Le conseil d'administration de Renault tentera lundi d'y voir plus clair dans le faux scandale d'espionnage lors d'une réunion extraordinaire et d'établir les responsabilités de chacun dans ce fiasco.

Le conseil d'administration de Renault tentera lundi d'y voir plus clair dans le faux scandale d'espionnage lors d'une réunion extraordinaire et d'établir les responsabilités de chacun dans ce fiasco.

L'Express

C'est un document exceptionnel et très poignant. Le 3 janvier 2011, Matthieu Tenenbaum, cadre supérieur de Renault, est convoqué dans le bureau de Christian Husson, le directeur juridique de l'entreprise. Au fur et à mesure de cet entretien, il découvre visiblement abasourdi qu'on l'accuse d'avoir trahi Renault et d'espionner au profit des Chinois.

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Christian Husson le somme d'avouer et de démissionner sans faire de bruit, sous réserve de graves poursuites pénales. Il apprend qu'il doit quitter l'entreprise le jour même et vider son bureau "sans souhaiter les voeux à ses collègues". Tenenbaum, sonné par ces fausses accusations, ne sait pas qu'en plus, la direction de Renault enregistre cette conversation. Elle est même suivie en direct par d'autres responsables de l'entreprise. Une séance qui fait rétrospectivement froid dans le dos.

Pour Renault, le prix de cet aveuglement s'annonce lourd. Outre le n°2, Patrice Pélata, qui a demandé à être relevé de ses fonctions, trois hauts dirigeants, dont Christian Husson, ont été écartés lors du conseil d'administration extraordinaire du lundi 11 avril. De plus, un accord de principe aurait été trouvé pour l'indemnisation des trois cadres licenciés, dont Matthieu Tenenbaum, qui, selon Marianne, réclamait 2,4 millions d'euros.

Christian Husson: Salut Matthieu.

Matthieu Tenenbaum: Comment vas-tu?

C. H.: : Installe-toi. A cette époque de l'année, on se souhaite les voeux!

M. T.: Mes meilleurs voeux!

C. H.: Alors, moi, je vais te souhaiter à partir de maintenant de ne pas te tromper dans tes choix

M. T.: Ouais?

C. H.: Parce que pour être tout à fait direct avec toi, nous savons que tu as commis des actes graves, contraires à la déontologie chez Renault, et constitutifs d'infractions pénales.

Pour être tout à fait transparent avec toi, à l'heure qu'il est, tes comparses sont entendus dans des bureaux voisins et il leur est reproché les mêmes choses. Soit tu me la joues...

M. T.: Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler.

C. H.: Soit tu me la joues "Commissaire Moulin et le suspect qui nie tout", soit tu atterris dans plus de discernement. Les actes en questions: nous savons qu'il s'agit de corruption. Nous savons que ça concerne des intérêts étrangers concurrents, et probablement en bande organisée. Et donc, c'est très grave.

M. T.: Mais euh...

C. H.: Tu vas sortir d'ici tout à l'heure avec une mise à pied conservatoire.

M. T.: Mais il faut que tu m'explique sinon...

C. H.: Tu vas sortir d'ici tout à l'heure avec une mise à pied conservatoire et tu vas être entendu pour un entretien chez Jean-Yves Coudriou [le directeur des cadres dirigeants, ndlr] le 11 janvier, en vue très certainement d'une procédure de licenciement. Tu as donc deux options: soit tu nies tout et là on entre dans une voie qui est lourde, soit tu as plus de discernement et ça mène à une démission.

Je ne suis pas un juge mais je vais te dire les choses d'une manière prosaïque. Si tu nies tout, voilà ce qui va se passer. On va déclencher une procédure lourde, pénale, et avec très certainement à la clef des conséquences graves pour toi parce que les faits qui te sont reprochés ainsi qu'à tes comparses mettent en jeu des éléments de sécurité nationale, mettent en jeu des éléments d'espionnage industriel.

(... )

Il est évidemment question de corruption et de comptes offshore et là ça va être très lourd. Un juge va s'y coller avec risque de garde à vue. Enfin, la totale. Ça, c'est la voie dure si tu me la joues "Commissaire Moulin, je nie tout".

Ecoutez l'intégralité de l'entretien entre Christian Husson et Matthieu Tenenbaum.

