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Athlétisme : la couleur de peau ne fait pas le sprinteur

A l'occasion des Championnats du monde d'athlétisme (du 27 août au 4 septembre), Pierre-Jean Vazel nous livre son analyse sur la compétition. Il s'intéresse ici sur le mythe d'un sprinteur noir plus rapide que le blanc.

Par Pierre-Jean Vazel (à Daegu)

Publié le 02 septembre 2011 à 18h04, modifié le 04 septembre 2011 à 14h59

Temps de Lecture 7 min.

Christophe Lemaitre est en train de battre en brèche les clichés sur la supposée supériorité des sprinteurs noirs sur les sprinteurs blancs.

A l'occasion des Championnats du monde d'athlétisme (du 27 août au 4 septembre), Pierre-Jean Vazel, entraîneur de Christine Arron (lire son portrait), nous livre son analyse sur la compétition et ses à-côtés.

Un Blanc dans une finale de 100 m, c'est aussi rare qu'un Noir en finale du saut à la perche, et pourtant tout arrive : les Cubains Lázaro Borges et Yarisley Silva se sont bien hissés parmi les meilleurs perchistes lors des Championnats du monde d'athlétisme à Daegu. Comme Christophe Lemaitre sur 100 m, imité seulement par la Bulgare Ivet Lalova chez les femmes. Et ce n'est pas fini pour le Français. Il vient de doubler la mise en se qualifiant pour la finale du 200 m (samedi, 14 h 20, heure française). Pourquoi cette disparité par disciplines sportives entre couleur de peau et résultats ?

La question a été relancée depuis que Lemaitre est devenu l'an passé le premier athlète blanc, non originaire des Etats-Unis, des Caraïbes ou d'Afrique, à descendre sous les 10 secondes au 100 m. En dépit de tous ses efforts consentis pour obtenir les meilleurs résultats sportifs durant la guerre froide, l'ex-bloc de l'Est a échoué dans cette conquête. Pourtant, plusieurs de leurs ambassadeurs sportifs ne sont pas passés loin. Aux Jeux de 1972, le soviétique Valériy Borzov coupe à quelques mètres de la ligne lors de son quart de finale couru en 10 s 07. Encore plus proche, le Polonais Marian Woronin, dont les 9 s 991 sont arrondis au centième supérieur (10 s 00) ainsi que s'applique le règlement du chronométrage. Détenteur du record du monde juniors du 60 m en salle avec 6 s 53 en 1988, l'Allemand de l'Est Sven Matthes ne concrétisera pas les espoirs placés en lui, en restant bloqué à 10 s 11. Record d'Europe espoirs que lui chipera Lemaitre vingt et un ans plus tard.

Matthes ne lui en tient pas rigueur, bien au contraire : "Ça me fait tellement plaisir qu'un athlète blanc ait finalement franchit la barrière, comme si c'était moi qui l'avait fait", s'extasie le Berlinois, aujourd'hui responsable dans une agence d'assurance. "Il a réussi ce que moi et d'autres n'avons pas pu faire. Pour ma part, je n'ai ni eu le temps ni la motivation pour poursuivre ma carrière." Matthes a vingt ans lorsque chute le mur de Berlin. "Ensuite, je me suis retrouvé le seul ancien Est-Allemand en sprint et la nouvelle fédération m'a laissé tombé, alors j'ai pris ma retraite en 1992." Pour lui, c'est sûr, Lemaitre peut aller encore plus vite : "Il a un tel talent que j'espère qu'il fera moins de 9 s 90. Il ne devra pas progresser qu'en force, mais surtout en coordination." Un conseil que l'on pourrait donner aux athlètes de toutes origines…

QUESTION DE GÉNOTYPE

La question a nourri la polémique depuis que le sport existe. En marge des Jeux olympiques de 1904 à Saint Louis, furent organisés les "Journées anthropologiques", au cours desquelles participèrent Pygmées, Philippins, Patagoniens et diverses tribus amérindiennes, sans préparation, à des courses et des concours pour en comparer les résultats avec ceux des sportifs blancs. Inutile de s'étendre sur les conclusions de cette étude scientifique. Au cours du XXe siècle, l'approche épistémologique des sciences du sport évolue parallèlement avec les nouvelles technologies. Des statistiques ethniques et des mesures anthropométriques sont pratiquées lors des Jeux olympiques de 1960, 1968 et 1976. Aujourd'hui, les recherches en génétique tentent, sans succès probant pour l'instant, de déterminer quel génotype correspond à tel type d'effort sportif.

Au moment de l'affaire des supposés quotas ethniques dans le football français et des déclarations opposant les joueurs "physiques" aux joueurs "techniques", j'avais compilé quelques statistiques pour tordre le coup aux préjugés. La morphologie d'abord. Dans ma base de données de plus de trois cents athlètes ayant couru sous les 10 s 30, la taille et la masse moyennes des sprinteurs noirs (1 m 801 pour 76 kg) est quasiment identique à celle des sprinters blancs (1 m 803 pour 75,2 kg), ainsi que leur indice de masse corporelle (23,4 et 22,2 respectivement). La force physique ? En comparant les records en musculation et les tests de sauts de deux groupes de trente-trois sprinters chacun (record personnel moyen : 10 s 14), on retrouve les mêmes résultats, sauf pour le développé-couché où les Noirs soulèvent 17 kg de plus en moyenne. Concernant les données techniques de la course elle-même, les temps de réaction enregistrés aux Championnats du monde depuis 1997 sont identiques (0,152 s). La longueur de foulée est deux centimètres plus courte seulement pour les Blancs, compensée par une fréquence à peine plus élevée (4,57 foulées par seconde contre 4,52).

