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"Il faut une loi pour protéger les lanceurs d'alerte"

Alors que Pierre Meneton est jugé pour diffamation, jeudi, pour avoir dénoncé le poids des lobbies dans le domaine de la santé, André Cicolella, chercheur en santé environnementale à l'Ineris, explique comment aujourd'hui, en l'absence de loi, des pressions s'exercent à la fois sur les scienfiques et les citoyens.

Par Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmoulières

Publié le 29 janvier 2008 à 20h04, modifié le 13 mars 2008 à 16h13

Temps de Lecture 4 min.

Chercheur en santé environnementale à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et père de la fondation Sciences citoyennes, André Cicolella revient sur le cas de son collègue Pierre Meneton, chargé de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui est traduit en justice, jeudi 31 janvier, pour avoir dénoncé le poids des lobbies dans le domaine de la santé. 

Pourquoi Pierre Meneton est-il poursuivi ?

Il est poursuivi en diffamation par plusieurs représentants des producteurs industriels de sel, dont le Comité des salines de France, pour avoir dit dans une interview, en mars 2006, que "le lobby des producteurs de sel et du secteur agroalimentaire industriel est très actif. Il désinforme les professionnels de la santé et les médias ". C'est cette phrase qui lui est reprochée.

Pourtant, cela semble connu que le sel peut être dangereux pour la santé ?

C'est connu mais les avis officiels n'ont été publiés qu'après la mise sur la place publique de cette question, notamment grâce à l'intervention de Pierre Meneton. C'est lui qui a critiqué les premières expertises faites par l'Afssa [Autorité française de sécurité sanitaire des aliments] en disant que cette expertise n'avait pas été conduite selon les règles de la déontologie et qu'on ne pouvait pas se contenter de conclusions disant "il y a un doute" ou "on ne savait pas". La preuve d'une intervention régulière de l'industrie du sel sur les expertises en matière d'impact du sel sur la santé est avérée. On le démontrera assez facilement jeudi 31 janvier devant le tribunal.

Que fait la France pour limiter le sel dans l'alimentation ?

Il y a quelques chiffres qui éclairent bien l'enjeu. Actuellement, on est à 10 g de sel consommés par jour en France. Si on passe à 6 g par jour, on réduit de 22 % les accidents vasculaires cérébraux et de 16 % les infarctus, selon les estimations des experts. Du point de vue de la santé publique, c'est colossal. On peut avoir des gains sur la santé importants à partir d'une réduction assez limitée.

Cela passerait principalement par une réduction du sel mis dans l'alimentation industrielle. C'est le "sel caché" qui est important et non celui que l'on rajoute avec sa salière. En France, l'objectif de réduire la part de ce "sel caché" est bien dans la loi sur la santé publique. Il y est justement grâce à Pierre Meneton qui a alerté les parlementaires, l'objectif ayant été écarté dans un premier temps avant d'être finalement maintenu. C'est aussi cela qu'on lui reproche. Mais, depuis 2004, je n'ai pas vu une mise en œuvre très sérieuse de cet objectif. Il y a un lobbying international qui est bien réél et qui fait que l'on ne prend pas les mesures comme l'exigerait la santé publique.

Vous disiez que Pierre Meneton avait lancé l'alerte. C'est quoi un lanceur d'alerte ?

Lui-même dit qu'il n'est pas un lanceur d'alerte et il a raison parce qu'il est chercheur à l'Inserm. Dans le cadre de ses fonctions, il a communiqué ce qu'il sait, sur un facteur de risque. Quand on est dans une situation de recherche sur des sujets de santé publique, il est tout à fait légitime et même nécessaire de communiquer sur ses résultats. C'est pour ça que les chercheurs sont payés mais ils ne le font pas toujours.

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Un lanceur d'alerte, c'est un scientifique mais ça peut être aussi un citoyen, comme Véronique Lapides qui préside le comité vigilance Franklin. Habitante de Vincennes, elle a lancé l'alerte avec son collectif sur le côté troublant du fait que trois ou quatre cancers de l'enfant avaient été décelés à l'école Franklin-Roosevelt. Depuis, il y a en six. Le lien avec l'environnement était posé puisque cette école est située sur les anciennes friches Kodak. Aujourd'hui, Véronique Lapides est poursuivie en diffamation par le maire de Vincennes pour avoir continué son action et demandé que le site soit dépollué, ce qui a été fait à Sevran mais pas à Vincennes. Cet autre cas montre bien comment aujourd'hui, en l'absence de loi de protection de l'alerte et de l'expertise, on a des pressions de ce genre qui s'exercent à la fois sur les scienfiques mais aussi sur les citoyens.

Que demandez-vous ?

On demande qu'une loi de protection de l'alerte et de l'expertise soit adoptée. Je fais bien le lien entre l'alerte et l'expertise car si on veut protéger les personnes, il faut protéger le processus d'expertise. Il faut que les gens puissent être indépendants quand ils s'expriment et qu'ils ne soient pas, par la suite, sujets à des mesures de rétorsion, à la fois sur un plan personnel mais aussi professionnel. Le principe d'une loi a été acté dans le Grenelle de l'environnement, presque à l'unanimité. La mission Lepage [qui doit rendre son rapport vendredi 1er février au ministre de l'environnement Jean-Louis Borloo] reprend cette préconisation, en l'améliorant. Les principes juridiques sont là et l'objectif politique est clair. Cette loi doit prévoir la création d'une haute autorité indépendante, comme la Halde [Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité], ou la CNIL [Commission nationale de l'informatique et des libertés]. On a besoin d'une haute autorité administrative qui soit là pour définir la déontologie de l'expertise, la faire respecter et être un lieu qui pourrait être saisi en cas de conflit sur ces questions. Toutes ces problématiques devraient être reprises dans un paquet législatif qui devrait être adopté au deuxième trimestre 2008.

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