Résumé « L’origine des ‘identités obscures’ chez les patients avec TDI »

Auteur : Kenichiro Okano
Référence :
Okano, K. (2019). The origin of so-called “shadowy personalities” in patients with dissociative identity disorder. European Journal of Trauma &  Dissociation, 3(2), 95‑102. https://doi.org/10.1016/j.ejtd.2018.07.003

Introduction

L’auteur débute son article en déclarant qu’avec 1-3% de prévalence, n’importe quel clinicien aura eu l’occasion de croiser un patient avec TDI au moins une fois, même s’il ne s’en rendra sûrement pas compte.

Il relève ensuite que, au cours du traitement, il est commun de croiser des états d’identité qui portent des émotions négatives et des comportements inadaptés, qui ont pour but d’éviter – voire saboter – la thérapie, qui effraient les autres états d’identité. L’auteur les décrit comme une « existence qui menace et éclipse celle du patient, à cause de sa nature intrusive et imprévisible ». Ces types d’états d’identité ont déjà été documentés par le passé, mais l’auteur tient à parler ici de l’un d’entre eux en particulier.

Il les appelle les « personnalités obscures » [ shadowy personalities ] (PO), un nom dérivé de la manière dont les patients eux-mêmes les décrivent : difficiles à percevoir ou apercevoir, une ombre dans leur esprit, une forme noire sans détail perceptible. Okano précise que donner des noms aux états d’identité n’est pas toujours une bonne idée, mais il propose souvent à ses patients de trouver un surnom à ces « personnalités obscures ». Ainsi, des termes comme « le gars sombre » ou « le type en noir » sont souvent utilisés. Okano précise cependant qu’une fois que les PO commencent à prendre leur place en thérapie, il est impératif de leur demander comment elles souhaitent être appelées et de ne pas rester avec ce type de surnom, qui peuvent être perçus comme péjoratifs.

Okano décrit les PO comme moins élaborées que ce qu’on peut s’attendre à trouver habituellement dans un TDI pleinement formé. Elles sont souvent isolées du reste du système, certaines peuvent être en dormance. Il peut n’y avoir, comme indices de leur présence, que de vagues souvenirs de leur existence. Visuellement, dans le monde intérieur des patients, elles ont souvent une apparence indéfinie, peuvent n’être qu’une vague silhouette grise. Les patients les évitent souvent, tant à cause de cette apparence qu’à cause de leur comportement, souvent arrogant, condescendant ou même violent. Le terme « obscure » ne sert pas qu’à décrire l’idée d’une menace, mais aussi d’une sorte de génie du mal œuvrant dans l’ombre. Ainsi, beaucoup de « personnalités obscures » ont la sensation que ce terme est une forme de respect envers leurs capacités.

Okano ajoute que ce terme de « personnalité obscure » a été créé en dehors de tout contexte scientifique ; néanmoins, il se réfère à une conception jungienne du terme d’ombre et d’obscurité. Dans cet esprit, il va citer R. Noll (1989), qui décrit l’ombre dans le contexte du TDI, dressant le tableau d’états d’identité agressifs envers le reste du système et/ou le corps, qui sont pris dans un schéma de répétition des violences et traumas subis par l’enfant.

Dans la littérature

Okano continue son article en mentionnant divers auteurs ayant travaillé sur ces états d’identité agressifs. Nous retiendrons ici que, depuis 1989 au minimum, ces états d’identité sont compris comme des « persécutants », mais aussi comme des parts imitant l’agresseur ou des introjects de l’agresseur. Ces états d’identité sont décrits comme agressifs, destructeurs, avec des tendances au sabotage et une attitude hostile, voire condescendante, à l’égard du thérapeute et de la thérapie ; mais ils sont aussi souvent malheureux, rejetés, solitaires et traumatisés, des états d’identité qui essaient de prendre la place de l’agresseur pour ne plus avoir celle de victime.

