Faut-il réduire la dette publique ?
Faut-il réduire les dépenses publiques ?

OFCE Jérôme Creel, Mathieu Plane et Henri Sterdyniak (lecture et opinion)

La question des finances publiques et, singulièrement, celle du poids de la dette publique sont revenues au centre du débat public, à la suite notamment de la publication du rapport Pébereau le 14 décembre 2005. La charge de la dette (2,5 % du PIB en 2005) serait le deuxième poste de dépenses de l’Etat et absorberait la quasi-totalité des recettes de l’impôt sur le revenu. La France vivrait à crédit depuis 30 ans : les générations actuelles reporteraient la charge des dépenses publiques sur les générations futures. Chaque nouveau-né en France hériterait d’une dette de l’ordre de 17 500 euros.

Mais l’augmentation, incontestable, de la dette publique doit être expliquée pour être comprise. La structure des finances publiques françaises doit être débattue sereinement, au moyen de concepts et de chiffres indiscutables, en en rappelant brièvement l’historique. La thèse selon laquelle les programmes électoraux ne devraient désormais prévoir aucune hausse des dépenses publiques, voire au contraire de fortes baisses, au nom de la quasi-banqueroute publique apparaît en effet pour le moins contestable.

La dette publique est ainsi parfois caricaturée en moyen pour les générations actuellement au pouvoir de faire financer leurs dépenses par les jeunes générations, celles-ci ne recevant rien en contrepartie compte tenu de la crise de l’Etat-providence et se trouvant donc enjointe de ne pas honorer le contrat intergénérationnel. On peut noter que ce raisonnement est auto-validant : si les jeunes générations sont convaincues et refusent de payer, l’Etat-providence s’effondrera immanquablement. Ainsi, plus cette thèse se répand, plus la pérennité de l’Etat-providence est menacée car plus les jeunes peuvent être tentés de faire défaut. Au contraire, s’ils jouent le jeu social des générations, l’Etat-providence ne s’effondrera pas et les jeunes en auront les avantages, comme les générations précédentes.

L’Etat-providence renvoie à la notion de dépenses publiques, en particulier au système de protection sociale. Une rapide comparaison avec les partenaires, notamment européens, de la France est particulièrement instructive. En France, la part des dépenses publiques dans le PIB s’élevait à 54 % en 2005, soit 6 points au-dessus de la moyenne de la zone euro (graphique 1). Parmi les pays de l’OCDE, seule la Suède a des dépenses publiques plus élevées en pourcentage du PIB (57 % en 2005). La France se distingue cependant des autres pays européens, non pas par l’importance des dépenses de l’État ou des collectivités locales, mais par celles de son système de protection sociale. Cette spécificité explique aussi la structure des prélèvements où les cotisations sociales sont particulièrement élevées1, en dépit des mesures d’allégement du coût du travail non-qualifié mises en place progressivement depuis 1993.

Le niveau élevé des prélèvements obligatoires, les contraintes du Pacte de stabilité et de croissance en matière de déficit public et les risques de concurrence fiscale incitent cependant les gouvernements à tenter de stabiliser le poids des dépenses publiques. Compte tenu du vieillissement de la population, la maîtrise des dépenses sociales, et spécifiquement celles de retraites et de santé, deviennent logiquement les principaux enjeux des finances publiques.


Graphique 1. Les dépenses publiques en comparaison internationale Source : OCDE.

La part des emplois publics dans l’emploi total en France semble nettement plus élevée que dans les autres pays de l’OCDE, hormis certains pays scandinaves (22,8 % en 2005 contre 15,2 % dans la zone euro et 31,6 % en Suède). Toutefois, les écarts s’expliquent essentiellement par le caractère public on non de l’emploi dans les secteurs de l’éducation et des hôpitaux : l’Etat-providence porte bien son nom.

1 Voir M. Plane, « La place de l’Etat dans l’économie », dans L’économie française 2007, Paris : La Découverte, 2006.
2 Creel J. et H. Sterdyniak, « Faut-il réduire la dette publique ? », Lettre de l’OFCE, n°271, 13 janvier 2006.
4 En fait, la hausse des dépenses publiques s’explique pour 1,5 point de PIB par celle des charges d’intérêt, pour 1 point par des raisons conjoncturelles. Les dépenses primaires structurelles ont augmenté de 3,4 points de PIB de 1980 à 1984 et de 1 point de 1984 à 2004.
5 La pension nette moyenne représente presque 80 % du salaire net moyen en France contre environ 60 % en Italie et en Allemagne et 40 % au Royaume-Uni, où une partie importante des pensions est versée par des régimes privés (financés par capitalisation).