MÉTHODES D'ENTRAÎNEMENT

Pour Ivet Lalova, la sprinteuse "caucasienne" la plus rapide de l'histoire (10 s 77, à égalité avec Privalova), ces très légères différences sont dues aux méthodes d'entraînement. "C'est de là que vient la domination des Américains et des Jamaïquains", estime-t-elle. Pas vraiment passionnée par le sujet, elle me donne toutefois des éléments très éclairants : "Mais leur façon de se préparer ne convient peut-être pas aux Européens à cause du climat, du mode de vie et de théories d'entraînement distinctes." En effet, les pays anglophones, où l'on retrouve le plus de sprinteurs noirs, ont basé leurs méthodes sur le"tempo endurance", c'est-à-dire la répétition de courses longues, et reçu l'influence du football américain depuis les années soixante. Ce qui explique le développement musculaire du haut du corps et les meilleurs records au développé-couché. Tandis que les pays de l'Est se sont orientés vers la spécificité, en choisissant des exercices imitant le geste de compétition. Ainsi, les Cubains (sous influence soviétique), bien que quatre fois plus peuplés que les Jamaïquains, ont produit quatre fois moins de sprinters sous les 10 s 20.

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"Il y a une autre grande différence, c'est la technique de course", poursuit Lalova, qui possède une grande expérience de l'entraînement à l'étranger et qui s'entraîne désormais en Italie. "Les Américains et les Jamaïquains la travaillent énormément et ils arrivent à développer un très beau geste. En Europe, et surtout à l'Est, personne ne travaille cet aspect." Ceci va effectivement à l'encontre des idées reçues. "La raison pour laquelle il y avait davantage de sprinteurs blanc venant de RDA ou d'URSS est que tout le bloc de l'Est avait un système sportif très élaboré. Tout cela a disparu." Les changements géopolitiques au tournant des années quatre-vingt-dix ont changé la donne. "Mon pays était dans le haut du classement, et maintenant on est vers le bas. A Daegu, nous n'avons même plus les moyens d'amener un kiné dans notre équipe. Ceci, ajouté à des dizaines d'autres détails, creuse un fossé énorme."

LA FORCE DE L'EXEMPLE

Frankie Fredericks, quadruple médaillé olympique, m'explique en marge de la présentation des légendes de l'IAAF qu'il n'est pas emballé par la question, mais son parcours personnel lui fait croire que les réponses ne se trouvent vraiment pas dans la pigmentation de l'épiderme. "Je viens de la Namibie, un petit pays où les sprinteurs blancs gagnaient tout le temps", me raconte-t-il. Durant la période de l'occupation sud-africaine, la Namibie a bien sûr connu les lois de l'apartheid. Sa carrière a éclos après l'abolition des lois ségrégationnistes, mais les préjugés se sont lentement dissipés. "Je ne me préoccupais de rien d'autre que de courir, j'ai progressé, remporté des titres et plus de Noirs m'ont suivi par la suite. Alors les choses peuvent changer. Tout se passe dans la tête des gens. Maintenant que Christophe [Lemaitre] court le 100 m en moins de 10 secondes – et très bientôt le 200 m en moins de 20 secondes évidemment – d'autres jeunes vont se mettre à pratiquer le sprint, parce qu'ils vont croire qu'eux aussi peuvent courir vite. Ils ont vu la finale du 100 m et ça va les faire réfléchir. C'est comme ça que les choses évoluent."

Lemaitre a réalisé le meilleur temps des demi-finales du 200 m avec 20 s 17. Surtout, il a effectué le meilleur virage de sa carrière (chronométré en 10 s 42 avec une camera à grande vitesse), ce qui montre ses progrès. Bien qu'Usain Bolt et Walter Dix semblent au-dessus du lot, le Français peut inquiéter le Jamaïquain et l'Américain dès demain. Lalova l'espère : "Je n'ai pas de mots pour dire combien je le trouve talentueux quand je le vois courir. Il représente l'Europe dans l'épreuve reine et ce qu'il a déjà accompli restera pour toujours dans l'histoire du sport. J'espère qu'il fera une médaille car il le mérite bien !" Fredericks y croit : "Il a très bien couru aujourd'hui et a de grandes chances pour être sur le podium. Je ne suis pas certain que sa meilleure distance soit le 200 m. S'il se convainc qu'il peut devenir un grand partant et qu'il arrête de se reposer sur son finish, il remportera un titre majeur sur 100 m. Comme Bolt lorsqu'il a fait oublier ceux qui disaient que sa grande taille était un désavantage."

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