Okano va ainsi isoler quatre caractéristiques propres aux « personnalités obscures » :

  • La colère et l’agressivité : souvent à l’encontre de la totalité du monde et des êtres vivants. Okano relève que, en miroir, les autres états d’identité du système semblent souvent partiellement ou totalement incapables de ressentir la colère. De fait, les PO tendent à sortir spontanément lors de situations censées déclencher la colère : menace perçue, limites franchies, etc. Il est possible que ce soit le sentiment de peur ou de confusion des autres états d’identité qui déclenche plus ou moins automatiquement les PO.
  • La difficulté à les approcher : elles semblent souvent en état de transe, avec une certaine difficulté à se rendre compte de l’environnement et à répondre à des questions trop précises. L’auteur formule deux hypothèses pour expliquer cela : 1) les PO sont formées dans un moment où le vécu traumatique empêche la réalisation ; 2) l’agresseur ayant tenté de nier la violence au moment des faits, l’instant du trauma est resté « irréel » et hors du temps – parfois, c’est la victime elle-même qui ne parvient pas à réaliser qui est l’auteur des agressions, particulièrement dans le cas où il s’agit d’une personne proche.
  • Leurs apparitions sont brèves, en période de crise : elles extériorisent souvent des comportements violents, tumultueux, mais plus les comportements seront intenses et plus leur apparition au contrôle sera courte. Okano propose l’idée que la prise de contrôle par les PO dépense énormément d’énergie, tant physique que mentale. Ces épisodes violents semblent généralement être déclenchés par des éléments évoquant les traumas et leur manière d’y réagir n’est pas sans rappeler les mécanismes sous-tendant les flashbacks dans le trouble de stress post-traumatique.
  • Leur présence est ressentie presque physiquement : les autres états d’identité peuvent avoir le sentiment d’un grand bouleversement interne lorsque les PO sont proches. Ainsi, il n’est pas rare que les autres états d’identité les évitent purement et simplement.

Liste de prototypes de « personnalités obscures »

  • Celle avec la voix de l’agresseur : qui peut également prendre l’apparence d’une personne qui a eu un impact traumatique.
  • Celle dépressive et autodestructrice : qui a ces comportements alors qu’ils ne sont pas observés chez les autres états d’identité, ni dans le comportement général de la personne au quotidien. Elle peut également être suicidaire ou faire des reproches aux autres états d’identité, sur un mode pessimiste.
  • Celle qui s’exprime pour les autres : notamment celle qui va exprimer la colère que certains états d’identité semblent être incapables de ressentir. Cela peut mener à des situations où la personne va soudainement exploser, réagir de manière disproportionnée, face à des situations qu’elle semblait tolérer auparavant.
  • Celle avec un esprit de compétition : surtout vis-à-vis de l’état d’identité qui gère la vie quotidienne, en souhaitant prendre sa place, persuadée qu’elle fera mieux que lui. Cette PO a souvent des caractéristiques complètement opposées à l’état d’identité qui gère la vie quotidienne, ce qui rend presque impossible l’entente entre eux.

Hypothèse sur la formation des « personnalités obscures »

En se basant sur la théorie de l’internalisation de l’agresseur formulée par Ferenczi, puis l’évolution en « identification à l’agresseur », Okano propose une définition de l’introjection comme le fait « d’emporter avec soi autant que possible une part du monde extérieur, transformant cette part en objet de fantasmes inconscients ». Il est important de noter que le terme « fantasmes » a, ici, le sens de « production de l’imagination servant un besoin » ; par exemple, se créer une image interne du « parent parfait » pour se protéger de la réalité. Néanmoins, comme le relève Okano, ce mécanisme d’introjection prend une dimension particulière dans le TDI : ce n’est pas qu’une représentation symbolique, qui est créée à l’intérieur, mais un reflet complexe de la réalité telle que comprise par l’enfant, qui possède sa propre volonté.