Mesurer la dette

Le principal indicateur du poids de l’endettement public est la dette publique au sens de Maastricht : il s’agit de la dette brute consolidée de l’ensemble des administrations publiques (Etat, collectivités locales, sécurité sociale), qui ne tient pas compte des avoirs des administrations. La dette française était relativement faible jusqu’en 1980 (graphique 2), elle augmenta régulièrement au cours des années 1980, puis elle subit deux accélérations, l’une dans la première moitié des années 1990 et l’autre dans la première moitié des années 2000 la portant à 67 % du PIB fin 2005. La France reste en dessous du niveau de la zone euro (71 %), approximativement au niveau de l’UE15 (65 %) ou des Etats-Unis (65 %), nettement en dessous du Japon (159 %).

En terme de dette nette, i.e. la dette brute moins les actifs financiers détenus par les administrations (les actions de certaines entreprises), la France est à 47 % du PIB, nettement en dessous de la zone euro (57%), un peu en dessous de l’ensemble de l’OCDE (48 %) et des Etats-Unis (47 %). Il n’y a donc pas de singularité française. La hausse de
longue période se retrouve dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, bien qu’un peu plus accentuée dans le cas de la France, qui part de plus bas.


Graphique 2. Les dettes publiques en % du PIB

Dette et actifs publics

Les administrations publiques possèdent des actifs financiers mais surtout des actifs physiques (infrastructures). Globalement, la richesse nette des administrations publiques représentait 31,5 % du PIB fin 2005 (tableau 1). Certes, le nouveau-né français hérite d’une dette publique, mais il hérite aussi d’actifs publics : routes, écoles, maternité, équipements sportifs… Evoquer l’une sans évoquer les autres n’a guère de sens économique.
Le jeune français qui entre dans la vie active à 20 ou 25 ans a donc généralement bénéficié d’une éducation de haut niveau, et d’un service de santé particulièrement performant. Il peut certes refuser de rembourser la dette publique, mais il serait juste qu’en contrepartie il rembourse à la génération précédente son éducation, ses dépenses de santé, les équipements collectifs.


Tableau 1. Comptes de patrimoine des administrations en % du PIB Source : INSEE (2005).

Si l’on considère l’ensemble des agents, publics et privés, la richesse nationale se compose du stock de capital physique et des avoirs nets accumulés sur l’étranger. Les actifs physiques représentaient 4 fois le PIB de la France en 1994, 6,2 fois en 2005. La France n’est pas endettée vis-à-vis de l’étranger : les avoirs nets de la France sur l’étranger sont faiblement positifs, de l’ordre de 10,5 % du PIB en 2005. Le nouveau-né français est donc riche en moyenne, à sa naissance, de 172 000 euros (la somme des patrimoines publics et privés divisé par le nombre d’habitants). La France a certes un déficit public, mais c’est l’épargne nationale qui détermine la croissance de la richesse nationale. Celle-ci était en France de l’ordre de 20 % du PIB en 2004, un peu moins que la moyenne de la zone euro (21 %), mais au même niveau que l’UE-15 et nettement au-dessus du Royaume-Uni (15 %) ou des Etats-Unis (14 %). Nette de la dépréciation du capital, l’épargne est de 7 % du PIB. Globalement, la France consomme nettement moins qu’elle ne produit et ne vit pas « à crédit » : 13 % du PIB sert à compenser la dépréciation du capital ; 7 % à augmenter son niveau.

Enfin, la dette brute des ménages représente 80 % de leur revenu en France contre 140 % au Royaume-Uni, 120 % aux Etats-Unis ; la richesse nette des ménages qui était égale à 3 fois le PIB en 1993 est égale à 4 fois le PIB en 2004. On ne peut évaluer l’héritage que les ménages français laisseront à leurs enfants par la seule dette publique brute. C’est toute la richesse nationale qu’il faut considérer. Enfin, la France a conservé un taux de fécondité relativement élevé. Les générations futures seront donc relativement nombreuses, ce qui allégera le problème du financement des retraites.

