisie et de la Turquie sont similaires, explique-t-il. «Ces deux pays ont été soumis à une laïcité imposée, une laïcité qui n'était pas neutre, mais qui cherchait à exclure une partie de la population. Les mouvements nés en Tunisie et en Turquie dans les années 1980 ont cherché à réconcilier l'islam et la modernité.»

Hommes barbus et femmes voilées

Chez les islamistes arabes, cependant, un élément identitaire, l'arabité, vient se mêler aux constructions idéologiques et inquiète les démocrates laïques. Comment trouver l'équilibre entre arabité, islam et démocratie ? «Nous ne faisons pas de l'arabité un dogme ni une idéologie. C'est simplement une composante de l'identité tunisienne. Nous nous sommes par ailleurs engagés publiquement en faveur de la liberté, de la démocratie et de l'égalité de tous, y compris l'égalité entre hommes et femmes.»

L'avion touche le sol. À peine débarqué, Rached Ghannouchi embrasse le tarmac. Dès sa sortie de la zone internationale, il lance un vibrant «Allaho Akbar» (Dieu est le plus grand) répété en boucle par les quelques milliers de personnes qui l'attendent, hommes barbus et femmes voilées. Un homme pleure. Kamel Benromdhan, ingénieur membre d'Ennahda, a passé douze ans en prison. «Les islamistes sont une des composantes de la société tunisienne. Nous ne voulons pas imposer la charia, nous voulons seulement que notre identité islamique soit respectée.» Après le départ de Ghannouchi, des débats s'improvisent entre ses opposants, qui craignent de se voir imposer la charia, et ses partisans qui cherchent à les convaincre que le dirigeant est en faveur de la pluralité politique.

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396 commentaires
  • Paco92

    le

    "nous voulons seulement que notre identité islamique soit respectée", rien que cette phrase est le signe qu'il faut avoir peur. Alors qu'en France, toutes les associations politiques soit disant antiracistes n'ont pas arrêtées de crier à l'incitation à au racisme dés que le gouvernement Français osait parlé d'identité nationale, la ces mêmes associations se taisent. Comme par hasard. Stop au prosélytisme religieux.

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