Okano poursuit son historique du concept d’identification à l’agresseur en s’intéressant ensuite aux travaux d’Anna Freud. Il aborde sa théorie d’inversion des rôles, au cours de laquelle l’enfant va chercher à devenir l’agresseur plutôt que la victime et se mettre à imiter son agresseur, ses attitudes et ses comportements. Okano pointe tout de même le manque de perspective dissociative de la théorie, ainsi que le fait que le mécanisme semble être volontaire et conscient, alors qu’il apparaît surtout comme un processus déclenché automatiquement chez un enfant terrifié et perdu. Il va néanmoins rapprocher ce type d’identification aux PO qui prennent la voix et l’apparence de l’agresseur.

Okano va ensuite aborder l’idée de Ferenczi selon laquelle l’identification à l’agresseur est déclenchée par l’anxiété, la nécessité de se soumettre à l’agresseur. L’enfant va finir par s’identifier à l’image que projette sur lui son agresseur : celle d’une victime soumise. Il fait le parallèle entre ce type d’identification et les PO dépressives et autodestructrices.

Enfin, l’auteur va ajouter un 3e type d’identification à l’agresseur : celle qui se produit lorsque l’enfant devient un témoin de la scène traumatique. Que ce soit à travers la fiction ou en étant réellement témoin de scènes de violence imposées à d’autres, l’enfant peut se retrouver en position d’observateur passif. Dans ce genre de configuration, il devient possible d’intervenir et, si une personne intervient effectivement pour sauver l’enfant ou si la victime observée arrive à s’enfuir, il est possible que l’enfant introjecte ces éléments. Ils sont alors perçus comme protecteurs. Cet aspect se retrouve dans les « personnalités obscures » qui vont exprimer des émotions et des comportements à la place du reste du système.

Okano appuie son idée avec les travaux de Schimmenti (2017), qui a mis en évidence trois types « d’identifications traumatiques ». Le premier est celui par lequel une part dissociée va s’identifier à l’enfant victime. Le deuxième est celui de l’identification à l’agresseur dans le sens classique du terme. Le troisième est celui décrivant l’intervention d’un état mental dit « parent ». Okano rapproche l’idée de ce troisième type d’identification traumatique à son propre troisième type d’identification à l’agresseur, en arguant que dans les deux cas, on sort de la dynamique victime/agresseur classique pour entrer dans un mode de relation plus complexe, où la manière dont les traumas sont vécus, compris et symbolisés par l’enfant devient centrale.

Par la suite, l’auteur aborde la question de la communication entre les différents états d’identité et celle de la répétition en interne des violences. De par les différentes manières de s’identifier à l’agresseur et de symboliser la scène traumatique, il est logique de voir des « personnalités obscures » qui sont des introjects de l’agresseur rejouer les violences commises sur d’autres états d’identité, ceux qui se sont plutôt identifiés à l’image de l’enfant victime. Ces phénomènes et dynamiques semblent être partiellement inconscientes, automatiques, une manière pour l’esprit de garder la scène traumatique « active ».

Application thérapeutique

En ce qui concerne la thérapie en trois phases, Okano place le travail avec les PO tant dans la phase 1 (stabilisation) que dans la phase 2 (traitement des traumas). Permettre à la PO de s’exprimer dans un environnement sécure peut déclencher une forme de retraitement des souvenirs traumatiques. L’auteur rejoint les recommandations faites dans le cadre de la théorie de la dissociation structurelle de la personnalité, ainsi que par Nijenhuis, au sujet du travail avec des parts persécutantes ou contrôlantes. Il insiste notamment sur la psychoéducation et l’importance d’expliquer ce que sont ces parts dissociées, leur rôle et leur fonction tant passée que présente.