La dynamique de la dette

La dynamique de la dette dépend crucialement de l’écart entre le taux d’intérêt et le taux de croissance. Si cet écart est positif, ce qui était par exemple le cas en Europe de 1991à 1996, la dette publique fait « boule de neige » ; il faut un excédent primaire pour stabiliser le poids de la dette dans le PIB. S’il est négatif, la dette publique tend à se réduire automatiquement. En principe, si la politique budgétaire et la politique monétaire sont utilisées dans le même sens, il n’y a guère de problème de soutenabilité des finances publiques : dans les phases de récession, donc de déficit public, le taux d’intérêt doit être bas par rapport au taux de croissance, ce qui tend à réduire la croissance de l’endettement. Ce fut le cas en France de 1974 à 1979. La croissance de la dette publique de 1992 à 1997 ne s’explique pas tant par des déficits structurels que par la mauvaise situation conjoncturelle et surtout le niveau des taux d’intérêt (après la réunification allemande) dans des périodes où la politique monétaire et la politique budgétaire n’étaient pas utilisées de façon coordonnée (tableau 2). Le retour à une croissance plus forte permet une baisse des déficits conjoncturels et structurels qui compensent l’impact de taux d’intérêt réels plus élevés, comme le montre la période 1998-2002.


Tableau 2. Les facteurs de hausse de la dette en France En % du PIB

Creel et Sterdyniak (2006)2 ont montré que le vrai coût de la dette, c’est-à-dire l’excédent primaire nécessaire pour stabiliser la dette, est actuellement de 0,15 % du PIB. Toutes choses égales par ailleurs, si la France avait une dette nulle qu’elle souhaitait maintenir, le gain en terme de marge de manoeuvre budgétaire serait quasiment nul par rapport à la situation actuelle.

Le niveau adéquat du déficit public peut aussi être envisagé dans une optique de maintien de l’égalité entre la dette publique et le capital public. Dans ce cas, le déficit structurel doit être égal à l’investissement public net, plus la dépréciation de l’endettement due à l’inflation, soit, en France en 2005, de l’ordre de 2 % du PIB (3,3 % d’investissement public – 2,5 % d’amortissement + 1,2 % de dépréciation de la dette). On pourrait même aller au-delà en tenant compte des dépenses publiques de recherche (2 % du PIB) qui, elles aussi, préparent l’avenir. En 2006, le déficit public structurel français aurait été de l’ordre de 1,7 % (soit un déficit de 2,9 % dont il faut enlever 1,2 % de déficit conjoncturel). Il est donc de l’ordre du soutenable. D’ailleurs, la dette publique française décroît légèrement en pourcentage du PIB.

Selon ces deux raisonnements, il est inutile de se donner un objectif d’annulation du déficit public. Un pays qui maintiendrait un déficit nul verrait sa dette tendre lentement vers zéro. Ceci requiert un effort prolongé alors que l’objectif de déficit nul n’a pas de fondement économique. L’Etat n’est pas un ménage. Immortel, il peut avoir une dette en permanence ; il n’a pas à la rembourser, mais seulement à garantir qu’il pourra en servir les intérêts.
En fait, les agents privés désirent détenir de la dette publique pour des raisons de liquidité et de sécurité. Les titres de dette publique permettent de se constituer un capital en vue de la retraite, par exemple. Les obligations à très long terme doivent être peu risquées pour trouver preneurs ; c’est le cas quand elles sont émises par les Etats de pays développés dont le risque de défaut de paiement est jugé quasiment nul. En contrepartie, le rendement des titres peut être relativement faible. Au final, émetteurs et détenteurs sont satisfaits : les uns, parce qu’ils ont financé à moindre coût leur dépenses ; les autres, parce qu’ils ont effectué un placement de « père de famille ». La dette publique française est demandée et es marchés font confiance à la signature de l’Etat français, ce dont témoignent de bas taux d’intérêt longs.

Se pose certes le problème de la détermination du niveau adéquat de la dette. Celui-ci n’a aucune raison d’être stable en pourcentage du PIB. Par exemple, une population qui vieillit peut avoir besoin d’une dette publique plus importante, d’autant plus que la pérennité des retraites assurée par le système public par répartition est mise en cause. Tant que la dette apparaît désirée, qu’il est possible de l’émettre à de bas taux d’intérêt, qu’elle ne provoque ni tensions inflationnistes, ni déficit extérieur, il n’y a pas de preuve qu’elle est excessive.

