L'Elysée annonce 16 milliards d'euros de contrats avec Pékin. Ici, la signature de ces accords avec les présidents Hu Jintao et Nicolas Sarkozy, le 4 novembre à Paris.

L'Elysée annonce 16 milliards d'euros de contrats avec Pékin. Ici, la signature de ces accords avec les présidents Hu Jintao et Nicolas Sarkozy, le 4 novembre à Paris.

L'Express

En 2008, Nicolas Sarkozy tenait un discours relativement musclé face aux autorités chinoises. Aujourd'hui, il reçoit le président chinois en grande pompe en France... Que pensez-vous de ce contraste?

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Ce n'est pas une surprise. Le président français a tenté de jouer au fin stratège en exigeant une rencontre entre les Chinois et le dalaï-lama, faute de quoi il boycotterait la cérémonie d'ouverture des JO. Il s'est finalement rendu à la cérémonie d'ouverture. Mais sa communication brouillonne a été dramatique: les bloggueurs, pas plus que le régime, n'ont apprécié sa tactique impulsive et peu réfléchie, quand bien même il s'agissait de défendre la cause tibétaine.

Nicolas Sarkozy en a tiré les conclusions, visiblement, et la crise économique est passée par là. La Chine apparaît aujourd'hui comme le grand banquier du monde, le seul à même de sauver le capitalisme, le grand marché sur lequel nos entreprises vont trouver des débouchés... Les Chinois représentent un cinquième de la population mondiale et leurs besoins en infrastructures sont énormes, c'est vrai. Du coup, le monde s'extasie devant le fabuleux portefeuille de Pékin.

D'où l'insistance sur la signature de gros contrats...

Oui, on fait de gros efforts de communication pour nous faire miroiter des contrats mirobolants... Mais on berne le contribuable français! Même si nous leur vendons pour 16 milliards d'euros de centrales nucléaires ou d'avions, l'opération sera blanche. L'enveloppe ne pourrait même pas éponger le déficit commercial annuel de 22 milliards d'euros entre nos pays (lire l'encadré), creusé à coups de produits chinois qui inondent l'économie française et qui coûtent chaque année moins cher. Or des contrats de cette ampleur ne sont pas signés tous les ans.

Notre économie n'est pas la seule à subir ce flot: avec un yuan faible, la Chine inonde aussi les marchés des pays émergents d'Afrique, d'Amérique latine ou d'Asie du sud-est. Des pays qui s'en sortiraient mieux si le yuan était un peu plus fort. Et les accords que Pékin signe, notamment en Afrique, sont toujours à son avantage. La Chine vassalise progressivement le monde et nous passons totalement à côté de ses visées hégémoniques.

On donne l'impression de ne pas pouvoir survivre sans eux mais c'est l'inverse. Et notre attitude servile, depuis une trentaine d'années, nous rend finalement complices de cette dictature.

En quoi sommes-nous, à vos yeux, complices du régime chinois?

Ils sont 300 millions d'ouvriers chinois à tirer la langue depuis 30 ans, en espérant un jour recevoir leur part du gâteau. Non seulement ces gens sont surexploités, mais ils le sont de plus en plus. La population est à bout: pourquoi croyez-vous que le gouvernement répète à l'envi qu'il faut maintenir la stabilité sociale?

Quand nos entreprises travaillent là-bas, quand nous consommons des produits fabriqués là-bas, nous devenons des alliés objectifs d'une dictature qui n'autorise pas les syndicats et ne laisse aucune liberté d'expression. Ne pas dénoncer ces conditions pourrait être perçu comme du racisme de la part des Chinois. Notre manque d'empathie à leur égard les choque: de quel droit accepterait-on cette situation en Chine quand on la dénonce dans d'autres pays?

Mais la France a-t-elle les moyens de se passer d'un partenariat avec la Chine?

Non, cela va de soi. Mais il faudrait au moins qu'on soit partenaire avec la société chinoise.

Peut-on se permettre de faire passer le thème des droits de l'homme en Chine au second plan, alors même que le prix Nobel pour la paix vient d'être attribué à Liu Xiaobo, dissident emprisonné par Pékin?

Ce prix Nobel s'adresse plus à nous qu'à la Chine, qui n'est pas près de libérer Liu Xiaobo, en vérité (lire l'encadré)! Parler des droits de l'homme serait déjà la moins mauvaise des solutions... Mais notre servilité vis-à-vis de Pékin nous décrédibilise. Comparez vous-même... Si l'on conclue des contrats avec le Mexique, tout en critiquant la violence qui sévit dans ce pays, c'est un fait. Si on fait de même pour la Chine, si on évoque les violations des droits de l'homme, on nourrit le sentiment anti-chinois, conclura Pékin en brandissant la menace de représailles. Représailles qui dureront trois semaines, avant un retour à la normale et au business.

Alors quelle attitude adopter envers la Chine?

Notre attitude puérile ne mène à rien. Il faut faire pression pour que la Chine applique les textes internationaux qu'elle a signés [notamment la charte des Nations-Unies, ndlr] et tenir un langage clair et précis. Prenons l'exemple d'Angela Merkel: la chancelière allemande tient régulièrement tête à Pékin. Récemment, elle a obtenu que Liao Yiwu, un écrivain chinois à succès en Allemagne, puisse sortir du territoire chinois, ce qui lui avait maintes fois été refusé, pour rencontrer son public allemand. La Chine a compris la demande de Berlin, courtoise mais ferme.

Pour revenir à la France, si nous vendons des EPR à la Chine, ce n'est pas parce qu'on a gentiment évité d'évoquer les droits de l'homme. Mais parce que Pékin en a besoin.

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