M. T.: Je ne vois pas ce que je ...

C. H.: Si, tu vois, Matthieu. On sait, on sait.

M. T.: J'ai rien à voir...

C. H.: C'est normal, tu me la joues "le suspect de chez le commissaire Moulin qui nie tout", c'est normal.

M. T.: Je ne te la joue pas...

C. H.: Matthieu, nous savons...

M. T.: Mais vous savez quoi?

C. H.: Nous savons.

M. T.: Je ne vois pas ce que vous pouvez savoir? Pour la voie dure, vous pouvez "checker" tout ce que vous voulez... Mais sur mes comptes, vous avez vu quelque chose?

C. H.: Nous savons. Entre maintenant et le 11 janvier, tu vas bien réfléchir.

M. T.: Mais, je vais super bien réfléchir, mais de quoi vous me parlez?

C. H.: On te parle d'actes constitutifs de corruption pour avoir livré à des intérêts étrangers des secrets d'affaires.

M. T.: Mais ça ne va pas!

C. H.: Si, si, si, si... Ça va très bien.

M. T.: Mais ça ne va pas! C'est mal me connaître!

C. H.: Matthieu, ne la joue pas comme ça.

M. T.: C'est pas une question de se la jouer comme ça!

C. H.: Si tu as encore, comme je le pense, du discernement, voire du panache, tu assumes ce que tu as fait et tu réfléchis bien entre maintenant et le 11 janvier.

M. T.: Je ne vois pas ce dont je vais pouvoir réfléchir de plus...

C. H.: Si! Je t'ai expliqué. L'option dure est pénale, c'est-à-dire qu'on va déposer plainte pour des actes de corruption.

M. T.: Allez-y!

C. H.: Soit, entre maintenant et le 11 janvier où tu vas être reçu par Jean Yves Coudriou, tu auras réfléchi et tu peux nous remettre ta démission et il ne se passera rien. C'est-à-dire que tu me remets ta démission avec quelques précisions sur la nature des informations que tu as passées aux Chinois. Et ça s'arrêtera là, ça s'arrêtera là... Sinon ça ne s'arrêtera pas là. Tu as encore le loisir de réfléchir maintenant. Mais si tu te cantonnes dans la posture "Qu'est-ce-que vous me reprochez?"

M. T.: Bah, oui parce que se faire escorter par des molosses et, à l'arrivée, on m'explique que j'ai deux choix, soit j'avoue, soit je suis mis à pied pendant huit jours, excuse-moi de tomber de l'armoire comme ça, mais de quoi vous me parlez? Il n'y a pas de ... Je ne sais pas de quoi vous me parlez en fait...

C. H.: Je crois que tu le sais très bien.

M. T.: Non!

C. H.: Si, si, Matthieu...

M. T.: On se connait!

C. H.: Bien sûr que l'on se connaît. Mais là, nous savons.

M. T.: Mais vous savez quoi?

C. H.:: Nous savons.

M. T.: Mais vous rigolez! Ca ne va pas la tête!

C. H.:: Ca va très bien.

M. T.: Un, c'est très mal me connaître et c'est très grave. Deux, je suis prêt à la voie que tu appelles dure. C'est-à-dire que vous pouvez faire tout ce que vous voulez, je suis prêt à la transparence, checkez tout ce que vous voulez... Mais jamais de la vie j'aurais donné quoi que ce soit, à n'importe qui en dehors... C'est vraiment mal connaître ce que je fais dans cette entreprise. C'est pourquoi je me marre. Je tombe de l'armoire. Si la seule façon de rétablir la vérité, c'est la voie dure, je prendrai la voie dure. Mais je ne vois pas du tout ce que je peux faire d'autre.

C. H.: C'est ton choix.

M. T.: Mais, c'est mon choix... Mets-toi deux secondes dans l'hypothèse que très sincèrement je n'ai rien à me reprocher. Que veux-tu que je dise d'autre? Vous pouvez tout vérifier, mes comptes, mes emails, mes machins, fouiller chez moi, perquisitionner... mais jamais de la vie j'aurais donné la moindre chose en dehors de l'entreprise!

C. H.: Nous savons.

M. T.: Mais je ne sais pas ce que vous savez.

C. H.: Tu sais que je sais.

M. T.: Non! Je ne sais pas ce que vous savez.

C. H.: Tu sais que je sais donc...

M. T.: Mais non!

C. H.: Matthieu...

M. T.: Mais non!

C. H.: Ton reflexe est de nier, il est normal.

M. T.: Mais ce n'est pas un réflexe de nier. Est-ce-que j'ai fais une connerie sans le savoir? C'est le premier truc que je me suis dit.