Pourquoi la dette a-t-elle augmenté ?

Il existe deux grandes familles d’explications du niveau des dettes publiques en France ou en Europe. Selon la première, dans laquelle s’inscrit le rapport Pébereau, la croissance de la dette publique serait la conséquence d’un biais dépensier et démagogique des gouvernements. Ceux-ci auraient tendance à faire trop de dépenses pour satisfaire certaines fractions de leur électorat, sans augmenter les impôts en contrepartie. Ils utiliseraient la politique budgétaire à mauvais escient, à des fins électoralistes et non à des fins de régulation. Ils ne feraient pas les efforts nécessaires en période de bonne conjoncture. Chaque administration se donnerait comme objectif d’augmenter ses effectifs et ses moyens, sans souci d’efficacité et de productivité. Aussi, le déficit public serait-il en permanence trop élevé, conduisant à une trop forte accumulation de dette.

Le déficit public serait donc une cause autonome de déséquilibre macroéconomique. Il ponctionnerait l’épargne, qui ne serait plus disponible pour l’investissement. Le déficit nuirait à l’accumulation du capital, donc à la croissance future. Ce mécanisme n’est guère observé : de 2002 à 2005, au contraire, les taux d’intérêt de court et de long terme ont été au plus bas, malgré le gonflement des déficits publics, en Europe comme aux Etats-Unis et au Japon. Le Japon ou les Etats-Unis ont à la fois un fort déficit, une forte dette publique et de bas taux d’intérêt. L’augmentation des dettes française et allemande n’a pas eu d’effet sur les taux d’intérêt ou sur les taux d’inflation. Dans la zone euro, le taux d’intérêt de long terme était de 4 % à la mi-2006, soit approximativement le niveau attendu pour le taux de croissance du PIB en valeur. Il est difficile de prétendre que ce niveau nuise à l’investissement.

Certains dénoncent les charges d’intérêt comme une dépense particulièrement anti-redistributive puisque les intérêts sont versés aux plus riches. Comme noté plus haut, leur poids effectif est faible, sauf si on se donne comme objectif de réduire le niveau de la dette. De plus, cet objectif peut être atteint de deux façons. Soit les arbitrages budgétaires sont défavorables aux dépenses sociales, qui sont réduites pour diminuer le déficit public ; soit l’effort porte sur les ménages disposant des revenus et des patrimoines les plus élevés, qui détiennent la dette, qui reçoivent les intérêts, et à qui l’Etat peut demander collectivement de rembourser la dette, en particulier par l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune. L’effet anti-redistributif disparaît alors. Le pouvoir d’influence des différents groupes sociaux est donc au coeur de l’arbitrage politique et social qui apparaît si l’Etat se donne comme objectif d’aboutir à une dette nulle.

Le second type d’explications conçoit les déficits et les dettes publics comme des conséquences de la situation macroéconomique, et non plus comme la cause de celle-ci. En période d’incertitude ou de pessimisme des entrepreneurs, la demande privée peut être insuffisante pour maintenir le plein emploi. La politique optimale consiste à faire baisser le taux d'intérêt jusqu'à ce que la demande soit suffisamment relancée ; cette politique a l’avantage de ne pas augmenter la dette publique, de favoriser l’accumulation du capital et de réduire le taux de profit exigé par les entreprises pour investir. Toutefois, elle peut entraîner une accumulation excessive de dettes de la part des entreprises et des ménages. En sens inverse, la baisse des taux peut être inefficace, en période de forte dépression, où les agents privés sont réticents à s’endetter. Elle peut se révéler insuffisante, en particulier parce qu'il y a un plancher à la baisse des taux d'intérêt nominaux, donc réels : à la fin des années 1990, au Japon, le taux d’intérêt au jour le jour fut fixé à 0, ce qui aboutit à un taux de base des banques commerciales de l'ordre de 3 % et à un taux réel du crédit de 4,5 % (compte tenu d’une baisse des prix de 1,5 % l’an). Elle peut se révéler impraticable dans la zone euro où le taux d’intérêt commun ne peut ajuster les conjonctures différentes des douze Etats membres. Pour obtenir un niveau de demande satisfaisant, le gouvernement doit alors accepter un certain déficit budgétaire.