Okano insiste aussi sur la nécessité de la compréhension de leur rôle de protection, tant pour le patient que pour le thérapeute. Ce sont des parts avec lesquelles il est difficile de travailler et il est commun que les thérapeutes appréhendent cette partie de la thérapie. Or, elles sont souvent tenues à l’écart par le reste des parts elles-mêmes, il est donc vital que le thérapeute serve d’exemple en acceptant de travailler avec toutes les parts, y comprit les PO. Il est également important de comprendre que les PO sont souvent à l’écoute de tout ce qu’il se dit et se fait, même si elles ne sont pas au contrôle ou ne sont pas perceptibles par les autres parts.

Concernant le fait de leur parler directement ou non, Okano explique qu’il n’existe pas de réponse universelle à cette question. La manière de les aborder est également une question difficile, dans la mesure où la sécurité du patient (en tant que Tout) doit passer en premier.

Lorsque certaines PO sont agressives, il peut être compliqué de préserver l’équilibre et de permettre à toutes les parts de se sentir écoutées. Permettre aux autres parts d’exprimer leur frustration, leur peur, expliquer la fonction protectrice des PO et permettre aux PO de s’exprimer également nécessite des pirouettes et un jeu d’équilibriste qui est loin d’être simple, autant pour le thérapeute que pour le patient. Néanmoins, comme Okano le relève, le traitement ne peut être complet que si les PO sont également prises en charge. Cela peut signifier attendre avant de les inclure dans le processus thérapeutique, mais elles ne peuvent être complètement évitées.

Dans cet esprit, Okano propose des conseils au cas où un thérapeute souhaiterait traiter directement avec une PO. Nous relèverons ici :

  • l’importance d’avoir créé une relation thérapeutique et coopératrice solide avec la PO,
  • la certitude que la PO ne représente aucun danger physique,
  • le travail avec la PO n’aura pas d’impact majeur sur la qualité du fonctionnement global du patient.

Ainsi, une PO pourra progressivement apprendre à modifier son comportement pour agir de manière plus saine et adaptée, grâce à l’espace d’expression créé pour elle, où elle peut être entendue et comprise ; choses dont les PO ont rarement bénéficié par le passé. Le respect est extrêmement important avec ces parts et l’utilisation de termes comme « personnalité obscure » doit impérativement leur être expliqué. Leur accord au sujet de la manière dont on parle d’elles doit également être obtenu – si elles souhaitent qu’un autre terme soit utilisé, il faut s’y conformer.

Dans la suite de son article, Okano présente une étude de cas en tant qu’exemple clinique. Il présente le cadre qu’il a utilisé pour entrer en contact avec la PO d’un patient, ainsi que l’évolution de la PO au fil des séances.

Conclusion

Okano décrit ainsi le concept de « personnalités obscures » : des états d’identité à l’apparence peu définie, qui portent des émotions négatives et/ou mettent en actes des comportements inadaptés. Ces « personnalités obscures » font souvent peur au patient, parfois également au thérapeute – pourtant, il est impératif de les impliquer dans le processus thérapeutique. Pour ce faire, il faut d’abord commencer par les comprendre et les laisser s’exprimer.

Okano dresse une liste prototypique des personnalités obscures, à savoir : celles dépressives et autodestructrices, celles qui s’expriment pour les autres, celles qui sont en compétition avec l’état d’identité qui gère le quotidien.

Il décrit ensuite trois types d’identification à l’agresseur qui peuvent mener à la création de ces personnalités obscures : l’identification à l’agressivité de l’agresseur (« devenir » l’agresseur), l’identification à l’image de soi renvoyée par l’agresseur (devenir « sa propre victime ») et l’identification au témoin de la scène (celui qui « tente de faire cesser la scène »).

Enfin, Okano décrit la prise en charge des personnalités obscures comme complexe et très influencée par le contexte, la demande du patient et la dynamique interne de celui-ci. Cette prise en charge peut représenter un défi, mais est nécessaire : au long terme, elle permettra d’apaiser la totalité de la personne.

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