C. H.: C'est plus qu'une connerie, c'est une faute.

M. T.: Ce que je me suis dit quand on m'a dit de venir c'est "il y a eu une connerie, il faut que je témoigne de quelque chose". Mais là... Ce n'est même pas une question de nier ou ne pas nier, ou faire le commissaire Moulin. Un, je ne vois pas du tout de quoi vous parlez et, deux, j'ai tellement les mains propres que vous pouvez faire tout ce que vous voulez mais il n'y a aucun problème. Je n'ai jamais détourné le moindre centime de cette entreprise. Que veux-tu que je te dise? Mettez-moi en garde à vue si vous voulez...

C. H.: Ah ça, c'est pas nous. Ça nous échappera. On laissera les juges faire ce qu'il faut. Mais compte tenu des faits, ça peut être douloureux. Espionnage industriel, en plus la Chine étant dans l'axe, ça va énerver les juges, comme ça va énerver le quai d'Orsay et Bercy. Ce sera ton choix que tu assumeras jusqu'au bout. Tu m'as dit que ton premier réflexe était un réflexe de survie...

M. T.: Que tu sois coupable ou innocent, c'est un premier réflexe. N'empêche que là, quand tu n'as rien à te reprocher...

C. H.: Si! Allez, Matthieu...

M. T.: Non ! Je n'ai strictement rien à me reprocher. A part recevoir la newsletter de Chine, je n'ai pas le moindre...

C. H.: Mais nous savons.

M. T.: Alors, si vous savez...

C. H.: Tu vas mettre à profit le temps qui reste entre cette mise à pied conservatoire et le 11 janvier pour avoir le loisir d'aller chercher tes affaires, rentrer chez toi et bien réfléchir. Tu vas être reçu par Coudriou. Tu pourras venir avec quelqu'un de l'entreprise si tu le souhaites ou seul si c'est ton choix, et sera engagée une procédure de licenciement pour faute. Grave ou lourde, selon le cas. Et donc ce sera réglementé selon ton choix d'une plainte au pénal de l'entreprise contre toi et tes comparses. Et sinon, tu atterris dans un peu plus de réalité et de discernement, voire de panache au nom de ta capitalisation d'expérience dans cette entreprise et des espoirs que ta hiérarchie avait mis en toi, et tu choisis la démission. On oubliera tout et on en restera là.

(...)

M. T.: C'est le stress...

C. H.: Non mais le stress d'accord. Mais tu as joué et tu as perdu.

M. T.: Mais de quoi tu parles? Tu ne te rends pas compte!

C. H.: Donc, je te remets ta lettre en main propre de mise à pied conservatoire.

M. T.: Mais ça ne va pas!

C. H.:: Si, si, ça va.

M. T.: Vous êtes malade!

C. H.: N'ajoute pas l'injure, s'il te plaît! Les faits sont suffisamment graves.

M. T.: Qu'il y ait des faits graves, mets-toi deux secondes dans ma position. Tu n'as rien fait et on t'explique que tu es mis à pied...

C. H.: Tu n'as pas rien fait! Arrête de dire que tu n'as rien fait. Nous savons. Alors à partir de maintenant j'admets un mauvais réflexe au premier jour de l'année pris au dépourvu qui consiste à nier tout en bloc. Je te dis que c'est une attitude extrêmement dommageable pour la suite des évènements et la suite probablement de ta carrière avec quelqu'un d'autre.

En tout cas, tu vas bien mettre à profit le temps qui te sépare aujourd'hui du 11 janvier pour bien réfléchir à tes options. La deuxième, celle qui t'est offerte encore par l'entreprise, c'est la voie de la démission sans autres conséquences que de ne plus entendre parler de toi et de tes comparses.

(...)

C. H.: Tes comparses n'ont pas adopté cette attitude. C'est tout ce que je peux te dire. Alors s'il y a des confrontations entre vous, ça va être ennuyeux...

M. T.: Mais j'attends d'être confronté avec eux. Faites ce que vous voulez mais je n'ai ni donné la moindre information ni touché le moindre argent de qui que ce soit...

(...)

C. H.: On s'est tout dit ce matin.

M. T.: On sera amené à se revoir?

C. H.: Non. Un juge peut-être. Coudriou certainement. Encore une fois, les seules choses que je peux te souhaiter, c'est de ne pas te tromper dans tes choix à partir de maintenant. Tu vas aller à ton bureau chercher tes affaires discrètement sans souhaiter les voeux à tes collègues. Salut Matthieu!

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