Un tel déficit nécessaire pour soutenir l’activité n’a aucun effet d’éviction des dépenses privées : il ne provoque pas de hausse du taux d'intérêt, puisque par définition le taux d'intérêt est à son plus bas niveau possible. Il ne pose pas a priori de problème de soutenabilité : si l'accumulation de dette publique amène les agents à augmenter leurs dépenses, l’Etat pourra réduire son déficit du montant nécessaire.

Dans cette optique, la croissance des dettes publiques est un phénomène macroéconomique qui a deux causes : une demande privée insuffisante et des taux d’intérêt trop élevés par rapport à la croissance économique. Si le rapport Pébereau préconise une action énergique de réduction du déficit jusqu’au retour à l’équilibre, conformément aux engagements européens de la France, nous soutenons, au contraire, que la baisse des dépenses publiques se traduirait inéluctablement par un effet dépressif sur la croissance, qui tendrait paradoxalement à creuser le déficit (conjoncturel). L’objectif de la politique économique doit être avant tout de combler le déficit de production par rapport à un niveau permettant de résorber le chômage (nous estimons ce déficit de production à 2,5%).

Imaginons que les pouvoirs publics, grâce à une poussée de croissance ou en renonçant à certaines baisses d’impôt, disposent d’une marge de manoeuvre de deux points de PIB. Quelle serait la meilleure stratégie ? Consacrer ces deux points de PIB au désendettement ou au contraire à la recherche, l’enseignement et la formation. Présentée autrement : est-ce le moment d’affaiblir encore les espoirs de reprise ou faut-il tout mettre en oeuvre pour la pérenniser ? Préconiser que l’Etat réduise ses dépenses, comme le ferait une entreprise privée, voire un ménage, c’est oublier que l’Etat n’est pas une entreprise privée, qu’il ne dispose pas des mêmes contraintes, du même horizon et, surtout, que son rôle dans la société est d’y pratiquer une politique de régulation, consistant précisément à soutenir l’activité des entreprises privées quand celles-ci sont affaiblies.

Faut-il réduire les dépenses publiques ?

Selon la première famille d’explications du niveau élevé de la dette française, les déficits ne proviendraient pas des nécessités de la régulation macroéconomique, ni des nécessités du financement du modèle social français, mais d’une mauvaise gestion des finances publiques, de pratiques politiques et collectives qui tendent à faire augmenter sans limites les dépenses publiques. Cette tendance n’est cependant pas apparente depuis 1984 (tableau 3) où les dépenses publiques ne progressent guère plus vite que le PIB3.


Tableau 3. Evolution des dépenses publiques En %

Bien sûr, une gestion rigoureuse des finances publiques et certains redéploiements de dépenses sont nécessaires. Mais, comme dans le cas de la dette, les dépenses publiques sont demandées par les Français, qui souhaitent une école, une justice, une police, des infrastructures de qualité, des dépenses de santé gratuites, une retraite publique d’un niveau satisfaisant. Il faut aider les chômeurs, les exclus, les quartiers en difficultés, les entreprises innovantes et celles en difficultés.

Dépenses publiques et socialisation

Le système de dépenses publiques français est caractérisé par l’existence de retraites publiques par répartition, de prestations familiales, de prestations publiques de santé, d’allocation chômage, de prestations d’assistance (RMI, minimum vieillesse, allocation logement), par l’éducation gratuite et par de fortes subventions à la culture. La France n’a pas effectué, jusqu’à présent, de choix entre les prestations de solidarité, les prestations d’assurance et les prestations universelles : elle fournit les trois. Cette caractéristique, que l’on retrouve peu ou prou dans les pays d’Europe continentale, diffère du modèle anglo-
3 En fait, la hausse de la part des dépenses publiques date des années 1974-1984 quand, face à la crise, certaines dépenses sociales ont explosé (chômage, retraite), tandis que d’autres ont continué sur leur lancée alors que la croissance ralentissait.

saxon. Aussi, toute baisse importante du taux de prélèvement obligatoire, qui suppose une baisse équivalente des dépenses publiques, passe par une privatisation, sous une forme ou une autre, de dépenses profitant directement aux ménages. Soit, celles-ci sont totalement privatisées, au détriment des plus pauvres. Soit, elles sont réservées aux plus pauvres, les autres devant s’adresser au marché ; dans ce cas, les perdants sont les classes moyennes, qui doivent contribuer au financement des plus pauvres, tout en payant leurs propres dépenses.
En moyenne, un pays continental européen se caractérise par des dépenses publiques primaires représentant environ 45 % du PIB, réparties entre 11 points pour les retraites ; 8 pour la santé ; 3 pour le chômage ; 3 pour l’ensemble famille-logement-pauvreté ; 6 pour le poste éducation-culture ; 3 pour les subventions économiques ; 8 pour les dépenses collectives ; 3 pour les dépenses en capital (tableau 4).


Tableau 4. Source : Eurostat

Les pays de l’Union européenne se caractérisent aussi par un niveau élevé de fiscalité. Le taux de prélèvement obligatoire en Europe est de l’ordre de 40% du PIB contre 25% au Japon ou aux Etats-Unis. Celui-ci permet de financer le modèle social européen, caractérisé par un montant important de dépenses publiques et de transferts. Il est donc difficile de résister à la hausse des dépenses publiques. Par ailleurs, les pays européens continuent de faire financer les dépenses publiques par les citoyens selon leur capacité contributive. Au nom de la justice sociale, ceux qui perçoivent les plus hauts revenus ou détiennent du patrimoine – ils bénéficient le plus de l’organisation sociale–, paient plus pour les dépenses collectives. Les impôts servent donc à réduire les inégalités sociales. La préservation de la capacité de chaque pays à collecter des ressources fiscales, selon des règles démocratiquement décidées, est donc cruciale pour les pays européens.

Collectivités locales et protection sociale

La forte hausse des dépenses publiques de 1980 à 2004 (8 points de PIB) est attribuable aux dépenses de Sécurité sociale (4,4 points) et à celles des administrations publiques locales (3,4 points). Les dépenses de l’État sont en 2004 au même niveau qu’en 1980 à 16,8 % du PIB4.

La forte croissance des dépenses des collectivités locales (10,6 % du PIB en 2004) est en partie due à la décentralisation et aux transferts de compétence des années 1980. L’investissement des collectivités locales, qui atteint près de 70 % de l’investissement public, représente plus de 21 % de leurs dépenses. Les collectivités locales ont la charge d’une partie du réseau routier, des bâtiments scolaires, des infrastructures locales, des logements sociaux, des services publics locaux (collecte des déchets, éclairage, eau). L’État pilote néanmoins une partie de l’investissement local via ses subventions : un tiers des dépenses des collectivités locales sont en effet financées par des dotations de l’État.
Le gouvernement Raffarin a fait voter en août 2004 une loi de décentralisation qui transfère aux départements et aux régions un certain nombre de compétences (gestion du RMI et de l’Aide personnalisée d’autonomie, aides au logement, formation des travailleurs sociaux…). En contrepartie, l’État leur a transféré une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ; les départements et les régions seront autorisés à fixer, dans certaines limites, le taux de cette taxe. Reste que les transferts ne couvrent pas toujours le montant croissant des dépenses et que des inégalités entre les collectivités riches et pauvres apparaissent. En matière sociale, le partage des rôles entre les départements et les CNAF reste encore problématique.

La hausse des prestations et dépenses sociales de 1980 à 2005 constitue 70 % de l’augmentation de l’ensemble des dépenses publiques, l’autre principal poste d’augmentation étant les charges d’intérêts payés sur la dette publique. La rémunération des fonctionnaires n’a contribué qu’à une augmentation de 0,7 point de PIB de la dépense publique en l’espace de 25 ans, représentant 13,3 points de PIB en 2005 ; l’investissement public est au même niveau qu’en 1980 (3,3 points de PIB).

Les dépenses sociales sont élevées en France car de nombreux risques sont couverts collectivement dans une logique d’assurance sociale. Le système de protection sociale assure des pensions de retraite quasi proportionnelles aux salaires perçus durant la carrière5, fournit une assurance maladie à l’ensemble des résidents, et verse des prestations familiales dont la moitié sont sous conditions de ressources. Il assure aussi des prestations d’assistance : RMI, CMU, allocation logement, etc. (tableau 5).


Tableau 5. Prestations sociales en France en 2004 En % du PIB

La majeure partie des prestations a été très peu revalorisée depuis quinze ans. De juillet 1992 à juillet 2005, le montant du RMI n’a augmenté que de 4,5 % en pouvoir d’achat, soit nettement moins que le SMIC ou le salaire moyen (cf. tableau 6). Les familles au RMI sont en dessous du niveau de pauvreté (évaluée à 50 % du revenu médian). La promotion du RMI n’est plus un objectif de la politique sociale, qui se concentre plutôt sur les incitations au travail par la revalorisation de la PPE. De même, de 1992 à 2005, le pouvoir d’achat des allocations familiales a diminué de 3 % (tableau 6) Ceci marque un net recul de la redistribution en faveur des familles.

Le système d’assurance chômage prélève une cotisation de 6,4 % du salaire (jusqu’à 4 fois le plafond de la Sécurité sociale) pour distribuer une allocation qui va d’un minimum de 25 euros par jour à un maximum de 57,4 % du salaire de référence. D’un côté, le système est redistributif : le taux de remplacement net va de 97 % (pour les travailleurs au SMIC) à 65 % (pour quatre fois le plafond) ; de l’autre, le montant du minimum n’a pas été revalorisé en termes réels depuis juillet 1992, alors que durant la période le plafond a augmenté de 10,4 %.


Tableau 6. Evolution en termes réels de juillet 1992 à juillet 2005

Quelles marges de manoeuvre ?

En décembre 2006, le gouvernement français a fourni à Bruxelles un plan de programmation des finances publiques portant sur 4 années (2008-2010). Cette programmation pluriannuelle comporte deux scénarios d’évolution des finances publiques, qui se distinguent par le rythme de croissance de l’économie. Dans les deux scénarios, les taux de prélèvements obligatoires diminuent légèrement entre 2007 et 2010 (-0,2 point de PIB) et la dépense publique en volume croît en moyenne de 0,5%-0,6% par an. Le premier scénario, dit « bas » fait l’hypothèse d’une croissance de 2,25% dans les années à venir. Le déficit structurel se réduit de 2,5 points de PIB en trois ans. Le scénario projette un retour à l’équilibre des finances publiques en 2010 et une dette publique à 58% du PIB à l’horizon de la projection.

Dans le second scénario, dit « haut », la croissance est de 3% l’an. Le solde public atteint l’équilibre en 2009 et présente un excédent en 2010. La dette publique atteint 55% du PIB en 2010. La réduction du déficit structurel serait de 3,3 points de PIB en trois ans. Le rapport remis à la Commission préconise donc de revenir à l’équilibre des finances publiques préalablement à toute relance budgétaire. Pourquoi faudrait-il cependant atteindre préalablement l’équilibre budgétaire, qui est un objectif coûteux et sans réelle signification économique ? Compte tenu du coût économique actuel de la dette publique accumulée en France depuis trente années (cf. supra), un tel sacrifice est inutile. Pire, il serait préjudiciable à l’économie française.


Tableau 7. Les scénarios de finances publiques

Au regard des tendances du passé, l’objectif que s’est fixé le gouvernement en terme de dépenses publiques serait particulièrement difficile à atteindre. Le rythme de croissance moyen des dépenses publiques en volume entre 2002 et 2005 a été de 2,5%, soit un point de plus que la croissance du PIB. Sur plus longue période, c'est-à-dire depuis 1983, date à laquelle la France a mis en place une politique de rigueur, la croissance annuelle moyenne des dépenses publiques se situe à 2,6%. L’infléchissement nécessaire pour atteindre l’objectif du programme pluriannuel est donc important (graphique 3).


Graphique 3. Dépenses publiques (en volume, déflatées par le prix du PIB) pluri-annuel

La réduction du déficit structurel opérée depuis 2002 s’est faite grâce à la hausse des prélèvements obligatoires (0,9 point de PIB de 2002 à 2005) et non par une réduction de la dépense publique. Pour atteindre l’objectif affiché dans le programme pluriannuel, le gouvernement table sur une stabilisation progressive des dépenses de l’Etat, en euros courants, sur une modération du rythme de croissance des dépenses des collectives locales (2% en volume en moyenne annuelle) et sur un net ralentissement des dépenses sociales (1,0 % en volume en moyenne annuel) grâce à l’infléchissement des dépenses de l’ONDAM (0,4% en volume) et la baisse des prestations chômage (-5,2% en volume) avec le retour au plein emploi. Si l’objectif annoncé en matière de santé est atteint, ce serait la première fois depuis 1999 que les dépenses maladie afficheraient un rythme de croissance inférieur à celui du PIB. De 2001 à 2005, les dépenses de santé ont en effet crû en moyenne de 2,4 points de plus que le PIB.

L’objectif que s’est fixé le gouvernement en matière de santé est donc ambitieux au regard du passé récent. De plus, à partir de 2006, date à laquelle les premières générations nombreuses du baby-boom atteignent l’âge de 60 ans, la part des personnes de plus de 60 ans dans la population totale devrait s’accroître sensiblement : la part des plus de 60 ans qui était pratiquement stable (20,6% en 2000, 20,8% en 2005) passerait à 22,7% en 2010. Sous l’effet de la déformation de la pyramide des âges, les effets du vieillissement se feront progressivement sentir, entraînant des dépenses supplémentaires pour les branches «vieillesse » et « maladie ». Enfin, comme le montre la Cour des comptes, les précédents programmes pluriannuels ont systématiquement surestimé la capacité de maîtrise de la dépense : les dépassements ont représenté en moyenne 0,9% par an.

En outre, le scénario de croissance retenu est complètement indépendant de la politique budgétaire pratiquée. Or, les impulsions budgétaires négatives annoncées (entre 0,8 et 1,1 point de PIB par an selon le scénario) auraient des effets restrictifs sur la croissance de l’économie. Compte tenu de la politique budgétaire annoncée, il faudrait que les rythmes de croissance spontanée de l’économie soient de l’ordre de 3% dans le cas du scénario « bas », de 4%, dans le cas du scénario « haut ». Durant les 25 dernières années, la croissance française a été 5 fois supérieure à 3% et seulement 2 fois à 4%. La probabilité d’un scénario de croissance de 3%, voire de 4%, durant 3 années de suite est donc très faible.

Les hypothèses macroéconomiques retenues dans le programme pluriannuel des finances publiques semblent donc difficilement tenables au regard des tendances passées. Outre le fait qu’elles représentent une rupture forte avec le passé, l’information contenue dans cet exercice prospectif est limitée car les scénarios retenus ne reposent pas sur un bouclage macroéconomique cohérent, la projection volontariste des finances publiques étant traitée comme un élément indépendant et sans conséquences sur le reste de l’économie.


Note de lecture:

Difficile de soutenir que les dépenses publiques en France soient si élevées par rapport aux autres pays: 54% par rapport aux 45% en moyenne européenne (lien). Cet article de l'OFCE n'aborde pas le fond du problème à savoir la multitude de "machins" à utilité réduite, nulle ou nuisible dans l'ensemble État, collectivités territoriales et système de santé. C'est ce que fait le rapport Pébereau, en se référant aux nombreux rapports de la cour des comptes et des cours régionales des comptes (lien). Il en est de même du think-tank l'iFRAP (lien) et de l'association nationale "contribuables associés" (lien).

Les dépenses publiques sont pour l'essentiel les salaires du personnel (#70%); c'est pourquoi le gouvernement essaie de les réduire par la règle du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux en se basant leur nombre pléthorique ou par la réduction du nombre des enseignants en se basant sur le vieillissement de la population et la baisse du nombre de jeunes à éduquer. On connaît partout des structures dont on se demande quelle est l'utilité réelle; des structures avec du personnel au statut de fonctionnaire (emploi à vie et revenus garantis à la hausse régulière par le jeu des indices et de l'augmentation annuelle), ou des contractuels venant du privé mais avec des salaires ajustés par des primes... Une fois créés, les structures et les postes corresponants sont quasiment impossibles à supprimer!

L'État providence Français est financé par le déficit public depuis plus de 30 ans; un déficit récurrent qui augmente la dette publique d'année en année. C'est pour atténuer le chômage désespéremment élevé? ce qui expliquerait pourquoi la crise a moins affecté la France que les autres pays européens! mais au prix d'une aggravation du déficit et de la dette. Tant que la croissance du PIB permettait d'absorber un déficit récurrent et d'avoir une dette stable en % du PIB, le problème de la dette restait gérable par l'Agence France Trésor avec les taux d'intérêt du marché. C'est cela qui est rompu aujourd'hui par la persistance de la crise, par les recettes fiscales en baisse, les cadeaux fiscaux effectués à perte dans l'espoir d'améliorer la croissance et les recettes fiscales. La France sera bientôt sous la pression des marchés pour sa dette, ce que le rapport Champsaur indique (lien)

Mis en ligne le 03/09/2011